Gameblog : À la sortie de Legend of Mana en 1999, Vous aviez dû prendre la suite de Kenji Itō et de Hiroki Kikuta : comment avez-vous réussi à adapter votre style de composition à l'univers de la série ?

Yoko Shimomura : J'ai composé en tentant de conserver un regard neuf et en gardant un esprit ouvert, sans trop y réfléchir. J'avais l'impression qu'essayer d'imiter intentionnellement le style des épisodes précédents n'allait pas fonctionner, mais j'avais la conviction que si je respectais les musiques de Kenji Itō et de Hiroki Kikuta, tout se passerait bien.

Le lecteur CD de la PlayStation offrait à l'époque une qualité de son bien supérieure, et permettait une plus grande fidélité de la partition originale. Cela a-t-il changé votre façon d'écrire la musique ? Comment voyez-vous la valeur ajoutée du travail de réorchestration qui tend à devenir obligatoire pour les rééditions d'anciens jeux ?

Si nous avions pu directement diffuser la musique, elle aurait effectivement pu atteindre la qualité d'un enregistrement CD, mais à part quelques morceaux, toues les compositions originales ont été enregistrées avec le synthétiseur interne de la console. Cependant, quelques enregistrements ont été utilisés à des moments où il était possible de directement la diffuser, comme dans la cinématique d'ouverture ou celle de fin. Comme nous pouvions directement enregistrer ces morceaux, nous pouvions incorporer des ensembles de cordes et du chant, ce qui était difficile à faire avec le synthétiseur interne de la console. De nos jours, y compris dans la version remasterisée du jeu, de nombreux morceaux sonnent immédiatement très bien grâce à la console, et il n'est plus nécessaire de les enregistrer avec des musiciens. Cela signifie que l'on peut désormais composer directement avec les capacités du hardware, quel que soit la provenance de l'enregistrement. Il n'existe plus vraiment de restrictions techniques, et je pense que nous sommes plus à même de composer librement aujourd'hui.

Les musiques de la série Mana sont depuis quelques années jouées un peu partout dans le monde, comme ce fut le cas à Paris : quel est votre ressenti face à ces réorchestrations de votre oeuvre ?

Je me sens comme dans un rêve. À l'époque, je ne pensais pas que cela arriverait un jour. J'ai vraiment l'impression que c'est un honneur - j'en suis ravie !

Vos compositions pour la série Mana se distinguent de bien d'autres représentants de l'action-RPG en optant souvent pour une approche plus calme et plus douce, même lorsqu'il faut illustrer des combats de boss dantesques. Est-ce une démarche consciente de votre part ?

Je ne pense pas avoir ce genre de pensée à l'esprit lorsque je compose. Cependant, je donne toujours une priorité absolue à ce que ma musique corresponde à l'atmosphère du jeu, donc si vous avez la gentillesse de penser cela à propos de mon travail, c'est peut-être parce que l'atmosphère de Legend of Mana s'y prêtait particulièrement.

Pour Rise of Mana, on vous a demandé de composer en tant qu'invitée, ce qui atteste de la façon dont vous avez touché les joueurs et marqué l'histoire de la série, que vous la recroisiez ou non un jour. Comment définiriez-vous votre héritage musical dans la série Mana ?

Vous êtes bien trop gentil, car j'ai encore du chemin à faire ! Je dois dire que Legend of Mana m'a beaucoup apporté. C'était une étape importante dans ma carrière, c'était aussi comme un nouveau point de départ, comme si cela m'avait aidé à trouver la réponse à quelque chose... Ce travail a eu un impact énorme sur moi. Si Legend of Mana n'existait pas, alors je pense que ni ma musique ni mon nom ne seraient aussi connus aujourd'hui, ou même que j'aurais finalement été approchée pour composer certains morceaux que j'ai pu proposer en tant qu'indépendante !