Il suffit de faire un tour sur les tests de Pedrof pour s'en apercevoir. Même sur Gameblog, où la communauté me semble plus ouverte à des critiques différentes, ses tests en particulier passent parfois difficilement.

La chenille

Pendant longtemps, je considérais le jeu vidéo comme un gameplay avec des graphismes autour pour faire joli. Je voulais m'amuser avant tout (ce qui n'a pas changé d'ailleurs). Le scénario ? J'y accordais une importance superficielle. J'aimais les cinématiques bien faites, bien doublées, ou encore les passages en images de synthèse sur PS1. Lire les vignettes de dialogues, ça par contre, je n'aimais pas du tout, et je n'aime toujours pas. Donc il y a une époque où j'aurais trouvé le scénario de Red Dead Redemption excellent. Les bonshommes sont bien faits, ils bougent bien, le doublage est réussi. C'est complètement incohérent ? Et alors ? C'est juste du jeu vidéo.

Je voyais les jeux vidéo de cette manière pour deux raisons, une personnelle, et l'autre qui, je pense, nous concerne tous. La raison personnelle, c'est que j'ai commencé le jeu vidéo sous l'angle du multijoueurs. Je jouais avec mes frères, ou des copains, et alors peu importait à quoi ça ressemblait, tant qu'on s'amusait. C'était une activité sociale, et si on se marre autant à un jeu de basket aux graphismes réalistes qu'à un Mario Party complètement délirant au niveau visuel, l'important est le plaisir qu'on en retire. Le jeu vidéo n'est alors pas une oeuvre, mais se rapproche selon moi beaucoup plus du jeu de société. Du bon gameplay, de jolis graphismes, et le fun est assuré.

Pour le scénario, c'est parce qu'on a tous été habitués très tôt à des trames squelettiques. Dans Double Dragon, ou Super Mario Bros, même combat : on part sauver la fille. Même si des jeux étaient plus élaborés, la 2D ne pernettait pas une grosse mise en scène, donc on avait moins un scénario qu'un prétexte à l'aventure. Et lorsqu'on avait un scénario, c'était loin d'être aussi plaisant à suivre qu'aujourd'hui, faute de moyen. Même sur PS2 où on avait des trames plus développées, les cinématiques restaient souvent assez déplaisantes. Pour un Final Fantasy XII aux cinématiques 3D superbes, combien de Splinter Cell ou de Prince of Persia avec des personnages pas très bien modélisés, même en CG ?

Les seules cinématiques dont je me souvienne sur PS1, sans compter les passages en images de synthèse, c'est Metal Gear Solid, Vagrant Story et Final Fantasy Tactics. C'était beau à regarder, et c'était tellement rare que je n'en demandais pas plus.

La chrysalide

Mais c'est aussi, je m'en rends compte aujourd'hui, une vision très réductrice du jeu vidéo. Mon indulgence de l'époque n'était pas loin d'être une forme de mépris, et peut-être en était-elle pleinement une. Ce n'était que du jeu vidéo. Quelque chose de tellement insignifiant qu'on peut lui pardonner des bourdes énormes et des univers débiles. Eh ! C'est ça, le jeu vidéo. Tu t'attends à quoi ? Un peu comme si des gens s'attendaient à du Kubrick en regardant un film porno.

Puis j'ai déménagé. Seul face aux jeux, je me tourne beaucoup plus sur le solo. Personne pour me conseiller, je visite les sites Internet et me retrouve dans un univers nouveau. Je vois que d'autres s'intéressent aux scénarios des jeux, ce qui me paraît aberrant sur le coup. Je sortais de mon petit carcan où on jouait tous pour la même raison, le gros fun qui tache, et donc certains internautes me paraissent un peu fou. Je vois des gens critiquer des choses qui ne m'ont jamais dérangé, comme l'IA débile. Je lis des trucs comme "level-design". C'est quoi, un level-design ? Une direction artistique ? Y'a même des gens qui pleurent devant les jeux vidéo ! (ça, je ne m'en suis jamais remis).

Avec le recul, je constate qu'on avait tous une vision réductrice et faussée du jeu vidéo, et que c'est souvent encore le cas. Certains qui disaient que dans le jeu vidéo, on s'en fout du gameplay, il faudrait même le supprimer... D'autres que les boss, c'est nul car il faut réfléchir à comment l'abattre et donc c'est décourageant. Que le jeu vidéo, c'est juste du challenge et du scoring. Un peu comme si on disait aujourd'hui que le cheval qui court, c'est ça, le cinéma ! Pas besoin de dialogues, de couleurs, de plans-séquence, de scénario, de propos. Non. Le cheval qui court, c'est l'essence même du cinéma ! Le reste c'est pour faire joli.

Le vieux con blasé !

N'empêche, lire toutes ces conneries, accumulées aux miennes, ça a quand même fini par me faire réfléchir. J'ai commencé à comprendre pourquoi je n'aimais pas tel jeu, pourquoi j'aimais tel autre. Grâce à tout un nouveau vocabulaire fait de level-design, de HUD et de ragdoll, j'ai même commencé à comprendre comment on compose idéalement un jeu vidéo, comment on le raconte. J'ai en somme développé mon esprit critique vidéoludique, là où auparavant, soit c'était nul car je n'aimais pas, soit c'était bien parce que j'aimais.

J'ai découvert, peu à peu, très difficilement, que le jeu vidéo a un vrai potentiel culturel, qu'il peut, selon mes critères personnels, engendrer des oeuvres d'art, et dans lesquelles on s'amuse. Il le peut. Il ne l'a pas encore fait. Et parfois je doute sérieusement qu'il y arrive un jour. Mais je veux y croire quand même.

Il y a très peu de joueurs qui sont sortis du carcan critique du jeu vidéo. Certains joueurs se sont accommodés au jeu vidéo tel qu'il est et a toujours été. Ils l'ignorent peut-être, ou non d'ailleurs, mais ils l'aiment avec mépris, ou avec une certaine blasitude. Je pense qu'Angel Davila par exemple n'attend plus grand-chose du jeu vidéo depuis lontemps, donc il s'accomode comme il peut de sa nullité. D'autres sont complètement aveuglés et veulent voir plus que le jeu vidéo ne propose.

Heureusement, et en même temps c'est un peu triste, on voit aussi fleurir un nouvel esprit critique autour du jeu vidéo. On va plus loin que les râleries et les éloges ordinaires. Par exemple sur Gameblog, le QTE, ce n'est plus nul, jugement sans appel, c'est tout une plaidoirie qu'on peut lire dans un article de Seblecaribou que vous chercherez tout seul (ou pas) sur son blog. Un peu triste, car dans un jeu vidéo, c'est assez rare que les devs réfléchissent à tous les aspects, et en fin de compte c'est eux qui formatent notre vision réductrice du jeu vidéo, car la leur est également réductrice, et même profondément navrante. C'est donc aux joueurs de faire ce job à leur place (et à la place de la presse aussi), de faire évoluer le jeu vidéo, non sur le plan technique, mais intellectuel.

Il y a une quantité industrielle de petites choses agaçantes qui, avec un peu d'effort et de bon sens, pourraient disparaître. Elles perdurent. Un double-saut ? Genre le héros ne peut pas faire un saut tout court ? Des trousses de soin au milieu de la rue ? Pourquoi, dans Assassin's Creed, on trouve des plumes n'importe où, au lieu, par exemple, de tuer des pigeons en plein vol ? C'est ce qu'a fait Infamous 2. L'idée n'est pas géniale, mais au moins elle s'intégre un peu mieux au jeu. Je ne ferai pas une liste exhaustive, ce serait beaucoup trop long. Mais les devs ne réfléchissent pas beaucoup, ça c'est flagrant. Une idée fonctionne ? Tout le monde la recopie, même si ça n'apporte rien au jeu. Si beaucoup de monde déteste les QTE, l'auto-régénération, le système de couverture, ce n'est pas parce qu'ils existent, c'est parce qu'on ne peut plus y échapper. Les devs travaillent d'un côté à rendre les jeux les plus immersifs possibles, ils se débrouillent de l'autre pour gâcher cette immersion...

Ubisoft Man 1 : Si on faisait un jeu qui se passe à la Renaissance avec des décors vachement bien reconstitués ? Avec les personnages historiques etc... Pour le gameplay, on pourrait jouer un assassin qui...

Ubisoft Man 2 : Ah ouais puis on va rajouter une couche de Matrix ça va être super, à la fin grâce à une pomme magique le héros pourra tuer tout le monde avec des boules de feu ouh yeah !!! Mais en fait on jouera pas le gars qu'on jouera, en fait on jouera un gars qui joue un autre gars dans le passé, et en fait c'est son ancêtre il est connecté à lui grâce à son ADN, et en plus y'aurait comme une destinée messianique confiée par des extra-terrestres.

Honnêtement, est-on vraiment si peu à trouver cette idée profondément stupide ? Est-ce que le jeu vidéo est vraiment incapable de mieux ? Moi je ne le pense pas. Ou plutôt je ne le pense plus. Si ça fait de moi un vieux con blasé, c'est que ce titre est honorable B)