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Historiquement, la période des fêtes de fin d'année a toujours été la meilleure pour les revendeurs de jeux vidéo. Même si les sorties ont tendance à mieux se répartir au fil de l'année pour éviter les embouteillages, c'est toujours à cette période que sort une grosse partie des plus gros titres de l'année. C'est également à ce moment que les gens font leurs achats pour les fêtes.

La fin de l'année 2015 ayant été particulièrement chargée en grosses sorties, les revendeurs avaient de quoi se frotter les mains. Et pourtant, comme notre enquête le montre, ce Noël 2015 s'est révélé compliqué pour de nombreux revendeurs indépendants français. Pour Nicolas Lefebvre, responsable de la boutique Playmogames d'Orléans (Loiret), le point de rupture est clair :

Tout allait bien jusqu'au 12 novembre. Après, cela a été la dégringolade. On s'est retrouvé avec une perte de 20% par rapport à l'an dernier.

Les attentats dans le viseur...

Les revendeurs que nous avons interrogés sont relativement unanimes. Pour la plupart d'entre eux, cette diminution soudaine et brutale de l'activité a pu être provoquée par les attentats terroristes de Paris du 13 novembre dernier et la psychose qu'ils ont créée chez les consommateurs. De nombreux secteurs d'activité ont été frappé de plein fouet, le jeu vidéo y compris. Nicolas Lefebvre précise :

Je pense que les attentats ont foutu la trouille à tout le monde. Enfin à une grande partie. Les magasins ont été désertés. Les seules personnes qui sont sorties après ont été voir les Leclerc, Auchan, etc.

L'impact n'a ainsi pas touché exclusivement Paris et la région parisienne, mais bien l'ensemble du territoire français. Brice Achaume, gestionnaire d'une boutique située dans le centre-ville d'Avignon (Vaucluse), est lui aussi catégorique :

C'est clairement, et en très grande partie, à cause des attentats qui ont eu lieu à Paris en novembre. On a ressenti du jour au lendemain que les rues s'étaient vidées, c'était plutôt inquiétant et flippant.

Le commerçant explique cependant que l'activité a fini par reprendre au début du mois de décembre, avec des ventes qui continuaient une fois Noël passé. Mais tous les revendeurs n'ont cependant pas eu cette chance...

Des boutiques prises en sandwich entre la grande distribution...

Thomas Thouron, gérant de la boutique PlayerOne de Saint-Lô (Manche), parle lui aussi d'une fin d'année compliquée. Mais pour lui, les attentats ne sont pas les seuls responsables des mauvais résultats de la fin d'année :

Noël est un mois que nous attendons avec impatience pour faire le plein de trésorerie et préparer les mois suivants qui sont nettement plus calmes. Mais cette année, décembre a été très compliqué notamment à cause de la concurrence des grandes surface et d'Internet.

Au cours de nos discussions, un élément revient : hors situations exceptionnelles, la grande distribution est donc un des éléments causant le plus de tort aux boutiques de jeux vidéo indépendantes. D'après Thomas Thouron, tout le monde ne jouerait pas avec les mêmes cartes, ce qui fausserait profondément la concurrence. Au point que certaines situations semblent clairement abusives, ne permettant pas aux boutiques indépendantes de lutter à armes égales :

Les prix sont tellement agressifs que malheureusement nous ne pouvons pas nous aligner avec eux. Leclerc proposait tous les derniers titres phares de fin d'année à un prix encore moins cher que celui d'Amazon.

Fallout 4 était proposé à la vente à 44,90 euros TTC chez Leclerc, alors que notre prix d'achat hors-taxes était de 45,06 euros. Tous les prix proposés par les grandes surfaces sont moins chers que notre prix d'achat HT chez le fournisseur

... et internet

Sans surprise, l'autre ennemi juré des boutiques indépendantes est internet, et plus particulièrement les sites de vente en ligne. Même si leur système de vente est différent de celui des enseignes de la grande distribution, le problème de fond est le même comme l'explique un responsable d'une boutique des Deux-Sèvres ayant souhaité rester anonyme :

Des sites comme Amazon et CDiscount nous mettent face à une concurrence totalement déloyale. Nous passons pour des voleurs et des cons alors que nous ne gagnons pas d'argent sur un jeu neuf !

Lorsqu'un jeu est vendu 50 euros TTC, ou moins, sur Amazon, nous le payons 50-52 euros HT, ce qui fait un prix TTC de plus de 60 euros. Et comme je pratique une remise de 8% sur les jeux ayant été réservés, cela fait un prix de vente de 64,40 euros.

Je ne gagne même pas 5 euros sur un jeu et je me fais traiter de voleur !

Pour les responsables de boutiques indépendantes, les solutions ne sont pas nombreuses pour faire face à cette concurrence venue de toutes parts. Le sujet d'un changement de législation revient en revanche régulièrement dans les bouches. À en croire Thomas Thouron, il se pourrait même que les revendeurs obtiennent de l'aide de la part d'acteurs importants de l'industrie du jeu vidéo :

Il y a une chose qui pourrait changer la donne, c'est une loi comme celle imposée sur le prix de vente des livres. Tout le monde au même niveau, à 5% près. Ubisoft nous a confié être en train de travailler sur cette idée.

Pour mémoire, la loi Lang de 1981 a instauré un prix de vente unique des livres. Ce dernier est fixé par l'éditeur et doit être imprimé sur la couverture du livre. Reste à savoir si une telle mesure arrivera réellement dans le domaine des jeux vidéo... et si oui, à quelle échéance.

Briser les "street dates", une nécessité pour survivre

En attendant que l'état français leur vienne en aide, les revendeurs voient souvent comme unique solution de ne pas respecter les dates de sortie fixées par les éditeurs. Pour nombre d'entre eux, briser la "street date" est un des seuls moyens de réussir à vendre des jeux neufs au prix que la législation actuelle leur contraint d'appliquer.

Ainsi comme nous l'explique Nicolas Lefebvre, les conséquences pour les boutiques qui s'en tiennent aux dates de sorties officielles se ressentent pendant longtemps :

Respecter les dates de sortie m'a fait rater beaucoup de vente et me retrouver avec des réservations sur les bras pendant parfois plusieurs semaines.

Les stocks de nouveaux jeux commandés par les boutiques sont en partie liés aux réservations effectuées par leurs clients. Lorsqu'une réservation n'est pas suivie d'un achat car le client a trouvé son jeu plus tôt ailleurs, et que ce cas de figure se multiplie, la situation peut rapidement devenir compliquée pour la boutique qui se retrouve avec de nombreux invendus. Respecter les "street date" peut ainsi vite devenir problématique...

Les gérants de boutiques indépendantes n'hésitent donc plus à mettre les nouveaux titres en vente plus tôt que ce que l'espérait leurs éditeurs. Selon eux, les clients ne se soucient plus du prix de vente d'un jeu lorsqu'ils peuvent se le procurer en avance.

Bien évidemment, les éditeurs n'apprécient pas que les revendeurs ne respectent pas leurs consignes. Et ils le font savoir. Si dans certains cas, ils se contentent d'appeler les boutiques pour leur faire part de leur mécontentement, les choses vont parfois plus loin. Thomas Thouron se souvient d'un différent qui l'a opposé à Take-Two Interactive lors de la sortie de Grand Theft Auto V :

Take-Two nous avait appelés car nous avions vendu GTA V en avance et ils nous avaient menacés de nous donner une amende qui nous aurait fait fermer (dans certains cas, les boutiques ne reçoivent leurs exemplaires que s'ils signent un document garantissant qu'ils respecteront la date de sortie officielle du jeu, ndlr).

Au final, Take-Two a fait un tirage au sort dans lequel étaient inclus plusieurs magasins de France qui l'avaient vendu avant et par chance nous avons été épargnés.

En gros, merci de vendre notre jeu pour gagner des clopinettes, autrement dit 15% de marge sur la vente d'un jeu neuf en moyenne, mais si vous le vendez avant, on vous menace d'une amende histoire d'être sûr que vous ne le referez pas.

Un constat amer que l'on retrouve dans la bouche de nombreux de nos interlocuteurs. Malgré ces rapports parfois tendus, et les risques encourus, les revendeurs ne semblent globalement pas décidés à arrêter de vendre les jeux en avance. Il va de leur survie...

Le retrogaming comme bouée de sauvetage

Pour faire face à aux grandes difficultés que met face aux boutiques indépendantes la vente de consoles et jeux neufs, leurs gérants tentent de trouver des solutions. L'une de ces solutions se trouve pour certains dans la vente de consoles et jeux rétro. D'après plusieurs revendeurs, le retrogaming est un des secteurs de leur activité qui pourrait permettre aux boutiques de tenir encore quelques années. Nombre d'entre elles tirent par ailleurs une partie de leur chiffre d'affaires, parfois la moitié, du rétro.

Le problème, c'est que les grands groupes commencent à s'y intéresser eux aussi. Aux États-Unis, le groupe GameStop, auquel appartient le français Micromania, a recommencé il y a quelques mois à racheter et revendre des consoles d'occasion. Il ne serait pas étonnant que Micromania, enseigne elle aussi menacée par la montée du jeu dématérialisé, se mette à son tour au retrogaming. Pour Brice Achaume, cela serait une catastrophe :

Au secours ! Non pas que je craigne pour mon chiffre d'affaire, mais ce serait, je pense, catastrophique pour le marché. Contrairement aux jeux récents qui ont un prix fixe et sur lesquels les clients se renseignent de toute façon par eux-mêmes, sur le rétro, il faut avoir de vraies connaissance tant pour le conseil que sur les cotations en vigueur.

On ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi et de confier ça à n'importe qui. Autrement, le marché risque d'imploser et vue la politique tarifaire du groupe Micromania, j'ai bien peur que ça devienne un vrai foutoir.

Une autre solution réside dans la qualité du service. Et à ce niveau, tous les revendeurs indépendants interrogés semblent d'accord. Avoir une bonne connaissance des produits tout en étant arrangeant et à l'écoute est un moyen de se démarquer de la grande distribution et d'une chaîne comme Micromania. La grande distribution ne dispose pas toujours de vendeurs spécialisés et les chaînes font passer la rapidité devant la qualité. C'est ce qu'affirme Brice Achaume :

Chez Micromania, les recrutements ne se font même plus sur les connaissances comme il y a encore une dizaine d'années, mais sur la capacité à travailler rapidement.

Il ajoute qu'en plus des prix intéressants, qui restent de loin la première préoccupation des clients, ce sont les à côté qui font la différence :

Je répare les consoles et les disques rayés grâce à une machine dédiée, je propose des customisations de consoles, j'organise régulièrement des tournois avec lots à la clé, et je compte prochainement installer une borne d'arcade dans la boutique. Les idées sont nombreuses pour donner envie aux gens de venir dépenser leur argent chez moi plutôt que chez Auchan ou ailleurs.

Malgré cette bonne volonté affichée par les responsables de boutiques indépendantes, ils ne cachent jamais très longtemps leur morosité.

"Aucun avenir pour les boutiques de jeux vidéo"

Converser avec des gérants de boutiques indépendantes en 2016, c'est être mis face à un pessimisme quasi-généralisé. Un pessimisme aussi bien à court qu'à long terme. En parallèle aux problèmes liés aux prix et aux dates de sortie des jeux évoqués précédemment, la menace du jeu dématérialisé plane désormais au-dessus des boutiques de France.

Plusieurs revendeurs n'hésitent déjà pas à qualifier de "mort" le jeu vidéo physique sur PC. Pour ce qui est du jeu sur consoles, ils affirment être pris en étau entre les constructeurs qui cherchent à développer la vente de jeux dématérialisés sur leurs boutiques numériques, et les joueurs qui sont de plus en plus attirés par le dématérialisé. Et comme de plus en plus d'éditeur promettent des accès anticipés, via des bêta par exemple, aux joueurs qui réservent leurs jeux, les boutiques se retrouvent face à un nouveau problème. C'est ce qu'explique Florian Laventurier, vendeur dans la boutique de Saint-Lô :

De plus en plus de clients ne font des réservations que pour avoir clefs bêta. Du coup, nous nous retrouvons dans une impasse lorsqu'il s'agit de savoir quelle quantité d'exemplaires prendre pour telle ou telle prochaine sortie.

À l'instar des précommandes annulées sans prévenir, ce cas de figure peut avoir des conséquences particulièrement néfastes pour les finances déjà fragilisées des boutiques indépendantes.

Désabusé, le gérant du magasin des Deux-Sèvres affirme quant à lui ne pas se faire d'illusion quant à la fermeture prochaine de sa boutique. D'une manière plus générale, il estime que de nombreuses enseignes fermeront en 2016 et qu'en 2017 les clients "chercheront" les boutiques de jeu vidéo. Brice Achaume semble lui aussi penser qu'une partie des revendeurs de jeux vidéo indépendants sont voués à disparaître :

Il y a beaucoup de boutiques indépendantes en France et à ça il faut ajouter les Micromania, les grandes surfaces, les Fnac/Cultura/Boulanger, les Game Cash, Internet, etc. L'offre est beaucoup trop importante et on finit par s'y perdre. Rien qu'en centre-ville d'Avignon, il y a 5 revendeurs de jeux vidéo. C'est totalement absurde et il y en a déjà deux qui sont à deux doigts de fermer boutique. Forcément !

Thomas Thouron est catégorique :

Il n'y a aucun avenir pour les boutiques de jeu vidéo. À tout casser, il nous reste 5 ans vivre !

Entre les charges, la baisse d'activité, et le peu de marge générée sur les produits neufs, c'est quasi-impossible d'espérer un avenir serein pour ce type de boutiques.Le constat est cinglant, il y a bien péril en la demeure ! Comme dans de nombreux domaines, la clef reste ainsi entre les mains des utilisateurs, acheteurs.... joueurs. A eux de savoir s'ils veulent encore de ces boutiques indépendantes. Si tel est le cas, il n'y a qu'une solution : il est urgent de ne plus les déserter.


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