Oubliez tout ce que vous savez de Vertigo (devenu Sueurs Froides en version française) : plutôt que d'adapter le film sorti en 1958, les Madrilènes ont préféré piocher librement dans l'œuvre du cinéaste quelques éléments scénaristiques et visuels pour mieux réinterpréter à leur manière la formule. Le pari est osé, mais l'aventure que nous avons pu prendre en main semble encore loin de pouvoir égaler la maestria du maitre du suspens.

Ed, wake up...

Pour une fois, les compteurs sont remis à zéro : que vous soyez ou non familier de l'œuvre originale dont s'est inspiré Pendulo n'a que peu d'importance, et c'est tant mieux, au vu des nombreux quolibets cinéphiles dont votre serviteur fait trop souvent l'objet ! Du film Vertigo, le studio n'a conservé que l'esprit, et une certaine idée de la mise en scène, pour mieux raconter sa propre histoire. Le personnage de l'ancien policier John Ferguson devient Ed Miller, un écrivain au moins autant en proie à l'angoisse de la page blanche que son confrère vidéoludique Alan Wake.

Pourtant, le scribouillard est lui aussi en proie à un mal étrange : depuis qu'il a survécu seul à un mystérieux accident de voiture, il n'a de cesse de s'inquiéter pour le sort de sa femme et de sa fille... deux figures qui semblent n'exister que dans son esprit, puisque seul Ed en conserve le souvenir. En attendant d'éclaircir ce bien curieux phénomène, une chose est sûre : l'écrivain est incapable de quitter son lit, puisqu'en proie à un vertige permanent.

It's everything I wish I didn't know

Pour tenter de démêler le vrai du faux dans les souvenirs du père Miller, la doctoresse Lomas est appelée à la rescousse. Et c'est un peu là que les choses se compliquent, tant la narration peine encore à déterminer efficacement dans quelle temporalité s'inscrit le récit. Alors certes, d'aucuns pourraient rétorquer que le flou artistique qui nos empêche encore de démêler le vrai du faux aurait toute sa place dans une adaptation d'une œuvre hitchcockienne, mais la sensation qui prime pour l'heure est encore celle d'une narration trop confuse, qui peine à clairement poser ses enjeux dans le temps, tant les flashbacks se mélangent avec des réminiscences qui achèvent de tout mélanger, dans un résultat qui reste parfois difficile à démêler, jusqu'à une séquence jouable salvatrice, dans laquelle le passé commence à prendre forme.

Même les mécaniques pourtant simples qui consistent à explorer de très jolis environnements - mention spéciale à la luxueuse demeure de Miller, entourées d'arbres aux teintes automnales qui plantent parfaitement le décor - ne semblent pas encore tout à fait au clair avec elles-mêmes. Pour en apprendre plus sur l'écrivain, ou tenter de déterminer qui est cette jeune randonneuse venue frapper à sa porte dans l'espoir de trouver de l'aide, on explore des environnements pourtant simples, mais dans lesquels un pas un peu trop hésitant à vite fait de nous emmener trop loin de l'objet à examiner, un comble pour un jeu d'aventure. Heureusement qu'il reste ici et là un bon mot sur l'urinal posé négligemment par terre pour détendre l'atmosphère !

Dissonances

Malheureusement pour nous, la forme ne rattrape pour l'heure pas le fond, puisque la plastique de Vertigo est encore bien loin d'un jeu terminé : les protagonistes semblent tous chercher leurs répliques, comme s'ils avaient bien des peines à mémoriser leur texte, et leurs expressions faciales souvent peu raccord avec leur discours n'aide pas à rester focaliser sur les nombreux échanges. C'est d'autant plus dommage que l'ambiance musicale de Vertigo s'avère au contraire fort à propos, et emprunte au film de genre ses thèmes inquiétants, parfois carrément angoissants grâce à leurs dissonances savamment travaillées par le compositeur Juan Miguel Martín.

Les développeurs ont même réussit à emprunter au film d'Hitchcock quelques unes de ses techniques passées à la postérité, comme le célèbre travelling contrarié, ou à glisser dès les premières minutes le faciès si reconnaissable du maître du suspens. Pendulo Studio ne semble donc clairement pas manquer d'idées, mais il faudra sans doute un temps de développement bien supérieur la feuille de route pour faire de Vertigo le jeu d'aventure déstabilisant qu'il pourrait être... dans quelques mois ! Chez nous, on appelle ça "l'effet Blacksad Under the Skin".

ON L'ATTEND... MAIS PAS MAINTENANT !
Difficile de sortir vraiment enthousiasmé de notre premier contact avec Vertigo : si le jeu de Pendulo Studios semble afficher de véritables intentions artistiques, comme le laisse déjà deviner sa bande-son grinçante, sa technique encore bien loin d'une version finale nous invite à la plus grande prudence. Attendu pour le 16 décembre sur PC et début 2022 sur consoles, il faudra sans doute laisser à Vertigo le temps de respirer pour qu'il puisse véritablement prendre son envol, sans craindre de regarder en-dessous...