Hier au début de Binary Domain, j'assiste à une scène hyper beauf. Une jolie fille débarque, les deux héros sont excités, l'un d'eux dit :"On dirait une actrice connue". L'autre répond :"De quoi tu parles, tu regardes juste des films pornos". Silence, avant de comprendre qu'elle est justement comparée à une actrice porno.

Ça m'a fait rire. Au cinéma, j'aurais eu le visage long de consternation. En fait même pas. Rien que la direction artistique du jeu, ça donnerait un film dont on n'entendrait parler que sur Nanarland. Personne n'achèterait ça.

Pourquoi ça m'a fait rire ? Une multitude de raison. Pour une fois ; les héros sont de gabarits différents et non des clones, les doublages (anglais) sont convaincants, l'animation des visages est naturelle, et les personnages bougent bien durant les cinématiques. Bref, que pour des points techniques élémentaires, points techniques tout le temps absents des jeux occidentaux. La fille porno d'ailleurs a une queue de cheval qui bouge bien, là où dans Tomb Lara Croft, malgré ses 500 millions de dollars de dev, ils n'avaient apparemment pas assez d'argent à allouer à ses cheveux...

Donc quand je joue au jeu vidéo, j'en suis rendu-là ; rire d'une blague qui d'habitude me consternerait... parce que pour une fois les devs ont fait correctement leur boulot sur certains points du jeu. Pas tous, car avec Binary Domain, je me contente de très peu.

N'est-ce pas là, résumé, notre rapport au jeu vidéo ? Le légendaire Metal Gear Solid ne serait-il pas considéré comme une pure daube s'il était un objet cinématographique, voire même un animé ? Verrait-on avec autant de discernement les problèmes de Prometheus si c'était un jeu vidéo ? Prometheus en jeu vidéo, c'est le BGE, le GOTY. Prometheus en jeu vidéo, si tu n'aimes pas, t'es un aigri, un blasé, un gars qui devrait arrêter le jeu vidéo. Prometheus au cinéma, si tu n'aimes pas, ben ça s'explique facilement.

Le problème au fond, ce n'est pas tant qu'on accepte cela, mais qu'on le cautionne, qu'on fait tout pour le légitimer. Jouer à un jeu débile en étant conscient qu'il est débile, c'est plutôt sain, et au moins on sait à quoi on joue sans se faire d'illusions. Mais quand on parle de niveau de lecture dans Far Cry 3, quand le scénariste dit en itw :"Si vous trouvez mon scénario débile et incohérent, c'est que j'ai réussi !", je me demande jusqu'où la stupidité peut gagner du terrain. Car il ne s'agit pas ici de cynisme... C'est ça le pire. Mais de pure stupidité.

Dans Far Cry 3, le vrai message c'est :"On est conscient des clichés du FPS, mais au lieu de faire un jeu intelligent, on va faire la même chose qu'ailleurs en pire, et ajouter un pseudo-second sens de lecture alambiqué pour embarquer autant les gros beaufs qui se poseront pas de questions, que les joueurs plus malins qui en ont marre des jeux stupides. Par contre faire un jeu intelligent... ben ça on sait pas comment faire".

Dans le jeu vidéo la stupidité a des codes, des valeurs, sa propre logique. Elle s'érige en système via la collectionnite, via le massacre de centaines d'ennemis à soi tout seul, ou par des distributeurs à bonbons qui vendent des super-pouvoirs parce qu'apparemment c'est trop difficile pour les devs d'implanter ça avec plus d'intelligence.

Dans le jeu vidéo, les solutions de facilité sont devenues un langage, et les clichés, des mécaniques traditionnelles. Alors quand je regarde Prometheus et qu'un perso débile, censé être un scientifique, approche la main d'une créature agressive et se fait mordre, je ne réagis pas. Oui c'est débile... mais à côté de ce à quoi je joue, c'est du Shakespeare ! Quand une femme se coupe les abdominaux, mais qu'elle peut quand même courir grâce à trois agrafes qui lui maintiennent le bide... je ne réagis pas. Je vois pire, tout le temps.

Et quand c'est juste un peu moins pire comme dans Binary Domain, je réagis de manière complètement disproportionnée, je ris à une blague pourrie parce que pour une fois, oui le jeu est pourri et stupide, mais les bonhommes sont biens faits. N'est-ce pas votre cas aussi ? Quand un jeu fait semblant de réfléchir à la violence en s'y complaisant, vous ne vous dites pas :"Ah ben au moins ils font un effort" ?

Ça veut dire qu'on est conscient de ce qu'on voit, qu'on perçoit tout ça, ça veut dire que dans le fond, on sait qu'il y a mieux à faire, mais on accepte, on encourage, et ça finit par ronger notre capacité de discernement. On s'accroche, parce que le gameplay et les graphismes sont à peu près (et encore pas toujours et pas de façon toujours exemplaire) les seuls vecteurs d'intelligence. On s'accroche dans l'espoir qu'un jour, des artistes viendront remplacer les chimpanzés qui servent de game designers et de scénaristes.

Pendant qu'on s'égosille à dire que le jeu vidéo ne rend pas violent, il peut continuer tranquillement le travail de sape de notre intelligence, et à ériger un système qui fonctionne à l'envers, où les critères sont arbitraires et idiots, où la stupidité est applaudie, où les incohérences scénaristiques sont invisibles pour on-ne-sait-quelle raison. On vient dire que c'est un art, quand ce n'est même plus un artisanat.

C'est pitoyable, non ?

Je dédie cet article à Naughty Dogs, Ubisoft, Rockstar, Electronics Arts, et tant d'autres.