Après avoir quitté Eidos Montréal en 2019, Jonathan Jacques-Belletête, directeur artistique sur Deus Ex Human Revolution et Mankind Divided, a rejoint Rogue Factor pour développer Hell is Us. Un jeu d’action-aventure en apparence classique, mais qui cache en vérité plus d’une singularité. Et ça commence par son approche globale qui encourage la réflexion et la soif de découverte du joueur au lieu de le prendre constamment par la main. Rien qu’avec ça, le titre avait su piquer notre curiosité à la Gamescom 2024. Mais désormais avec ce qu’on a appris du directeur créatif et artistique, et de notre prise en main, il a toute notre attention. Ça peut bien être l'une des plus grosses surprises jeux vidéo de 2025.

Revenir aux bases du jeu d'aventure

Hell is Us n’a pas vocation à copier les nombreuses productions AAA de ces dernières années qui ont tendance à souvent se ressembler avec des mondes ouverts gigantesques, et trop guidés, ou encore des cartes saturées de points d’intérêts fréquemment redondants. « Il y a une certaine fatigue du monde ouvert, moi le premier. Je voulais donc m’assurer que ce ne soit pas un open world », révèle Jonathan Jacques-Belletête. L’idée avec ce jeu, qui est donc une licence totalement originale, était d'offrir une approche qualifiée de « Player-Plattering » par son directeur créatif. Une expérience qui supprime les formes traditionnelles d'assistance pour faire confiance au joueur, à sa capacité à explorer par lui-même, à suivre son instinct en observant tout ce qu’il y a autour de lui pour progresser.

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« Ça faisait des années que je tournais ça dans ma tête, j’attendais juste l'opportunité de le mettre dans un jeu. [...]  J'ai toujours voulu un peu laisser le joueur découvrir ce qu'il y a à faire. Un peu comme dans la vraie vie tu sais, ou un peu comme dans les récits », nous confie Jonathan. Notre interlocuteur a notamment pris l’exemple de Berserk et du déroulement de la recherche des God Hand par Guts où il apprend des choses au fur et à mesure. « L’idée fondamentale, c’était de ramener la joie de la découverte et de l’exploration. Souvent les gens me demandent : « J'arrive pas à savoir ce qu’est vraiment ton jeu. Comment tu le décrirais ? » Bah c’est comme un bon jeu d'aventure comme on les faisait avant. On créait un univers, on créait un mystère, il y avait un système de combat, tu partais explorer. Bah voilà, fondamentalement, c’est ça ». Un bon jeu d’aventure à l’ancienne à l’image de The Legend of Zelda A Link to the Past, qui est l’une des rares références revendiquées sans détour par le directeur créatif. Bien sûr, cela a représenté un défi pour l’équipe qui a dû réaliser toute une série de prototypages, mais très vite, les développeurs se sont aperçus qu’ils allaient dans la bonne direction. 

Et pour revenir à un résultat similaire à ces jeux d’aventure d’antan, Rogue Factor a dû prendre une décision radicale qui ferait suer à grosses gouttes nombreux dirigeants de l’industrie vidéoludique. Ici, pas de marqueurs ni de journaux de quêtes détaillant exactement quoi faire. Il y a évidemment des points d’intérêts et des secrets à découvrir, mais ils se dévoilent à travers l’exploration. Et j’avoue que j’ai été un peu déboussolé, en particulier dans un contexte où le temps pour se forger un avis m’était clairement compté. Car autant le dire tout de suite, de par son approche, Hell is Us demande du temps. Ne serait-ce que pour s’imprégner justement de cette philosophie de ne pas être tenu constamment par la main. Cela pourra paraître frustrant, mais ça semble bien être l’une des plus grandes forces du jeu à l’heure actuelle. 

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Pour avancer, on doit glaner des indices en s’adressant notamment aux PNJ que l’on croise, comme ce vieillard qui nous indique qu’on va avoir besoin d’un véhicule pour atteindre une certaine zone, et qu’on va devoir suivre le son de carillons dans la forêt pour le trouver. En faisant passer ce genre d’indications par les dialogues ou les décors naturels, plutôt que par des directives ou de la peinture jaune sur l’environnement, le studio veut retourner à une exploration plus organique où la mémoire est sollicitée ou la prise de notes fortement recommandée. Il faut prêter attention à tout et y compris aux rencontres que l’on peut faire. Car sans cela, la progression du joueur pourrait être bloquée et il sera même possible de zapper des quêtes secondaires. Malgré notre session généreuse, on a encore rien vu, mais pour l’instant, ça semble très bien fonctionner. On a eu qu’une envie : être chez nous, au calme, pour découvrir l’étendue de cette promesse. 

L'univers d'Hell is Us fascine déjà

Si Hell is Us a su nous captiver, et ce déjà depuis quelques trailers, c’est grâce à ce que son world building, son histoire, son univers tout court laissent entrevoir. Le jeu prend place dans le pays fictif d’Hadea, une sorte d’état replié sur lui-même duquel personne n’entre ou ne sort, normalement, déchiré par une guerre civile. On incarne Rémi, un casque bleu, qui a été éloigné de cette région par ses parents lorsqu’il avait cinq ans. Il a ainsi vécu la majeure partie de sa vie en étant baladé d’une famille d’accueil à une autre et pas toujours dans de bonnes conditions. Il a alors développé un traumatisme lié à cet « abandon », qui a été décidé par sa mère pour lui laisser la chance d’avoir une vie meilleure, et maintenant qu’il est adulte, il veut confronter ses parents et en apprendre davantage sur son passé.

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Des sujets et un contexte plutôt lourds qui pourraient presque faire penser à un jeu d’horreur psychologique comme Silent Hill. Et on a voulu en savoir plus sur la façon d’aborder tout cela. « Est-ce que c’est plus léger que Silent Hill ? Je ne sais pas, mais c'est moins personnel. Ça c'est sûr. Dans un Silent Hill, c'est très personnel au personnage principal, puis à l'expérience directe de ce que le joueur doit faire, de ce qu’il doit vivre. Nous c’est plus la toile de fond. Le jeu se passe pendant la guerre civile. On côtoie les gens, on côtoie les événements horribles qui sont arrivés, mais on ne peut pas y faire grand chose ». De quoi nous laisser, encore une fois, extrêmement curieux. D’autant qu’Hell is Us réussit à nous intriguer dès la première cinématique. 

Une séquence où notre héros, qui est revenu illégalement à Hadea, est cuisiné par un étrange personnage qui lui injecte un sérum de vérité. Un protagoniste qui aurait toute sa place dans Dune et qui en impose énormément par son character design. On ne sait pas qui il est, quel est son rapport à Hadea, mais l’introduction nous met dans le bain en distillant la dose adéquate de mystère. Et du mystère, le jeu n’en manquera pas, car le scénario sera sujet à interprétation.

Sur la quête principale, on donne quand même de bons éléments de compréhension. Mais ils ne sont volontairement pas tous là. À travers le jeu, il y a beaucoup de pièces du puzzle, mais probablement qu'on en a volontairement retiré aussi pour laisser place à la discussion, à l’interprétation. Je ne veux pas trop spoiler mais on rencontre un personnage très important qui nous suit tout le long du jeu. Il y a des choses qu'on peut faire avec lui, et il finit par connecter beaucoup de points. À nous apporter beaucoup d'informations par rapport à tout ce qui se passe dans le pays. [...] On peut finir par élucider une bonne partie du mystère, mais c'est toujours raconter un peu d'une façon : « Est-ce que c'est vraiment ça ? Est-ce que c'est la vraie vérité ? » . 

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Pour aborder le thème de la guerre, Jonathan Jacques-Belletête et Mathieu Lariviere, le scénariste principal, ont lu énormément d’ouvrages sur des faits tristement marquants comme le génocide au Rwanda ou encore la guerre de Bosnie. Mais il y a aussi une dimension horreur cosmique qui vient se greffer à cela. « Il n'y a aucun truc de Lovecraftien, mais il y a cet aspect du concept de l’horreur cosmique des trucs qui sont probablement explicables par la science tout ça, mais qu’on ne comprend pas encore ». Et c’est ce mélange qui nous fascine à l’heure d’écrire ces lignes. Il y a l’air d’avoir un très gros travail sur la construction du monde et sur la direction artistique, alors même qu’on a l’impression que ça part « un peu dans tous les sens ».

On a la sensation d’être devant une œuvre quasi « futuriste » de SF, mais avec des références plus anciennes qui, parfois, semblent même littéralement venus d’une autre planète. Et c’est d’ailleurs peut-être le cas puisque le pays que l’on explorera est frappé par une calamité énigmatique. Par exemple, quelle est cette inexplicable grosse boule noire d’origine extraterrestre en apparence au milieu d’un champ qui porte les stigmates de la guerre ? J’ai bien vu un élément qui a pu me mettre sur la voie, mais je n’ai pas été plus loin. Que sont ces créatures blanches avec des trous béants à la tête et à la poitrine qui veulent notre mort ? On a plein d’interrogations. À bien des égards, Hell is Us est réellement subjuguant et donne envie de le découvrir. Jusque-là, c’est donc une belle promesse au niveau de l’approche globale, de l’univers et de la narration, mais quid du gameplay ? La partie « action » de ce jeu d’action-aventure, qui représente 50% de l'expérience quand les autres 50% sont consacrés à l'exploration, n’est pas là pour faire joli. Bien au contraire. 

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Des combats exigeants mais non punitifs

Là encore, le titre semble vouloir se différencier et m’a étonné, malgré sa parenté presque évidente avec les Soulsborne. D’autant que le studio dit être novice dans ce domaine de l’action à la troisième personne. « Nous on n’avait aucune expérience en combat de mêlée à la troisième personne. Il a fallu la construire de toute pièce, ce qui a pris du temps. Mais ça faisait longtemps qu’on voulait ça, qu’on voulait développer une expertise là-dessus chez Rogue Factor » m’explique Jonathan Jacques-Belletête. Pourtant ce que j’ai expérimenté est bien plus abouti qu’il n’y paraît. Dans le fond, on est sur du classique avec différentes armes blanches à disposition pour tuer les créatures. Chacune a forcément ses avantages avec, par exemple, des dégâts plus importants en contrepartie d’une vitesse d’attaque plus faible. Au fil de l’aventure, on pourra également insérer des glyphes ou reliques pour accéder à tout un tas de compétences actives comme passives. 

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On retrouve également toutes les bases avec des attaques simples comme chargées, des esquives, des contres et une gestion d’endurance un peu particulière. Ici, la stamina et la santé ne font qu’un et sont donc dépendantes l’une de l’autre. L’endurance maximale de Rémi sera donc conditionnée par le niveau de santé à l’instant T. De plus, notre personnage peut aussi entrer dans un état d’épuisement, faute d’endurance suffisante, qui ralentit ses mouvements. Il faut donc réfléchir et être constamment sur le qui-vive pour éviter de se manger de mauvais coups. En cas de dégâts importants, il est cependant possible de regagner de la santé après avoir touché un ennemi. Lorsque le coup atteint sa cible, une explosion de particules blanches flotte autour de notre héros. À ce moment-là, il faut appuyer au bon moment sur R1. Mais attention, si vous êtes trop long ou que vous prenez des dommages entre temps, cela anéantira cette fenêtre de récupération de santé.

Et dans Hell is Us, comme dans un jeu exigeant à la Dark Souls et consorts, on peut vite trépasser. Les créatures ne vont pas faire de cadeaux et ne tomberont pas aussi facilement, même si la difficulté ne semble pas aussi élevée que dans les productions FromSoftware. Celle-ci risque d’ailleurs de baisser jusqu’à la sortie puisque c’est un point qui fait encore l’objet d’équilibrages actuellement. La mécanique liée à la santé pousse à rentrer dans le lard des ennemis, plutôt que d’esquiver par exemple, et aussi à vraiment utiliser le contre qui s’avère particulièrement efficace. On n’a pas encore capter totalement le rythme, mais parer les attaques ennemies peut donner lieu à un contre spéciale pour terrasser d’un seul coup les créatures. Quand on y arrive, il y a forcément un sentiment de satisfaction, d’autant qu’on a le droit à une petite animation pour bien nous montrer l'exécution. 

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Au global, les combats d’Hell is Us sont solides et on a hâte de voir la diversité du bestiaire, car les simples créatures blanches que l’on voit dans les trailers ne sont pas les seules à vouloir notre mort. Certaines sont en effet reliées à une autre entité qui doit d’abord être neutralisée. Tant que ce n’est pas fait, il est impossible de diminuer la santé de l’ennemi standard. En sachant que chacune de ces entités bizarroïdes, qui font penser à « »certains adversaires de Control, aura des comportements différents avec un focus sur les attaques à distance par exemple. Les combats sont par conséquent plus profonds qu’on ne pourrait le penser, avec de bonnes sensations, d’autant qu’un drone nous accompagne pour une dose de stratégie et d’aide supplémentaires. 

Au début, il a des utilisations basiques comme distraire les adversaires ou les empêcher d’attaquer en les retenant, mais à mesure qu’on progresse, on peut aussi étendre les fonctionnalités avec des modules. Et même ces fonctionnalités lambda peuvent être d'une grande aide, notamment face aux ennemis qui sont reliés à un autre. Grâce à cela, on peut bloquer la créature blanche pour se concentrer d'abord sur l'entité qui lui offre un bouclier. C'est aussi fort utile pour un contrôle de foule. Toute la partie action a donc l’air suffisamment complète pour ne pas décevoir les amateurs du genre… sauf celles et ceux qui s’attendent à pouvoir personnaliser le personnage principal. Malheureusement, toute la customisation passe uniquement par les armes. Durant cette session intense, j’ai également pu découvrir un donjon. Un lieu souterrain fait de multiples couloirs, avec des raccourcis à débloquer, des ennemis à liquider et au moins une énigme à résoudre. Ce n’était pas bien compliqué, mais ça demande d’être attentif et de souvenir de ce qu’on peut lire par exemple. Faute de temps, je n’ai pas pu aller au bout, mais j’espère que ces environnements réserveront leur lot de surprises. 

On attend Hell is Us… comme l’une de nos plus grosses attentes de 2025 

Même après cette seconde prise en main, il est impossible de juger véritablement du potentiel Hell is Us. C’est un jeu qui demande du temps et de l’investissement, mais qui devrait récompenser le joueur à la fin. Avec sa direction artistique qui s’annonce assez folle, son univers cryptique qui donne envie d’être percé à jour, son exploration organique ou encore ses combats solides, le titre de Rogue Factor a de sacrés arguments à faire valoir. Une proposition surprenante et pleine de promesses par rapport à la masse habituelle qu’il me tarde de découvrir tranquillement, en espérant que l’exécution soit bien à la hauteur…