"Bon sang, je n'ai plus de bois. Vite, vite, allons couper des arbres, la nuit va bientôt tomber. Satanée pluie, elle va me faire péter un plomb. Tiens, des carottes ; je vais les ramasser, je suis presque en dèche de bouffe, aussi, et avec l'hiver qui approche... Oh, mais, j'ai entendu des aboiements ! Aïe, aïe, aïe... où sont mes copains beefalos, déjà ? Ca sent le sapin !" - tous ceux qui se sont plongés dans l'excellent Don't Starve ont déjà vécu ce genre de chose, avec ravissement.

Pour l'instant, les jeux de "survie" ouverts comme Don't Starve, héritiers de Minecraft et des rogue-like à la difficulté cruelle, sont encore, somme toute, assez peu nombreux. Mais le jeu indie s'empare de ce genre à gogo. Rien que la semaine dernière, deux Kickstarters alléchants autour de cette formule ont vu le jour : TUG (un Minecraft scénarisé et évolué aux tendances RPG ouvert) et Stonehearth (un jeu bac à sable de stratégie tout mignon). Ce dernier est déjà financé. Et quelle meilleure recette pour jouer du monde ouvert que celle de l'artisanat, de la découverte, de l'exploration, et de la survie ?

Genre naturel du Monde Ouvert

Alors que dans l'édito 52, je prophétisais une multiplication des jeux à mondes ouverts avec l'arrivée des consoles Next-Gen, que ne devraient pas freiner les succès annoncés de GTAV ou Watch_dogs (malgré leurs coûts exorbitants), je pense qu'il n'y aura sans doute pas longtemps à attendre avant que des développeurs de jeux AAA ne s'emparent, eux aussi, de cet autre genre qui prolonge l'action en monde ouvert pour en faire une expérience sensiblement différente, et particulièrement addictive. Car outre l'exploration de mondes en grande partie générés aléatoirement, la mise en place de multiples systèmes et mécaniques croisés permet aussi de stimuler le "tricheur" qui est en chacun de nous ; plus exactement, de se sentir intelligent en trouvant des méthodes astucieuses de combattre les difficultés posées par ces jeux, comme, dans le cas de Don't Starve, découvrir qu'il n'y a pas de meilleur moyen de se prémunir des terribles Hounds qu'en les leurrant dans un troupeau de beefalos, ou encore qu'il est très rentable d'attirer les hommes-grenouilles vers des tentacules tueurs pour ramasser impunément le fruit de leur affrontement, quel qu'en soit le vainqueur.

Et cette difficulté inhérente au genre, elle aussi, fait l'objet d'un retour discret mais plus global, depuis quelques temps, dans différents genres. Si le gros de la production reste cadenassé par le besoin d'une accessibilité que certains développeurs confondent parfois avec une absence de défi ou un excès de tutoriaux pour débiles (big up à Far Cry 3 Blood Dragon pour s'en être si savoureusement moqué), il semble que des titres comme Dark Souls, DayZ, Trials Evolution, Don't Starve (encore lui), ou d'autres, remettent des formes variées de difficulté et de découverte sur le devant de la scène, et avec succès. Certes, pas celui rencontré par un Call of Duty, mais tout de même. Difficulté et enjeux participent également à l'immersion : il suffit pour s'en convaincre de se rendre compte du niveau de concentration, d'attention, et de "plongée" qu'atteint un joueur de Don't Starve, titre pourtant en 2D rigolote au monde plat et finalement peu immersif visuellement, simplement parce qu'il sait que la moindre erreur peut mettre définitivement fin à sa partie par l'intermédiaire d'un "permadeath" impitoyable. Lequel, même s'il peut être évité par l'intermédiaire de certains objets, continue d'influencer le comportement du joueur qui ne veut même pas cramer sa Meat Effigy (un objet qu'on peut construire et qui permet de ressusciter une fois) et ne prendra donc pas beaucoup plus de risques que s'il n'avait pas ce filet pour le sauver d'une fin de partie.

Des jeux sans fond

Sans vouloir saluer le retour des Inconnus, il y a les bons jeux sans fond, et les mauvais jeux sans fond. Les premiers, ce sont les jeux dans lesquels on s'enfonce sans en voir le bout tant ils sont riches, et les seconds, ce sont les jeux qui ont tant privilégié la forme qu'il en ont oublié le reste. Il faut dire que ces dernières années, la course au visuel, à la technologie, et surtout l'avènement de la 3D, n'ont pas toujours aidé à enrichir les gameplays, à les rendre plus profonds (mais pas nécessairement plus abscons), et beaucoup des jeux "difficiles" qui ont connu le succès ces derniers mois ont fait le choix d'une technique souvent plus simple, voire carrément de la 2D. Il n'y a pas de secret. Mais justement : à mesure que la technologie continue de tirer le jeu vidéo vers l'avant (en tout cas dans une direction) et que les méthodes de production se raffinent pour devenir plus efficaces en temps/homme, nous nous approchons certainement d'un tournant que je verrais bien permettre la production de titres AAA qui, avec ce que cela sous-entend comme valeurs de production, joueraient les cartes de game design défrichées par les indies avec ces titres récents. D'autant que sans nul doute, la perspective économique d'un succès à la Minecraft, soutenu par les promesses sociales et réseau qu'annoncent les nouvelles consoles, ne manquent pas de faire rêver de nombreux éditeurs par l'odeur du bifton alléchés.

C'est peut-être un voeux pieux de ma part, tant je ne décroche plus de Don't Starve et me prends à imaginer ses héritiers next-gen, mais sous l'angle d'un contexte économique moderne, un AAA dans ce genre, réussi et malin, pourrait aussi continuer à ramener de sous à son éditeur au travers d'une infinité de DLC réguliers, à l'heure où la plupart d'entre eux restreint le nombre de ses licences pour se concentrer sur celles qui marchent et limiter les risques. Il y a donc là peut-être moyen de créer de nouvelles poires pour la soif, de nouvelles poules aux oeufs d'or même, moins coûteuses qu'un MMO voué à affronter les ténors du free to play que sont les World of Tanks et compagnie déjà fermement campés sur ce marché. En tout cas, personnellement, maintenant que j'ai atteint une quasi-autonomie alimentaire dans mon campement principal après 87 jours de survie, je peux attendre patiemment, en grillant mes lapins au coin du feu, une relève qui pourrait ne pas trop tarder... et que j'accueillerais à bras ouverts s'il ne faisait pas si froid.