Après nous avoir posé quelques questions sur ce que l'on recherche en allant voir un film (raté !) ou notre rapport à la contestation politique, Road 96 nous plonge immédiatement dans son univers fait de rencontres, d'asphalte et d'arrêts sur le bas-côté : aux commandes d'un ou d'une adolescente (l'aventure se veut en partie procédurale), il nous faut à tout prix quitter Petria, ce fichu pays aux mains d'un autocrate prêt à tout pour se faire réélire, et qui n'entend laisser personne quitter le pays. Ambiance, même si le réalisateur aime jouer des clichés :

Dans Pétria il y a surtout beaucoup de misère et de galère, la corruption y est une manière presque naturelle de trouver de l'argent. Le jeu est aussi très caricatural, on joue beaucoup avec les clichés et on adore ça. C'était ça aussi les 90s.

Lâchez les chiens !

Pourtant, à en croire les paysages désertiques, les forêts de pins et les caravanes qui rythment les kilomètres, Petria a tout du road movie à l'américaine, et ce n'est certainement pas l'aspect visuel, emprunté aux parcs nationaux, et qui rappelle immanquablement le très narratif Firewatch, qui nous fera penser le contraire. Ce premier contact nous place au volant d'une vielle carriole à l'habitacle savamment aménagé, puisqu'un flyer de l'opposition vient nous rappeler l'imminence d'une élection jouée d'avance, l'actuel président Tyrak semblant contrôler une vaste propagande d'État, et prend un malin plaisir à rattraper les fuyards en lançant à leurs trousses la police, forcément à sa botte. Qui doit évidemment faire du bruit.

Mais la situation politique ne semble guère préoccuper Alex, une auto-stoppeuse ramassée en chemin, trop concentrée à travailler sur son jeu, une copie de Tank 1990 que l'on pourra rapidement essayer (et tenter d'améliorer) après avoir échangé quelques lignes de dialogue, histoire de resituer l'action. Si la jeune codeuse n'hésite pas à nous affubler de tous les surnoms faussement cools de l'époque, le ton change radicalement en évoquant un mystérieux attentat ayant eu lieu dix ans plus tôt, en 1986. Une chose est déjà certaine : il faudra finir plus d'une fois l'aventure pour en comprendre tous les tenants et aboutissants :

Chaque chemin est unique et de nombreuses séquences ne se débloquent pas si facilement. Le joueur va souvent pouvoir s'exprimer à travers ses actions, engendrer sans s'en apercevoir des effets papillons importants qui peuvent faire basculer le destin du pays.

Gilets jaunes fluo

La rejouabilité du titre se laisse entrevoir dès la séquence suivante, alors que notre héroïne se trouve obligée de s'arrêter faire le plein, et de se confronter à l'hostilité du pompiste local. Les nombreuses affiches qui parsèment les environs ne laissent a priori planer aucun doute sur l'issue du scrutin, et les primes de recherches se multiplient, y compris pour ceux qui repéreraient ces vilains ados en fuite, cherchant à passer la frontière. Ni une ni deux, le gus nous fait chanter, et nous voilà obligés de servir rapidement les clients de passage, contraints de répondre à leurs exigences de coût ou de litrage. Tenter d'afficher 12 litres et pas une goutte de plus, voilà un mini-jeu qui n'a absolument rien d'une punition !

Nous ne voulions pas réduire les interactions aux choix de dialogues, ne surtout pas faire un walking simulator car nous aimons le gameplay, au risque d'avoir une forte dissonance ludo-narrative. Chaque séquence est pensée autour de plusieurs éléments-clés du scénario et surtout autour d'une activité gameplay, on appelait ça le "kinder surprise".

Mais la police rapplique fissa, et les possibilités de dialogues qui étaient jusqu'ici assez libres sont parfois conditionnées : si l'on peut gratuitement traiter la flicaille de "fachos" (véridique), il faudra maîtriser l'une des six compétences du jeu (crochetage, porte-bonheur, intelligence, pass gouvernemental, énergie ou hacking) pour se sortir de toutes les situations. La narration manque encore de quelques plans pour rester fluide, mais l'on comprend au vu de l'attitude qui caractérise les autorités locales que la fuite risque d'être bien difficile.

Pourtant, certains choix librement effectués par le joueur auront bien des répercussions in fine, et cette session preview nous laisse à penser qu'en plus de l'exil, Road 96 pourrait ben se terminer par une révolution populaire, ou une transition plus pacifiée à travers les urnes.

On pourra d'ailleurs choisir de taguer les affiches de l'un ou l'autre camp, et pourquoi pas des deux, pour peu que l'on revendique une troisième voie :

Il était impensable de juger les décisions du joueur : il est libre, et c'est l'essence même du road trip. Il faut trouver sa voie, se forger une opinion au gré des rencontres et de la compréhension de ce monde complexe. C'est drôle de voir en playtest comment le comportement des joueurs changent tout au long du jeu, parfois trop tard, avec de terribles conséquences.

Paft Dunk

Road 96 est fait pour être joué et rejoué, et c'est donc sur une toute autre séquence que s'ouvre noter deuxième session, puisque notre ado en fuite se retrouve cette fois mal installé dans le side-car d'une moto lancée à toute vitesse, et pour cause : le duo comique aux commandes vient tout juste d'effectuer un juteux cambriolage.

Sans habitacle, les interactions sont plus limitées, et c'est donc un dialogue de sourds qui s'engage, et permet de profiter de la bande-son de Simon Delacroix délicieusement ancrée dans les années 1990, et qui ne manquera assurément pas de rappeler aux nostalgiques de l'électro les grandes heures offertes par cette décennie.

On pourrait alors croire que Road 96 mise décidemment beaucoup sur ses dialogues, mais ce serait oublier qu'il faudra compter sur de nombreux mini-jeux : exit la pompe à essence, les flics sont une nouvelle fois à nos trousses, et faute de munitions, nous n'avons plus d'autre choix que de balancer une à une les liasses de billets pour tenter de les ralentir. La jauge psychédélique qui apparait alors à l'écran indique le niveau de corruption de la police, qu'il convient de pousser à son maximum pour espérer pouvoir souffler. C'est couillu. Les troupes de Tyrak finissent donc par abandonner, et il nous revient le choix de poursuivre l'aventure à pieds, en bus, puisque plusieurs centaines de kilomètres nous séparent encore d'une douce liberté...

ON L'ATTEND... UN POUCE EN L'AIR !
Fuir et combattre les oppresseurs sur fond d'électro rétro, voilà qui s'annonce de bonne augure pour le nouveau jeu de DigixArt. Les quelques kilomètres avalés nous auront permis de croiser la route de personnalités attachantes, et les quelques mini-jeux proposés laissent espérer des moments de vraies surprises. Espérons que la version finale tienne la distance, ce que nous découvrions d'ici la fin de l'année 2021, sur Google Stadia, PC et Switch.