Un statut qui en fait une pratique difficilement accessible, mais qui explique très certainement la quantité d'idées reçues parfois coriaces émanant des joueurs mais aussi de nombreux journalistes.

Idée reçue

prix-jeux-videoParler d'argent, ici de prix, n'est jamais chose aisée. L'analyse exige ainsi de développer un ensemble d'études économiques, commerciales, sociales peut être même psychologiques et bien entendu, vidéoludiques. Prétendre pouvoir traiter de manière exhaustive un tel sujet nécessiterait ainsi non pas des heures mais plutôt des semaines de travail, le tout servi dans un joli dossier relié de quelques centaines de pages. Histoire de ne pas lâcher les quelques lecteurs qui me suivent dès ce second paragraphe, je préfère écarter cette idée. Ce texte a en effet plus vocation de mettre à plat un ensemble de thèses plus ou moins répandues, douteuses et/ou fausses qui parsemaient, il y a quelques années, les pages de nos magazines et que l'on retrouve aujourd'hui sur le web, avec au centre du débat, l'idée qui veut que les jeux sont "trop chers", par-dessus tout, "de plus en plus chers". Si de manière très pragmatique, il est simple de réfuter un tel point de vue, reste alors à comprendre ce qui peut expliquer l'omniprésence médiatique de cette thèse, et ce, même sur des sites tout à fait fréquentables.

Parlons chiffres

prix-jeux-videoIntéressons-nous donc aux chiffres, puisqu'ils sont au cœur du débat. Oublions donc les problématiques de durée de vie, de coûts de développement ou de discours marketing pour y revenir ensuite. En moyenne, un jeu vidéo HD coute aujourd'hui à sa sortie 70€. L'investissement est bien entendu conséquent, en pleine période de rigueur et alors que l'argent de poche mensuel moyen d'un jeune de 15 ans et de 22€56 (Étude CSA - Juillet 2009). L'addition peut paraître d'autant plus salée que beaucoup ont encore en mémoire les prix pratiqués sur les consoles d'ancienne génération, typiquement sur PlayStation 1 et 2. Sur cette dernière, un jeu neuf coutait ainsi en moyenne 60€, tandis que sur la toute première plateforme de Sony, les jeux étaient proposés au prix de 349F, soit 53€, si l'on s'en tient à la règle 1€ = 6,55957F. Pas étonnant dans ces conditions que le joueur ait le sentiment de voir son portefeuille mis en difficulté lorsqu'il s'agit de s'adonner à sa passion. D'autant plus que les constructeurs profitent systématiquement du changement de génération pour faire évoluer leur tarification. Autant être franc, il n'y a là absolument rien de choquant, bien au contraire.

Idée fausse

En effet, lorsqu'on évoque le prix du jeu vidéo, on oublie trop souvent d'évoquer une composante pourtant essentielle, à savoir l'inflation. La preuve de l'importance qu'elle peut avoir dans ce type de démarche :

  • Ce même jeu PlayStation proposé à 349F en 1995 équivaudrait aujourd'hui à 67€, compte tenu de l'inflation estimée à environ 26% sur cette période.
  • Quant au jeu PlayStation 2, vendu 60€ en 2001, il vaudrait aujourd'hui 70€, avec cette fois-ci, une inflation estimée entre 16 et 17%.

Les chiffrent parlent d'eux-même : au cours de ces quinze dernières années, le prix des jeux n'a tout simplement pas changé ou très peu, et nos 70€ durement acquis en 2010 ne valent guère plus que les 349F aussi durement acquis en 1995.

Idée contraire

Pour aller encore plus loin dans le raisonnement, retournons en 1992, année de sortie en Europe de la Super Nintendo. Vendue à environ 450F, la cartouche équivaudrait en 2010 à 92€(!), l'inflation s'estimant alors autour de 34%. Si cette avalanche de chiffres peut sembler indigeste, elle reste éloquente quand il s'agit de traiter de la manière la plus pragmatique possible, l'évolution du prix des jeux au cours des 15 dernières années. Alors même que beaucoup dénoncent avec vigueur les pratiques des éditeurs/constructeurs, force est de reconnaitre qu'on est très loin de l'escroquerie supposée. Le prix n'a donc pas augmenté comme on peut le penser. La promesse qui avait été faite concernant le passage du support cartouche au disque optique est même tout ce qu'il y a de plus réelle. Malgré le changement systématique de gammes de prix dès la sortie d'une nouvelle machine, la valeur d'un jeu ramené au pouvoir d'achat est finalement identique. Se posent alors deux questions, existentielles s'il en est, à savoir comment une idée reçue totalement réfutable a pu autant se rependre, mais aussi, comment expliquer cette évolution qui peut tout de même sembler étrange.

Faire face à l'évolution

pongEn effet, avant de me poser précisément le problème de l'inflation et donc de réaliser la différence évidente entre l'opinion que j'en avais et la réalité des chiffres, j'avoue ne jamais avoir trouvé totalement anormale l'idée de voir le prix des jeux augmenter. On ne cesse de répéter que l'industrie du jeu vidéo et les productions qui en découlent ont énormément évolué en à peine quelques années. Le temps des trois potes dans un garage a laissé place à des studios de dizaines voir, de centaines de personnes : le coût de développement d'un jeu a forcément explosé en parallèle, se comptant aujourd'hui pour les plus grosses productions en dizaines de millions de dollars. Dans une industrie de l'abondance, somme toute très jeune et reposant sur des piliers encore fragiles, il apparait finalement logique de voir le prix des jeux augmenter. Les budgets marketings n'ont eux aussi plus rien à envier à ceux du cinéma à l'heure où il est vital de gagner en visibilité, noyé sous la masse de produits. Une omniprésence médiatique qui révèle d'ailleurs une profonde démocratisation du média et qui pourrait évidemment aller dans le sens contraire : les acheteurs étant plus nombreux, les jeux se vendent plus et tolèreraient une faible augmentation de prix, conséquente à leurs scores de ventes plus élevés. Si je n'ai pas trouvé d'études précises pour étayer mon propos, j'admets avoir du mal à croire à une telle théorie : il suffit pour cela de voir que jusqu'à aujourd'hui, Final Fantasy VIII reste l'épisode le plus vendu de la série, idem pour Resident Evil 2, pour comprendre que face à l'élargissement du public, le nombre de titres a lui aussi naturellement augmenté, tout cela abondant même dans l'idée qu'il est de plus en plus difficile de faire d'un jeu, un produit économiquement rentable. Une étude de 2008 réalisée par l'EEDAR (Electronic Entertainment Design And Research) démontrait que seuls 20% des jeux sortis étaient rentables ; on passe à 4%, lorsqu'on prend en compte la quantité de projets annulés avant même leur sortie/présentation, mais qui coûtent bien entendu de l'argent. Voir augmenter le prix des jeux ne paraît donc finalement pas totalement aberrant face à un secteur dont la situation pourrait même justifier la farouche volonté de certains éditeurs d'enterrer le piratage, cela va de soi, mais aussi le marché de l'occasion. Un constat alarmant, pour le joueur et l'éditeur.

Marge de manœuvre

En effet, le prix des jeux reste intimement lié parallèlement au contexte ultra concurrentiel du marché et au pouvoir d'achat du joueur. On peut alors aisément expliquer cette stagnation en évoquant l'hypothèse que face à des prix évoluant à la même vitesse que les coûts de développement, cela ferait bien longtemps que plus aucun jeu ne trouverait preneur. L'industrie se retrouve alors confrontée à un environnement quelque peu instable, assistant et participant à une montée en puissance extrêmement rapide du média, alors là même que son prix déjà élevé ne donne que très peu de marge de manœuvre pour répercuter ces changements. Si le joueur assiste alors à une ravissante évolution technique et ludique, il ne peut accepter, et c'est tout à fait logique, d'endosser ces changements qui ont longtemps été les moteurs de cette industrie. Alors qu'on commence à parler de maturité concernant le contenu des titres, il apparait donc clairement que l'industrie elle-même est amenée à connaître de profonds bouleversements pour devenir mature économiquement parlant, les récents regroupements d'éditeurs en témoignant. Une évolution qui se ressent d'ailleurs également dans le discours marketing des éditeurs.

Virage à 45°

Comme les chiffres le démontrent, les éditeurs n'ont finalement jamais eu l'occasion de compenser la forte hausse des coûts de production par une adaptation des prix. L'évolution systématique du prix des jeux à la sortie d'un nouveau hardware est tout ce qu'il y a de plus symptomatique : ne pouvant se permettre d'augmenter le prix des jeux sur la durée de vie d'une console, étant même parfois contraints de les baisser, la brutale évolution du prix permet finalement d'adapter le prix à l'inflation et ainsi, maintenir une tarification homogène sur le long terme. Ce qui semble donc être pour beaucoup, une habile stratégie visant à profiter de l'engouement des joueurs pour augmenter durablement le prix des jeux n'est en fait qu'une adaptation au contexte économique, le rythme des consoles étant d'ailleurs relativement adapté à celui-ci : au cours de la durée de vie d'une console, la valeur d'un jeu diminue avec l'inflation, tout comme les coûts de développement tendent à diminuer avec le temps, une fois l'avènement de nouvelles technologies digéré par les créateurs. Pourtant, la politique des éditeurs semble avoir sensiblement changé depuis quelques années. L'explosion des DLC, parfois vilipendés par la critique, la volonté de tuer le marché de l'occasion ou la décision d'Activision d'augmenter le prix de ses plus grosses licences de 5€, sont des signes forts qui démontrent une volonté, peut être une nécessité, de voir la rentabilité épouser chaque projet. Dans les faits, l'image de marque en prend parfois un coup, les titres concernés semblant parfois être ceux qui en ont le moins besoin. Ce sont de fait, ceux qui peuvent le plus se le permettre.

Admettre la réalité...

prix-jeux-video-5On touche ici à un point clé du débat, à savoir, l'image qu'ont les joueurs d'un produit, de son prix et de son éditeur. Tout le problème résidant précisément dans le fait que par je ne sais quel processus, on a finalement déplacé le débat, se focalisant avant tout sur le prix d'un titre jugé, on l'a vu, arbitrairement trop élevé. Autant être clair quitte à me mettre à dos certains : outre le fait que la pratique du jeu vidéo ne coute pas plus cher aujourd'hui qu'hier, les prix pratiqués actuellement me semblent tout à fait justifiés, dans leur ensemble bien entendu. Et même la transition inexorable vers la dématérialisation ne devrait rien changer, l'économie réalisée permettant très certainement aux éditeurs et bien entendus aux développeurs de respirer un bon coup, quand on sait qu'environ 30% du prix d'un jeu revient au distributeur. Pas étonnant aujourd'hui donc de voir éditeurs et constructeurs pousser le marché de la dématérialisation, conscients du bien qu'il peut leur faire économiquement, mais incapable actuellement de se passer d'une distribution physique. De quoi prévoir un beau bras de fer avec les joueurs.

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...et recentrer le débat

Quand bien même la valeur intrinsèque d'un jeu n'a pas bougé un dix ans, les joueurs n'ont pourtant cessé de critiquer avec vigueur l'évolution des prix. Aujourd'hui confronté à un écosystème économique complexe, il devient donc primordial de se focaliser sur les vrais problèmes, d'un point de vue du consommateur et de l'éditeur. Pour le premier, il n'a jamais été aussi important d'engager l'analyse non plus financièrement parlant, mais qualitativement. La question n'est pas de savoir si un jeu est cher ou non, son prix est ce qu'il est, mais bien s'il vaut son prix. En toute objectivité, les dernières années ont permis d'assister à un indéniable nivellement vers le haut des valeurs de production, voyant des jeux de grande qualité sortir en abondance. Alors qu'on souligne avec nostalgie et à juste titre, l'excellence des jeux rétro, impossible de nier l'incroyable évolution qu'a connue le média. A tous les niveaux, le jeu vidéo n'a cessé de progresser, c'est une évidence. On pourrait d'ailleurs là encore revenir sur une autre idée reçue, celle du raccourcissement inexorable de la durée de vie des jeux et qui expliquerait le grognement ambiant. C'est en effet oublier à quel point on passait il y a quelques années de cela, le plus clair de son temps à mourir et à recommencer des jeux finalement très courts, parfois beaucoup plus courts que ceux qu'on met justement en avant pour cela aujourd'hui. Sans parler des modes multi-joueurs, online ou non. Le jeu vidéo reste tout de même un média parfois difficilement accessible, c'est un fait. Pour autant, son prix semble parfaitement justifié au regard de ce que l'on trouve aujourd'hui sur nos étales. Reste que la question du prix est toujours indissociable de l'achat d'un jeu, est c'est là qu'il est aujourd'hui important pour les éditeurs de penser avec la plus grande des clairvoyances à des politiques économiques pertinentes et en accord avec leurs consommateurs : le virage entamé récemment peut ainsi paraitre brutal, même encouragé par un contexte quelque peu délicat. Se mettre à dos les joueurs serait sûrement la pire chose à faire, d'où l'obligation de trouver des moyens de financements supplémentaires adaptés à la situation et aux clients, mais aussi de repenser la production de jeux de manière globale. Même si la franchise de certains éditeurs est parfois perçue comme de la démagogie, elle le sera d'autant plus si les solutions vont à l'encontre de ceux qui permettent à l'industrie de vivre.

S'il est toujours plus agréable de parler du jeu vidéo pour les expériences qu'il propose (c'est pour ça qu'on l'aime), on ne peut pour autant le dissocier du contexte économique dans lequel il baigne. Un contexte d'ailleurs longtemps chaotique, qui explique en partie le crash de 1983, mais qui est aujourd'hui encore à la recherche de bases solides. Le jeu vidéo étant avant tout une industrie, le contenu reste ainsi intimement lié à ces problématiques financières. C'est d'ailleurs précisément parce que le jeu vidéo est allé trop vite, compte tenu du système économique qui le régit, que cette course effrénée vers la démesure risque de s'estomper. Elle a d'ailleurs déjà commencé. Actuellement sur un plateau technologiquement parlant, c'est l'occasion pour le média de respirer : la prochaine génération de consoles devrait voir les pratiques de jeu évoluer à défaut de la puissance brute, tandis qu'ont voit se multiplier des projets à petits budgets, plus simples à gérer et à rentabiliser, mais qui dès lors, laissent un peu plus de place à la créativité. Le joueur n'est donc pas toujours le dindon de la farce comme on peut l'imaginer : naturellement exigeant, il ne doit pas moins en demeurer tolérant et ouvert aux problématiques réelles liées à une industrie toujours à la recherche d'un socle saint et confrontée en permanence à une évolution à laquelle elle participe mais dont elle est aussi parfois victime.

article original sur : https://www.mygamerslife.fr/