Personne n'apprécie l'administration. Personne. Procédurière, tatillonne, et souvent désagréable, la face visible de l'État laisse rarement un bon souvenir à ceux qui doivent s'y frotter. On pensait le règne animal épargné par cette folie, il n'en est rien : pour gérer le sort des défunts, les corbeaux ont eux aussi mis en place une structure rigide, dont vous n'êtes qu'un des rouages.

Vous avez le formulaire bleu ?

C'est donc dans un univers noir et blanc que commence Death's Door, qui ne manque pas de souligner avec humour les turpitudes d'un l'au-delà géré au quotidien par vos semblables, à l'instar du maître Toriyama il y a quelques décennies de cela. Votre corbeau, chasseur d'âmes de son état, est chargé par sa direction de récolter les esprits des défunts qui auraient loupé le coche, parce qu'il faut bien que quelqu'un s'y colle. Mais pour mener à bien cette tâche, il faudra se rendre dans le monde réel, où notre avatar redevient mortel, et doit donc voler dans les plumes de ses adversaires pour rester en vie. C'est que personne n'a envie de se charger de la paperasse supplémentaire que générerait immanquablement votre trépas, voyez-vous.

Depuis ces tristes bureaux bichromes, il faudra donc partir à l'aventure, en empruntant les éponymes portes du titre, qui s'entendent comme autant de voies d'accès à un monde terrestre bien plus coloré, dans lequel trois Grandes Âmes doivent impérativement être collectées. Trois âmes, comme autant d'environnements structurés autour d'un axe central qui fait de Death's Door un jeu relativement organique, où le moindre détail semble avoir fait l'objet d'une particulière attention, à commencer par la bande-son, d'une beauté saisissante. Le thème principal fait au fur et à mesure l'objet de nombreuses réorchestrations, laissant tour à tour place aux vents ou à une guitare sèche toujours à fleur de peau, pour une immersion garantie, et une expression assez rare de l'instrument dans le jeu vidéo. Nous ne saurions donc que trop vous conseiller de jouer au casque, tant l'aventure s'apprécie aussi par les oreilles.

Prenez la porte

Ceux qui ont vaincu la vingtaine de Titans il y a quelques années ne peuvent qu'être frappés sur l'opposition visuelle et artistique qui séparent les deux jeux d'Acid Nerve. Malgré une formule qui met l'accent sur le combat et l'esquive, la dimension isométrique et l'aspect pastel des textures de Death's Door l'éloigne rapidement de son prédécesseur. Nous l'avons vu : sur terre, les éléments reprennent vie et couleurs, et que l'on parcoure une forêt marécageuse ou des étendues de pierres balayées par le vent, le jeu surprend toujours par sa justesse graphique. Sans être un foudre de guerre, Death's Door parvient à proposer des décors lisibles, reconnaissables et singuliers, car il n'y finalement pas que les combats, dans la vie.

Acid Nerve accouche une nouvelle fois d'un level design ingénieux, pour un cheminement rempli de petites énigmes et autres mécanismes impossible à activer lors de son premier passage. Ouvertes et piégeuses sans pour autant en devenir labyrinthiques, les différentes zones de l'aventure nécessitent de trouver soi-même son chemin, tant les à-côtés se multiplient, offrant toujours une occasion de renforcer ses capacités. C'est qu'à part la mort, on ne risque finalement pas grand chose, les portes ramenant au bureau central ponctuant souvent l'exploration. La mécanique est simple, pratique, et limite d'inutile aller-retours. Mais gare à ceux qui mettrait trop longtemps entre parenthèse leur progression : une bonne connaissance forgée par la pratique régulière s'avèrera vivement conseillée, car le pathfinding très en retrait n'aide pas beaucoup à retrouver son chemin...

Pas de pitié pour les croassants

Le passage d'une dimension à une autre est d'autant plus pratique qu'il permet également de remplir sa barre de vie, un luxe quant on voit avec quelle rapidité cette dernière se vide. Pourtant, la difficulté est présente mais progressive : chaque ennemi possède une série de patterns qu'il faut apprivoiser avant de les voir se multiplier, en même temps que les réflexes. Non, si la mort arrive si vite, c'est parce que le recovery est quasi-inexistant, et il est donc impossible de profiter d'une quelconque invincibilité temporaire pour gratter quelques coups supplémentaires. Attention hein : on le tente quand même, malgré tout. Mais ça ne marche jamais. Croyez-nous sur parole.

Ce qui commence par un enchaînement de corps-à-corps s'ouvre progressivement durant la petite dizaine d'heures nécessaires à voir le bout de Death's Door : déjà débrouillard avec sa lame, notre corbeau voit sa palette prendre à chaque zone un peu plus de couleurs, alors que s'ajoutent arcs, sorts de feu et autres bombes dévastatrices qui aident également à la résolution des énigmes. Le jeu invite à expérimenter et à s'amuser de ces nouveaux pouvoirs, puisque la jauge nécessaire à leur exécution se recharge en détruisant les nombreux éléments du décor alentours. Quel dommage que leur emploi pèche par quelques latences qui rendent l'expérience frustrante, tant la moindre touche peut changer la donne dans certaines situations.

Nous l'avons vu : les situations ne souffrent d'aucune redite, et Death's Door trace ainsi un chemin semé d'embûches pour accéder dans les meilleures dispositions devant chacun des trois sérieux boss du jeu, forcément retors. Mais avant ça, il faut également en passer par des donjons très efficaces et des phases d'arène qui s'achèvent d'un poing spontanément levé vers le ciel, tant il faut parfois des yeux partout dans le dernier tiers. Et on en redemande.

L'arbre de crowpétences

Death Door est assurément un titre nerveux, et le rythme bien calibré des combats aux situations sans cesse renouvelées réussit à maintenir en permanence cette envie d'aller plus loin. Qu'importe au final vos préférences, puisque l'exploration comme le combat sont récompensées : les environnements cachent bonus de vie ou de magie à réunir, tandis que chaque ennemi vaincu lâche de quoi booster sa vitesse, sa puissance ou ses attaques magiques en empruntant la première porte qui passerait par là. Il faudra en revanche faire quelques choix, l'aventure ne permettant pas de maximiser toutes les catégories, un choix assumé qui fonctionne au vu de la palette de mouvements qui s'offre à nous.

Toujours en prenant soin de limiter les aller-retours, la montée en puissance qui accompagne chaque zone traversée permet également de progresser dans le bureau central, et de comprendre à force d'items mystérieux et de textes évocateurs ce qui se trame dans cette chasse à l'âme, et ainsi de nourrir certains doutes à l'égard du commanditaire de cette excitante mission. C'est que Death's Door profite en sus d'une écriture et d'une localisation française impeccable, drôle, intelligente, gavée de répliques qui font mouche et de réparties bien senties. Il n'y a qu'à poser les yeux sur la présentation de la deuxième Grande Âme pour s'en convaincre. Bah croa ?