Du sommeil et des rêves, nous ne comprenons pas encore tout. Ces mécanismes de notre cerveau ont pourtant une place prépondérante dans notre vie et justifient amplement que des chercheurs s'y intéressent. L'un d'eux, Robert Stickgold, a un jour apporté sa pierre à l'édifice de connaissances sur le sujet, à l'aide... d'un jeu vidéo.

Robert Stickgold est un professeur associé en psychatrie à Harvard. Il ne joue pas aux jeux vidéo et ne se doutait pas que ce médium allait un jour l'aider dans ses recherches lorsque débute cette histoire, lors d'un séjour familial en montagne.

Pendant ce congé, à la fin d'une journée de randonnée bien remplie, au moment de s'endormir, il remarque un phénomène qui vous semblera peut-être familier. Durant la première partie de son sommeil, il rêve qu'il grimpe le long de sentiers rocailleux, tels ceux qu'il a parcourus en journée. Autrement dit, il revit son activité du jour. Pour la plupart, ceci n'aurait sans doute donné lieu qu'à une remarque en passant au petit déjeuner. Mais le professeur Stickgold, lui, s'intéresse au rôle du sommeil sur la mémorisation et estime qu'il vient de mettre le doigt sur quelque chose de significatif.

Donc intrigué par ce phénomène, Stickgold chercha à mieux le comprendre et dans un premier temps se demanda comment le reproduire. Des amis lui conseillèrent d'essayer le canoe ou le rafting. Mais le professeur voulait plus exactement mener une étude sur ce fait. Or pour respecter la démarche scientifique, il lui fallait plusieurs participants et un cadre protocolaire bien précis auquel ne sont pas adaptés de tels sports. (En effet, ils ne garantissent pas que chaque sujet de l'étude vive la même expérience.) Bref, pas facile de trouver une activité qui pouvait s'adapter financièrement et pratiquement à une telle expérience.

Après s'être creusé la tête en vain pendant plusieurs années à la recherche de l'activité idéale, le professeur Stickgold finit par se lamenter de son manque d'idée auprès de ses étudiants. C'est alors que l'un d'eux, sans doute un peu geek sur les bords, lui proposa de faire jouer ses participants à... Tétris ! Car ironiquement, il semblait évident pour beaucoup que le meilleur moyen de rêver de blocs qui tombent était bien de passer quelques heures sur ce jeu. Mais notez que pour passer d'une intuition pouvant s'avérer fausse à une connaissance correctement prouvée, il faut une étude propre. Heureusement que jouer à Tetris est effectivement une activité peu onéreuse et facile à placer en environnement clos et contrôlé.

Alors c'est parti : 27 personnes divisées en 3 groupes ont pour mission de jouer à Tetris 7 heures par jour pendant 3 jours. Nos participants sont des novices, des gamers et des amnésiques. En début de nuit, on prend note de leurs rêves et... parmi eux, 17 rapportent avoir vu les blocs en action durant leur sommeil. Donc un joli score, suffisant à valider statistiquement l'hypothèse évaluée dans cette étude.

Et les résultats vont plus loin. Parmi les novices, ceux qui ont été le moins doué lors de leur première session de jeu sont ceux qui ont le plus revécu l'expérience en dormant. "C'est comme si plus vous avez de travail à fournir, plus il vous est probable de revoir les images", déclare le professeur. Cela pourrait aussi suggérer que ceux qui apprennent le plus vite ont le moins besoin de ces sortes de "répétitions nocturnes". En tout cas, il y a un lien évident entre le sommeil et l'apprentissage.

Mais toujours par cette expérience, Tétris nous montre une curieuse propriété de la mémoire. En effet, relisez plus haut, un groupe d'amnésiques participait à l'étude. Et pas n'importe quels amnésiques, mais de ceux qui oublient leurs faits et gestes d'il y a quelques heures. Ainsi parmi ces personnes qui n'avaient plus souvenir d'avoir joué à Tétris pourtant peu auparavant, il s'en est tout de même trouvé, comme pour les 2 autres groupes, qui ont rêvé de blocs tombant pendant leur première heure de sommeil. Pour Stickgold, cela montre que les premiers rêves de la nuit nous font revivre des souvenirs abstraits et subconscients auxquels les amnésiques ont encore accès (au contraire des souvenirs conscients) et cela explique pourquoi ils sont si désordonnés et étranges.

Qui aurait cru que ce célèbre "puzzle-game" nous dévoilerait un pan du mystère que sont nos rêves ?

Résultats de recherche publiés en Octobre 2000 dans Science (Stickgold R, A Malia, et al. Replaying the game: hypnagogic images in normals and amnesics.) Autres faits tirés de l'émission radiolab du 25 Mai 2007. Illustration tirée de l'animation "Berlin Block Tetris" de Sergej Hein.