Life is Strange True Colors nous invite à entrer dans la peau d’Alex chen. Jeune femme à l’adolescence troublée, elle vient tout juste de reprendre contact avec son frère, Gabe, qu’elle n’a pas vu depuis 8 ans. Elle débarque donc à Haven Springs, ville de montagne pittoresque du Colorado. Manque de bol, le soir de son arrivée, Gabe se tue dans un mystérieux accident. Alex va alors tout mettre en œuvre pour que lumière soit faite sur la mort de son frère.

L’air de la montagne

On le sait, Deck Nine partage des accointances avec Dontnod, à l’origine de la série Life is Strange. À la lecture de ce synopsis, ceux qui auront joué aux deux dernières œuvres du studio français auront sans doute une impression de déjà-vu : une histoire de frère et sœur à l’adolescence compliquée et qui se retrouvent après plusieurs années (Tell Me Why), une enquête autour d’une mort accidentelle et se déroulant dans une ville noyautée par une corporation minière (Twin Mirror). Par ailleurs, les environnements montagneux et lacustres de Haven Springs rappellent ceux entourant Delos Crossing (Tell Me Why) et Basswood (Twin Mirror), même si la ville au cœur de ce True Colors se démarque par son aspect idyllique et très hospitalier.

Visuellement, le jeu emprunte au style de ceux sus-cités avec des visages plus réalistes que sur les épisodes précédents de la série, laissant davantage entrevoir les émotions des personnages. C’est plus mitigé concernant les environnements puisque si la plupart de ceux traversés ravissent la rétine, certaines textures mettent du temps à charger tandis que d’autres restent en basse résolution. À noter également au cours de ma partie la présence de quelques bugs visuels mineurs.

Côté partition, on reste en terrain connu, à savoir le folk et le rock alternatif, les développeurs s’étant attaché les services du groupe australien Angus & Julia Stone pour les compositions originales. Des références plus connues pleuvent également dans cet opus : Kings of Leon, Radiohead ou Earth, Wind & Fire, pour ne citer qu’eux. La musique tient une place toute particulière dans le jeu puisqu’une bonne partie des morceaux sont également entendus par les personnages, voire joués par eux lorsqu’Alex pousse la chansonnette accompagnée de sa guitare.

Introspection

Cadre inédit oblige, ce dernier opus Strange regorge de nouveaux protagonistes qui forment la communauté de Haven Springs : Eleanor, la douce fleuriste ; Jed, le patron de bar bienveillant ; Pike, le flic un brin causeur… Une galerie de personnages variée dans laquelle on retrouve également Steph, la geek fan de rock déjà aperçue dans Before the Storm, et dont le rôle est ici bien plus notable. De manière générale, les personnages féminins sont remarquables, avec bien sûr en premier lieu Alex, magnifiquement interprétée par Erika Mori en VO. De façon générale, même si la VF s’en tire avec les honneurs, vous gagnerez à privilégier l’excellent doublage original.

D’autant que cet épisode, plus encore que les autres, fait véritablement place à l’introspection. Tout est vécu à travers le regard et l’expérience d’Alex, seul personnage que l’on contrôle tout au long du jeu. Chaque fois que le joueur interagit avec un objet, Alex y va de son petit commentaire intérieur ; même chose lorsqu’on la fait assoir sur un banc et qu’elle se livre à une réflexion sur son existence ou sur les évènements en cours.

Bien sûr, dans cette optique propre à la saga de proposer une vision moderne de son univers, les outils de communication tels que les SMS sont de la partie, de même que MyBlock, sorte de réseau social à la Facebook. Ces échanges à distance se démarquent par leur aspect très contemporain, avec par exemple des différences marquées entre le style compassé et décalé des habitants les plus vieux de Haven Springs et le style plus direct des générations suivantes. Marque de cet attachement aux modes de communication modernes : la possibilité pour les streamers de tous poils d’activer une option autorisant les viewers à influer sur les choix du jeu en cours de stream. Une option permet même de mettre en sourdine les musiques sous licence, pour éviter le strike.

La couleur des émotions

La spécificité de cet épisode réside dans la capacité d’Alex à percevoir les émotions de ceux qui l’entourent au travers d’auras de couleur spécifique : rouge pour la colère ou violet pour la tristesse par exemple. Cela n’est pas sans conséquence pour elle puisqu’elle ressent directement ces émotions et qu’elle a bien souvent du mal à canaliser celles-ci lorsqu’elles se révèlent trop écrasantes. Sans trop en dévoiler, ce pouvoir d’empathie est lié à certaines failles personnelles qui l’ont conduite à transvaser de familles d’accueil en foyers spécialisés avant d’échouer à Haven Springs.

D’un point de vue gameplay, ce pouvoir se traduit par la possibilité pour le joueur de savoir ce que ressentent certains citoyens de la ville même si, dans les faits, son exploitation est assez limitée. Ce n’est souvent qu’au cours de séquences spécifiques, propres à la trame principale, qu’Alex est amenée à entrer en empathie avec les personnages, dans le but de les aider. Lorsque cela se produit, le monde autour d’Alex change et les angoisses des personnages prennent une forme plus tangible. Le joueur peut alors interagir avec les objets environnants, ce qui lui permet d’accéder aux souvenirs du personnage en question et de comprendre les raisons de sa tristesse, de ses angoisses ou de sa colère. Il est dommage toutefois de constater que cet élément de gameplay sert principalement la narration et ne varie que très peu dans son approche.

Comme dans toute bonne expérience narrative qui se respecte, l’essentiel de l’aventure passe par les choix effectués par le protagoniste, ici Alex lors de ses échanges avec les habitants de Haven Springs. En partageant les émotions de ces derniers, de nouvelles réponses peuvent ainsi se débloquer puisque notre héroïne en sait davantage sur eux. Ces éprouvantes interactions, Alex les couche ensuite sur son journal, consultable par le joueur : elle y décrit ce qu’elle a ressenti en reprenant le code couleur de l’émotion associée.

Une peur bleue

Alex peut également "entrer en empathie" avec certains éléments du décor, par exemple une fissure dans un mur, qui débloque un souvenir en lien avec l’un des personnages du jeu. Ces souvenirs, le joueur peut en récolter cinq par chapitre et ils sont consignés dans le journal d’Alex.

L’autre spécificité du jeu narratif, c’est sa grande linéarité. Si True Colors ne déroge pas à la règle, le titre de Deck Nine invite malgré tout le joueur à explorer (un peu) Haven Springs et son artère principale. Il est donc possible de flâner pour aller à la rencontre des autres habitants ou de foncer directement vers l’objectif principal. Par ailleurs, les répercussions de la plupart des choix effectués par le joueur ne se dévoilent véritablement qu’au cinquième et dernier chapitre du jeu. Si celui-ci m’a semblé un poil en deçà des autres, la faute à quelques raccourcis scénaristiques, celui qui tire véritablement son épingle du jeu, c’est le chapitre 3. Celui-ci est l’occasion pour les développeurs de sortir des sentiers battus du jeu narratif en rendant hommage à un genre vidéoludique en particulier (mais gardons la surprise). Sachez d’ailleurs qu’entre deux sessions de gratte, Alex peut s’adonner à des parties de jeux arcade : le casse-brique Arkanoid ou encore Mine Haunt, sorte de mix entre Pac-Man et le tout premier Donkey Kong.

Si l’on excepte certaines facilités dans l’écriture sur la toute fin de l’aventure, celle-ci s’avère particulièrement soignée dans l’ensemble. On s’attache à chaque membre de la communauté de Haven Springs et on se plaît à élaborer des théories sur ce qui a conduit à la mort de Gabe, le frère d’Alex. S’il est possible de clore les cinq actes du jeu en un peu moins de 10h, comptez bien deux de plus si, comme moi, vous êtes du genre à tout lire et à papoter avec chaque PNJ.