L'eSport s'est démocratisé et l'industrie du gaming est l'une des plus florissantes de la planète. Epic Lanes est un MOBA qui se joue en équipes de 4 et s'est imposé comme le jeu esport incontournable. L'histoire se focalise sur quatre joueurs qui rêvent de devenir pro gamers, ambition qu'ils doivent concilier avec leur vie quotidienne...

Gameblog : Merci de répondre à nos questions. Comment l'idée du projet vous est-elle venue ?

Sophia Metz : En fait, c'est la maison d'édition Hachette qui est venue me voir et qui m'a demandée si ça m'intéressait de scénariser un manga sur ce thème-là. Je n'avais jamais fait ça de ma vie ! Alors j'ai décidé d'engager quelqu'un qui s'y connaît vraiment : Luc. On a co-écrit le manga. Pour la partie dialogues, c'est lui qui a fait le gros du travail.

Luc Metz : Elle a l'air de dire que j'ai fait le plus gros du travail, mais il y a eu beaucoup d'allers et retours entre nous, on se complète ! Je suis dans l'idée brute, qui n'est pas structurée, alors que Sophia rebondissait et posait les clous de nos idées.

Le dessinateur a créé les personnages en premier.

Qu'est-ce qui vous a poussés à vous lancer dans cette aventure ? Puisque vous avez aussi la franchise Meltdown à gérer...

Sophia : Je pense que personne n'aurait pu refuser ! On a lu des mangas durant notre jeunesse, tout ce qui est sorti entre nos 13 et 25 ans... en plus, l'éditeur nous a proposé de croiser ça avec notre passion pour le gaming. Une opportunité comme ça n'arrive pas tous les jours, surtout qu'en général, la partie complexe est la publication du manga. Ça, c'est un rêve qui se réalise, quelque chose que je voulais faire une fois dans ma vie.

Luc : Nous sommes tous les deux passionnés alors on a eu envie de le faire. Mais on en a aussi les capacités ! On ne voulait pas faire quelque chose de commercial, sans valeur ajoutée de notre part : ce n'était pas juste pour avoir le titre « auteurs de manga ». On a tout scénarisé, chose à laquelle je m'intéresse depuis longtemps en ayant écrit des nouvelles... une fois qu'on a les compétences scénaristiques, le format n'est pas si important que ça. Et en plus, nous sommes immergés dans le milieu de l'eSport ; on connaît le jargon et le milieu de l'intérieur.

Sophia : C'est ça. Comme on travaille dans le milieu, on connaît les coulisses du business et c'est quelque chose qu'on a voulu transmettre à travers le manga. Le lecteur n'a pas forcément cette vision de l'envers du décor, et c'est important de transmettre ça au grand public.

Comment avez-vous construit l'univers d'Epic Lanes ?

Sophia : Ce qui était très important pour nous, c'était de transmettre notre passion du gaming dans un manga. On est des gros joueurs, et on sait que les MOBA ne sont pas forcément compréhensibles pour ceux qui ne connaissent pas bien le genre ; on a essayé de retranscrire l'action de façon compréhensible. Et d'un autre côté, on voulait que ça s'inscrive dans le quotidien des personnages ; à côté du jeu, ils ont leurs problèmes quotidiens, ils vont à la fac...

Ensuite, pour ce qui est des personnages, je crois qu'on est partis des rôles classiques d'une équipe de MOBA ; on a voulu transposer un peu de leur caractère dans le rôle choisi, sans pour autant qu'ils en soient le cliché, avec un mec balèze qui joue tank et la fille qui joue support ! En général, quand tu choisis un rôle dans un MOBA, il y a une certaine sensibilité pour certains rôles, comme le fait de rester à distance ou de foncer dans le tas. Nos fiches de personnages sont très détaillées : il y a leurs qualités et défauts, pourquoi ils veulent devenir pro gamers... et il y a aussi des détails sur l'ordinateur de chacun : ils représentent bien leur personnalité ou leur situation, entre l'ordinateur vieux, celui à l'unité centrale imposante monté par lui-même, ou encore le laptop dernier cri plus discret. On a construit tout ça comme une toile d'araignée avec des critères, qu'on a transmis au dessinateur.

Justement, comment avez-vous travaillé avec le dessinateur ?

Sophia : On l'a choisi sur portfolio, on aimait son style plus japonais qu'occidental. Et après, il s'est avéré qu'il était incroyable. Quand on lui donnait une idée, il arrivait non seulement à les retranscrire précisément, mais aussi à les transcender et à aller au-delà. C'est impressionnant, surtout qu'il est espagnol, même s'il parle bien français. La barrière de la langue ne lui a pas empêché de comprendre parfaitement ce qu'on voulait !

Luc : Les personnages ont été ses premiers dessins. On lui a donné plein d'illustrations de personnages différents, mais qui avaient quelque chose en commun. Il a aussi capté l'émotion qu'on voulait transmettre et il a une façon incroyable de l'illustrer.

Sophia : En plus, il ne connaissait pas très bien l'eSport... c'est quelque chose qu'il a appris, il s'est plongé dedans pour le manga.

Luc : ...et ses dessins montrent clairement qu'il s'est éclaté ! Il a vraiment lâché son imagination.

Chaque personnage a son avatar dans le MOBA.

Vous avez aussi accordé beaucoup d'importance aux avatars des personnages.

Luc : C'est un élément important du MOBA. Dans la réalité, les avatars ne ressemblent pas aux joueurs qui les choisissent, mais pour le manga, on a décidé de leur donner des traits communs pour que les lecteurs puissent mieux s'y retrouver et pour plus les humaniser.

Sophia : Par contre, il y a des joueurs masculins qui jouent avec des avatars féminins, même si on retrouve quelques traits communs ! Dans les jeux vidéo, les garçons ne jouent pas que des garçons et pareil pour les filles. Par exemple, le méchant du premier tome a un avatar féminin, mais qui garde ses caractéristiques physiques. Il y a aussi des bêtes et des créatures, pas que des humains.

Pourquoi avoir choisi un MOBA pour l'histoire ?

Sophia : C'est le jeu le plus représentatif de l'eSport jusqu'ici. Il a amené le grand public à connaître le milieu. Nous ne sommes pas des gros joueurs de League of Legends, mais plus de Starcraft II et moi, de Heroes of the Storm, mais autour de nous, tout le monde jouait à LoL ! D'un point de vue scénaristique aussi, c'est intéressant de pouvoir se retrouver sur des lanes ou dans la jungle pour rencontrer des adversaires ; c'est plus dynamique que d'avoir deux armées qui s'affrontent, en 1v1. On peut faire des retournements de situation et jouer avec les pouvoirs magiques des avatars.

Luc : On a aussi voulu respecter les codes du genre shônen. D'ailleurs, on a choisi le sens de lecture japonais plutôt que l'européen, car ça nous fait bizarre de les lire dans l'autre sens. Le manga qui a bercé toute mon enfance, c'est Dragonball. Il est fondateur de ce type d'histoires où un groupe de héros va affronter un autre groupe... on peut pas faire de manga sans tenir compte des codes qu'il a amené.

L'histoire se déroule dans un futur proche et il y a notamment une cryptomonnaie, la G-Coin. Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose qui va se démocratiser dans l'eSport ?

Sophia : On pense que ça va se produire, même si on en est encore aux balbutiements et que ça aura plus d'implications qu'être juste une monnaie dans le gaming. Dans l'histoire, elle sert d'un côté à sécuriser les cashprizes pour les joueurs, mais d'un autre côté, elle peut servir les intérêts de gens mal intentionnés.

Est-ce que vous avez intégré un bar eSport dans le manga ?

Sophia : On a intégré un bar, mais on ne peut pas en dire plus... évidemment, on y a pas mis le Meltdown en tant que tel ! Je pense qu'aujourd'hui, ils font partie intégrante du paysage eSportif.

Luc : D'un point de vue de scénariste, le bar est le lieu par excellence de l'intrigue. Dans plein d'histoires, les personnages principaux se rencontrent dans un bar, comme dans Star Wars... ça symbolise la croisée des chemins, c'était logique d'en intégrer un dans l'histoire !

Sophia et Luc gèrent la chaîne de bars eSport Meltdown.

L'eSport n'est pas un domaine qui n'est pas encore démocratisé. Quel public ciblez-vous ?

Sophia : Les gamers et les gens qui s'intéressent à l'eSport. Je pense que l'on peut lire le manga sans savoir ni comment fonctionne un MOBA, ni ses acronymes, pour un gamer... on essaie de rendre aux joueurs les codes qu'ils connaissent, sans gêner la visibilité. D'ailleurs, on joue parfois sur cette confusion en grossissant le trait. Ça me fait penser au manga Hikaru no Go, qui était sur le jeu de go. Je n'ai jamais compris les règles ni jamais cherchées et pourtant, j'ai dévoré toute la série ! L'idée, c'est vraiment d'intéresser les gamers et ceux qui s'intéressent au genre shônen.

Luc : Pour les lecteurs qui aiment les shônen, on a voulu rendre une espèce d'hommage au genre. D'un autre côté, on le tourne en dérision en reproduisant certaines scènes qu'on a vues dans d'autres mangas. Il y a des clins d'oeil qui vont apparaître et c'est ça qui fait tout le sel !

Il y aura donc des références de l'univers manga, est-ce qu'il y en aura aussi de l'univers eSportif ?

Luc : Totalement ! On ne verra pas tout dans le premier tome car on met en place l'histoire, mais il y aura un tas de références gaming avec des joueurs qui vont rager ou se taunt.

Sophia : On a aussi voulu jouer sur les clichés des femmes dans l'eSport. On a inclus une équipe féminine dans l'histoire, qui aura une place assez importante dans le premier tome. On a voulu à la fois casser les préjugés, à la fois les exploiter de façon comique avec des personnages clichés et d'autres qui casseront cette image. Il n'y a pas d'équipe mixte car nous avons voulu rester proches de la réalité d'aujourd'hui, sans faire de la mixité pour faire de la mixité. On a voulu respecter la réalité tout en faisant évoluer des choses.

Luc : Là-dessus, les clichés sont vraiment les armes du scénariste. D'abord pour faire comprendre une idée facilement, et ensuite pour les déconstruire et créer de la profondeur, en montrant que tout n'est pas blanc ou noir.

Sophia : On en joue un peu dans le premier tome d'ailleurs, avec la mère du héros qui est très cliché. Elle ne comprend pas que son fils joue, qu'il perde son temps... aujourd'hui, le gaming est encore mal perçu et n'est pas toujours pris au sérieux ; même chose pour la place de la femme qui est compliquée... plein de choses qui sont aujourd'hui des problèmes, on a voulu les traiter, sans devenir non plus un manga sociétal !

Dans l'idéal, avez-vous un nombre de tomes en tête ? Et peut-être un anime ?

Sophia : Si le tome 1 plaît, l'idée est d'en sortir un ou deux tous les ans. Mais on ne sait pas combien de tomes il y aura. Par contre, on aimerait bien en faire un anime et on est en discussion avec des interlocuteurs qui sont intéressés par le concept. Si on arrive à le faire, ça palliera le rythme de parution des tomes...

Luc : Même si on ne sait pas combien de tomes on sortira, on a fait attention à ce que chaque tome se suffise en lui-même. Par respect pour le lecteur. Même en laissant une suite ouverte, chaque tome a son histoire.

Vous pourrez retrouver Sophia Metz, Luc Metz et Albert Carreres le samedi 7 juillet, à la Japan Expo ! Le tome 1 d'Epic Lanes sortira le 4 juillet.