J'ai voulu écrire une petite analyse de ce queFinal Fantasy VIII, à travers le personnage de Squall, pouvait nous enseigner à
propos de nous et de nos réactions, nos approches, notre rapport aux autres. Les
réflexions du héros ne sont pas si superflues qu'elles ne peuvent en avoir
l'air, et c'est un véritable travail de pensée, touchant, qui nous est proposé
tout au long du jeu. Mais avant cela, resituons le contexte.

Final Fantasy VIII a eu son lot de polémique
(comme tous les épisodes de la série ai-je envie de dire), celles-ci portant
surtout sur l'aspect relationnel beaucoup trop prononcé des personnages, en
particulier entre les héros Squall et Linoa... et pourquoi pas? Il n'y a qu'en
appuyant les relations d'amitié et d'amour que les propos qui suivent auraient
pu être développés. Je préviens juste par avance qu'il y aura quelques
spoilers.

Squall est donc un "garçon introverti et
antipathique", comme il se l'avouera à lui-même au cours de l'aventure. Il
s'évertuera toujours à rendre les rapports qu'il entretient avec les autres les
plus concis possible, et lorsqu'il s'agira de s'associer, alors le pragmatisme
sera de rigueur, et jamais Squall n'élèvera ses camarades de classe au-delà du
simple rang de co-équipier. Pas d'amis, parce qu'il n'en veut pas ; ou plutôt,
il n'en veut plus.

Il semble difficile de vivre sans lien social
: c'est que Squall ne semble pas non-plus avoir gardé de contact avec sa
famille, proche ou lointaine, et au fond, seule sa vie de SEED lui occupe
l'esprit, du moins jusqu'au 3ème CD. En réalité, Squall a déjà été servi. A
l'orphelinat, il avait une amie, Ellone, sur qui il comptait, sincèrement. Un
jour, Ellone dû partir, et Squall, resté seul, vit le regret l'envahir et le ronger. En réalité, il était si attaché à
Ellone qu'elle devint une partie intégrante de lui : la voir disparaître, c'était
comme assister à la mort de quelque chose qui faisait qu'il était vraiment lui.
Ellone a tourné les talons, à commencé à marcher, et au moment même où Squall
la perdit de vue, alors elle n'exista
plus
. Elle n'exista plus. Elle n'exista plus car à ce moment-même, elle
était devenu un souvenir. Un
souvenir qui allait l'habiter pendant si longtemps... Et le plus douloureux,
c'est que ce souvenir, parce qu'il est périssable, allait avec le temps modifier
Ellone, petit à petit, jusqu'à ce qu'elle ne représente plus rien. Que
restera-t-il d'elle, treize ans plus tard ? Son prénom ? Peut-être. Son visage ?
C'est déjà moins sûr...

Sachant cela, est-ce alors si choquant de voir
la réaction de Squall lorsqu'il tombe par hasard sur elle, treize ans plus
tard, assise à considérer le sol de la bibliothèque de la BGU ? Squall dit ne
pas la reconnaitre, et que de toute manière, ce qu'elle est ne l'intéresse pas
: il est ici simplement pour demander une information, il repartira la seconde
d'après. Le scénario nous dit que ce sont les G-Forces qui, lorsqu'on les utilise,
effacent nos souvenirs. Dans ce cas, ces G-Forces ne sont-elles pas une certaine
métaphore du temps, de ce temps qui
passe et finit toujours par détruire ce qu'il a créé ? Ici, Squall n'a pas
véritablement "oublié" Ellone. C'est le temps qui a détruit ses
souvenirs d'elle, et l'a finalement rendu insensible à elle. Certains parleront
de guérison. Mais ce qui est le plus triste, c'est de voir à quel point Ellone, avec tout ce qu'elle représentait pour Squall, n'est finalement devenue que
"quelqu'un".

Au fond, Squall a fait une expérience douloureuse,
celle de l'impermanence des choses.
Il s'est depuis promis de ne plus accorder d'importance aux autres, à ces
autres qui lui donnent l'illusion qu'il passera des moments agréables avec eux,
mais qui, fatalement, finissent un jour par disparaître de sa vie : "Les
bons moments ne servent qu'à être regrettés
." C'est ce qu'il dira au cours
de l'aventure, et c'est plutôt vrai. Ces moments de joie ne savent pas être
appréciés sur le coup, car le temps les absorbe trop rapidement. Alors il ne
reste plus que des souvenirs, et au bout, le regret.

Pourquoi faut-il que les autres quittent nos
vies ? Qu'une erreur, qu'un évènement, parfois juste un hasard, fasse que
certaines personnes, que l'on aimait tant et sur qui l'on comptait réellement,
nous abandonnent définitivement ? Rares sont ceux qui vivent tout à fait reclus
des autres - ces autres vivent en communauté, et nous sommes condamnés à nous
attacher à des personnes, à des lieux, à des périodes, dont on sait pourtant
qu'ils nous quitteront un jour en laissant en nous une marque qui prendra du
temps à cicatriser.

Conscient de ce problème, Squall a fait un
choix difficile, celui de ne plus s'enticher de personne, de ne jamais
s'attacher à aucun souvenir, par peur de souffrir une seconde fois - ce qui ne
l'empêche d'ailleurs pas d'accorder une grande importance à son image, préoccupé
qu'il est de savoir ce que les autres pensent de lui. Inconsciemment peut-être,
Squall aimerait que les autres viennent vers lui, découvrent ses secrets,
partagent ses pensées. C'est ce que fera Linoa. Et pour la petite anecdote
amusante, je vous invite à revoir la scène du bal : alors que les deux héros
dansent, Squall fait un mauvais pas, et en ayant assez, il décide de
s'enfuir... en laissant son bras en arrière, comme une demande inconsciente
qu'on le retienne.

Au final, Squall ne pourra pas tenir bien longtemps avec si
peu de contacts. Dès le 3ème CD, cette partie de lui qu'il
déteste, aimante, sensible, empathique, va ressortir après l'électrochoc du
coma de Linoa. Il se rend compte qu'en agissant comme il le faisait depuis sans
doute plusieurs années, il laissait passer beaucoup trop d'occasions de créer
des liens : il perdait sa bataille contre le temps. Certes refuser certains
sentiments et ignorer ses souvenirs désarmait le temps ; mais vivre ainsi ne
pourra que le conduire à une éternelle solitudedans laquelle il se ressassera continuellement ce passé avec Ellone, qu'il
regrette. Alors quoi ? Qu'est-ce que le temps veut bien nous laisser ? Qu'est-il
mieux de faire ? L'impermanence des choses fait que dans les deux cas, nous
sommes plus ou moins condamnés à souffrir de disparitions ; mais dans le
second, d'autres, des gens même simplement de passage, nous soutiennent, alors
que dans le premier, nous restons seul.

Squall le comprend finalement, et souhaitera
se rattraper en faisant tout pour ranimer Linoa. Il comprendra aussi que dans
toute relation, qu'elle soit d'amitié ou d'amour, il faut savoir donner et
recevoir. Savoir parler de soi, et savoir écouter l'autre, sinon ça ne
fonctionnera pas, et le temps nous volera plus vite cette personne que l'on
aimait pourtant. Linoa rentre d'ailleurs un peu dans le jeu de Squall en lui
disant les mots qui le touchent : "Je ne veux pas devenir un
souvenir
". Squall répondra "Exactement". Quant à ses amis qu'il
se sera fait tout au long de l'aventure, bien malgré lui, ils se révèleront
d'une aide précieuse. Ce sont ces amitiés qui le pousseront à aller retirer
Linoa des scientifiques Esthariens, qui lui promettaient une mort rapide. Ce
sont eux aussi qui le conseillent, le poussent à agir lorsqu'il reste passif,
l'encouragent et se battent à ses côtés, l'aident à ne pas se laisser
destabiliser lorsque que la dernère forme d'Ultimécia lui dit : "Pense à
ton enfance. Les émotions à l'état brut. En grandissant, tu as perdu la moitié
de toi-même
".

Squall aurait-il vraiment fait le poids, seul face à l'adversité ? Ces amitiés payent.

Pour finir, on pourra peut-être dire que ce
travail de réflexion sur lui-même est un peu avancé pour son âge (17 ans), mais
après tout, c'est l'adolescence, c'est sans doute la période la plus appropriée
pour être amené à réagir ainsi, puisqu'on y passe beaucoup de temps à changer
d'environnements, de communautés, à ne plus voir les mêmes personnes car on en
fréquente de nouvelles... C'est un perpétuel changement qui peut devenir
éreintant et insupportable, pour qui aime garder ses repères près de lui.

Final Fantasy VIII m'a sincèrement touché pour
cet aspect, qui méritait, je pense, réflexion. Squall n'est pas un bête
stéréotype du personnage laconique, froid et dur. En plus d'un passé, il y a
une démarche de la pensée qui l'amène à agir de manière antipathique presque
contre son gré, et que l'on apprend petit à petit, au fur et à mesure qu'il
ouvre ses souvenirs. De plus, le personnage évoluera vraiment, dans une scène
finale remarquable... Squall erre sur une terre aride recouverte d'un ciel
menaçant. Mais ici, il n'est plus seul. Alors il cherche ses amis, il cherche
Linoa, sans qu'il ne puisse la voir. Jusqu'au moment où, désespéré, il se rend
compte qu'elle ne viendra pas, et qu'une fois encore, en s'étant attaché à quelque
chose qui n'existe plus, il ne connaîtra que la souffrance. On assiste alors à
des scènes des événements passés du jeu, dans lesquels on voit Linoa, mais jamais
clairement. Son visage est flou, ses contours imprécis, on distingue de moins
en moins son visage. On pourrait penser que c'est un effet de la compression
temporelle dont Squall et les autres sont l'objet. Mais il s'agit sans doute de
souvenirs. Squall, brisé et seul, n'a plus qu'à se replonger dans un nouveau
passé qu'il regrette déjà. Or, il sait à quel point les souvenirs sont fragiles
et la mémoire imprévisible. En réalité, il voit un être qui lui est cher
disparaître de sa mémoire, et il est condamné à oublier, une fois encore, jusqu'à ce qu'il meurt de
tristesse.

Sauf que cette fois, Squall ne sera pas
abandonné à ses états d'âme, et à l'inverse d'Ellone, Linoa répondra à ses
appels. Alors la terre aride où Squall évoluait, et qui symbolisait son
éternelle solitude, reprend soudainement vie ; et le ciel noir, dans lequel l'âme de
Squall s'enfonçait et avait fini par se complaire, s'éblouit de lumière. Au
final, Squall lâche un premier sourire. Il a compris à quel point les autres
avaient de la valeur. Il connaît aussi la force de l'impermanence des choses,
mais sait désormais y faire face, grâce à Linoa. Et le regret est un sentiment
qu'il ne compte plus fréquenter, car s'il s'assure de garder ceux qu'il aime
près de lui, alors il n'a plus de raisons de redouter le tourment de ses
souvenirs.