Hadéa souffre. Le pays est ravagé, défiguré par une violente guerre civile opposant Sabiniens et Palomistes. Comme trop souvent au cours de l’histoire de l’humanité, la cruauté absolue, les actes les plus atroces, sont justifiés par des croyances religieuses divergentes. Pillages, destruction et meurtres de masse constituent désormais le décor de ce pays isolé autrefois paisible. La campagne verdoyante s’est métamorphosée en une plaie béante de désolation. Les chemins champêtres ont laissé la place à des tranchées boueuses, les villages, jadis chaleureux, sont devenus de véritables forts de guerre érigés au milieu des décombres. Des corps en décomposition sont entassés dans des fosses, tandis que d’autres sont pendus par dizaine à des arbres, adultes comme enfants.
Et pourtant, tout semble suspendu dans le temps. Un silence de mort règne. Aucune déflagration ne se fait entendre. Les quelques habitants ayant échappé à leur funeste sort se terrent dans les sous-sols et les greniers. Même les soldats des factions opposées maintiennent silencieusement leurs positions, se protégeant non pas d’une attaque humaine, mais d’une entité monstrueuse ayant envahi les lieux. Le champ de bataille appartient désormais à ceux que l’on surnomme “La Calamité”, des créatures humanoïdes terrifiantes apparues via de mystérieuses sphères aux endroits ayant vécus les pires barbaries de la guerre. Sombrant dans la paranoïa et la folie, l’humanité semble au bord de son extinction dans Hell is Us.

Rémi, celui que vous incarnerez tout au long de votre périple dans Hell is Us, n’est pas épargné par les souffrances psychiques. Arraché d’Hadéa, sa terre natale, et de sa famille à l’âge de cinq ans, son chaotique chemin de vie sera dicté par un profond besoin de réponses, de liens familiaux. Comprendre et connaître ses origines l'obsède. Et quel meilleur moyen de pénétrer une zone de guerre interdite que d’y participer ? Son plan est simple : profiter de son appartenance dans les forces armées pour être déployé aux abords du territoire, puis déserter et partir en quête de sa famille, de son héritage. Mais ce qui devait être un retour vers son passé le conduira très rapidement aux tréfonds d’un voyage vers les origines et les secrets d’un pays tout entier.
Une conception à contre pied des standards actuels
Avant même vos premiers pas dans le jeu, un message des développeurs vous met en garde : Hell is Us se veut être une expérience immersive, et au-delà de son ambiance unique, cela passera également par l'absence totale de marqueurs et d'indications superflues. Comprenez par là aucune aide via une interface surchargée, aucun mur ou chemin peint en jaune pour vous mâcher le travail. Vous êtes lâché dans l'inconnu, et devrez enquêter, fouiller, explorer pour progresser. Hell is Us va à contre-courant d’une époque ou être pris par la main est quasiment devenu une norme, un impératif à prendre en compte avant de se lancer dans l’aventure. Il va vous falloir apprendre (ou ré-apprendre) à jouer «à l’ancienne», affublé d’un carnet et d’un crayon à côté de votre manette pour noter, collecter manuellement des indications précieuses données par votre environnement ou d’éventuels PNJ, comme des directions ou des lieux à suivre. A moins de posséder une mémoire hors du commun, tenter de simplement mémoriser les informations pourrait se retourner contre vous au moment de les restituer. C’est en tout cas le conseil que je vous donne. Les outils mis à votre disposition sont peu nombreux, et vous ne pourrez guère plus compter que sur une boussole dans votre inventaire et une carte du pays, accessible uniquement depuis votre véhicule blindé, le seul moyen de vous déplacer entre les vastes zones d’un jeu n’étant pas un monde ouvert. Sur bien des points, Hell is Us se rapproche d’un titre à l’esprit old school, une force indéniable pouvant aussi être responsable de ses principaux défauts.

Il ne vous faudra pas plus de quelques secondes pour constater cette étrange sensation “rétro”. Dès la première prise en main, le gameplay et surtout ses animations surprennent. Le personnage, très rigide, se déplace de manière arcade en défiant les lois de la physique. Pour illustrer mon propos, ces premiers pas au milieu d’une forêt m’ont immédiatement fait penser à Alan Wake, et je parle bien ici de l’original de 2010… Dans le même ordre d’idées, les régions faussement ouvertes sont en réalité très dirigistes, délimitées par de simples troncs d’arbres, barrières ou cours d’eau infranchissables, Rémi étant dans l’incapacité de sauter. Je ne vais pas vous mentir, toutes ces constatations en si peu de temps m’ont fait peur sur le moment, d’autant plus lorsque l’on ne sait pas réellement à quoi s’attendre d’un jeu souvent comparé à un Souls-like. Une comparaison que l’on cherche et que l’on ne comprend pas tout de suite tant le titre joue avec le mélange des genres… Jusqu’à notre premier affrontement contre une Entité Lymbique.
Non, Hell is Us n’est pas véritablement un Souls-like
Après une transition bien vite expédiée, vous serez affublé d’une épée très particulière, dotée d’une énergie semblable à celle animant les monstruosités, le seul moyen d’en venir à bout. De soldat aguerri au maniement des armes à feu, vous voici en un instant devenu expert en maniement de lames, haches doubles et autres lances. Esquives à base de dash et de roulades, parades et contres parfaits selon un timing précis et une jauge d'endurance, nous y sommes. Hell is Us reprend en effet les codes d’un genre devenu incontournable, mais ne se limite pas à de la simple copie sans identité. Je le dis clairement : le jeu s'inspire de nombreux éléments de gameplay et de level design de FromSoftware, avec ses combats et des donjons labyrinthiques basés sur des raccourcis à déverrouiller au fil de votre progression. Mais il est avant tout un jeu d'action/aventure scénarisé, faisant la part belle à la résolution d’énigmes gratinées. Autrement dit, il n’a pas pour ambition de se mesurer aux chorégraphies du maître.

Non sans une certaine difficulté (que vous pourrez modifier), les affrontements sont ici plus basiques et même répétitifs dans leur approche, la faute notamment à un faible bestiaire et à des patterns peu variés. L’originalité, très Kojimesque, provient du Haze, le lien ombilical reliant certaines créatures, nécessitant d’anéantir leur «noyau foetus» en premier lieu. Une dimension RPG s'ajoute à la recette avec l'intégration d'altérations élémentaires, ici nommées Chagrin, Rage, Terreur et Extase. Vos adversaires, mais aussi vos équipements, en seront affublés, chacun étant représenté par une couleur distincte. Cela induit bien évidemment une notion de bonus et de malus à équilibrer via des glyphes que vous dénicherez au fil de vos explorations. Sans vous gâcher la surprise, différentes armes seront également utilisables, et toutes seront améliorables, que ce soit via un levelling basé sur l'expérience ou via le forgeron de votre village. Vous serez de plus accompagné par un fidèle drone possédant bien plus d'une corde à son arc. Soutien lors de vos phases d'exploration durant lesquelles il pourra éclairer les ténèbres et les déchiffrer, il s'avère extrêmement utile au combat. Distraire un ennemi ciblé pour l'isoler temporairement d'un groupe, envoyer des décharges électriques autour de vous ou même se fixer dans votre dos pour vous projeter dans les airs et augmenter l'efficacité de vos esquives... Toutes ces actions et bien d'autres seront à installer via des modules que vous devrez bien évidemment vous procurer.

Il faut reconnaître que la rigidité des déplacements mentionnée précédemment se fait totalement oublier durant la bastonnade. Les séquences sont dynamiques, qui plus est agrémentées de finish stylés bien que la aussi pas assez nombreux. Une particularité intéressante est à signaler sur l'interface minimaliste de votre écran : les jauges de vie et d'endurance jointes. Ou plutôt, pour être exact, une jauge d'endurance maximale dépendante de votre vie. Pour faire simple, si votre vitalité tombe à 20%, alors votre endurance, et donc votre capacité à frapper ou esquiver, sera elle aussi à ce faible seuil critique. Cette particularité va de pair avec une autre mécanique vous permettant de récupérer “gratuitement” de la vie. La gestion de base des soins est tout ce qu'il y a de plus classique dans Hell is Us, par l'intermédiaire de kits trouvés ça et là. Mais chaque coup porté à un ennemi vous englobera brièvement d'énergie lymbique que vous pourrez absorber d'une pression de touche au bon timing. Plus vous enchaînez les coups, et plus cette énergie sera puissante, sans toutefois être suffisante pour vous revitaliser entièrement. En revanche, la moindre attaque encaissée par votre personnage fera retomber le tout à zéro. A vous alors de jauger entre prise de risque ou sécurité. C’est simple, mais cela apporte un rythme et une profondeur supplémentaires aux affrontements, sans toutefois rendre le jeu trop facile.

Une narration avant tout environnementale
Nous n’aborderons pas plus en détail l’aspect scénaristique de Hell is Us afin de vous préserver du plaisir de la découverte. Sur le fond, la trame principale se révèle relativement classique et même prévisible à certains moments via des ficelles que l'on anticipe. Mais la force du jeu ne demeure pas tant dans son pitch initial, mais dans sa manière de se raconter. Rogue Factor et Nacon ont fourni un travail impressionnant pour offrir un lore ultra complet et détaillé. Hadéa regorge de détails et d’informations à glaner via les personnages que vous croiserez, les documents à collecter et les inscriptions mystérieuses gravées dans les tréfonds des ruines anciennes. Explorer vous fera découvrir et comprendre les enjeux, les origines de la guerre et même du pays, l’apparition des créatures… tout trouvera un sens au fil de vos enquêtes. La narration indirecte du jeu se retrouve donc étroitement liée au level design.

Nous l’avons dit, mais les énigmes et autres phases de puzzle font partie intégrante de l’expérience proposée par Hell is Us. Certaines sont obligatoires dans votre progression, tandis que d’autres (et elles sont nombreuses !) restent totalement secondaires, mais aussi incontournables pour tout joueur souhaitant obtenir la totalité des items ou tout simplement approfondir ses connaissances. Une étape également obligatoire pour obtenir la fin complète. Sachez qu’il vous faudra entre 25 et 30 heures pour atteindre le premier générique, sans viser les 100% de complétion. Après avoir insisté sur l’aspect old school du jeu, sans aucune aide superflue, vous vous doutez bien que les casses-têtes ne vous rendront pas la vie facile. Certains sont évidents lorsque l’on a compris leur logique globale, mais pour d’autres… Il vous faudra vous armer de patience et surtout d’un sens de l’observation à toute épreuve. Il nous est arrivé plus d’une fois de pester sur la difficulté d’une énigme liée à son incompréhension, à enchaîner les allers-retours pour éplucher chaque recoin de notre environnement à la recherche de réponses. Et bien souvent la solution est là, sous notre nez ! L’agacement fait alors place à une sensation grisante, celle de la satisfaction d’avoir vaincu l’esprit maléfique des développeurs. Mais attention, ce type de progression ne conviendra pas à tous les joueurs, c’est une évidence. D’où l’importance de souligner, une fois encore, que Hell is Us n’est pas un simple Souls-like comme tant d’autres. Nous pouvons toutefois nous attendre à une rapide entraide entre joueurs via des forums et autres guides après la sortie du titre.

Et comment ne pas aborder les environnements de Hell is Us ? Une narration environnementale se devait d’offrir un rendu irréprochable pour fonctionner pleinement. C’est une mission totalement remplie par les créateurs. La technique est maîtrisée, même si l’on pourra tiquer sur les animations faciales des intervenants, mais c’est surtout la direction artistique qui envoie Hell is Us à un tout autre niveau. Certains panoramas extérieurs nous ont scotchés, avec un intelligent mélange de références historiques réelles et de surnaturel, conférant à l’ensemble son ambiance si spéciale. Chaque zone du jeu possède une identité propre, sa colorimétrie et son rendu visuel, brisant tout risque de redondance. Le gigantisme de certaines architectures souterraines impressionne, mais la conception même du jeu rend les étroits et labyrinthiques couloirs des donjons obligatoirement nombreux. Partition sans fausse note pour la B.O qui parvient à souligner l’ensemble en nous immergeant avec succès dans cette atmosphère pesante de fin du règne humain. Le seul bémol sera à signaler du côté de la VF pas franchement convaincante.
