Certes les livres ne se vendent plus autant qu'avant, mais ça ne veut pas dire qu'au pays du tout digital la lecture a perdu en popularité. Le moyen de lire a évolué, passant du papier à un format dit plus "personnel", et surtout en phase avec son temps... Je veux bien sûr parler du téléphone portable (haha, non, pas de l'iPad !).

Les gens ont des tas de choses à dire, à partager, et ils le font savoir via l'écriture. Le "keitai" (téléphone mobile au Japon), par sa nature portable, est souvent perçu comme la plate-forme la plus personnelle qui soit. Certains fabricants lancent donc des modèles avec la lecture digitale en tête. Il n'est pas rare, pour ne pas dire courant, de voir des lycéens récompensés pour un premier ouvrage qui s'est vendu par millions d'exemplaires via les téléphones en "self publishing". Les adaptations ciné ou télé de ces livres se multiplient d'ailleurs depuis 2 ans.

Aussi, il est difficile pour une révolution annoncée comme l'iPad de passer inaperçue dans l'archipel. Certes, il a suscité un mouvement de masse à sa sortie aux US, et ça, ça intrigue toujours les japonais friands de ce genre de phénomènes, surtout avec l'iPad qui est supposé révolutionner la lecture (et tout un tas d'autres trucs).

Pour être honnête, je n'ai pas assisté à une sortie aussi animée que celle de l'iPad depuis le lancement de Windows 95 à Akihabara (je me rappelle de la messe Windows célébrée par son Pape Bill, devant une foule surexcitée). Une fois encore la fête (littéralement) fut célébrée à travers tout Tokyo par des gens qui étaient réellement excités par la dernière trouvaille de Steve.

Les personnes âgées se sont même investies dans la magie de l'iPad. C'est certainement le signe le plus impressionnant de la révolution en marche. Des personnes qui d'habitude ne touchent pas à un ordinateur (même un Mac) naviguent aisément sur la tablette, ils se surprennent eux-mêmes à utiliser cet ordi déguisé, ils s'émerveillent sur la facilité de lecture, avec les textes s'adaptant à leur niveau de vue...

Les japonais parlent souvent de leur iPod comme de leur "Walkman", et de l'iPhone comme du smart phone par excellence. Est-ce à dire que l'iPad est destiné à devenir l'autre "must have" du quotidien nippon ?

Oui, mais non.

L'iPad émerveille donc beaucoup de gens ici, mais il en agace aussi tout autant. Il émerveille car c'est un nouvel exemple criant du génie d'Apple, qui est capable de vivre avec son temps et de créer LE besoin de son époque. Il agace car c'est aussi un nouvel exemple des limitations imposées par la firme de Cupertino.

Quand on parle livre au Japon, on ne peut évidemment pas passer à côté de la culture manga. C'est non seulement une industrie colossale, mais aussi un élément culturel qui fait partie de la vie japonaise au quotidien, toute classes d'âge confondues. Et là, ça grince des dents dans les maisons d'édition de manga, et pas forcément parce que l'iPad est vu comme un concurrent du support papier.

Le manga a déjà adopté le format digital. Ce changement s'est effectué en même temps que les mobiles japonais standardisaient les "larges" écrans HD. Armé de cette distribution digitale, il est même parti conquérir la Chine avec un franc succès. Donc non, les éditeurs n'ont pas de problème avec le format digital.

Leur ressentiment grandissant est en réalité orienté contre le business modèle d'iTunes. La firme de Steve Jobs aurait déjà refusé plus de 30% des mangas soumis par les différents éditeurs nippons. Cela semble toucher certaines grosses licences, récentes ou passées, voir des pans entiers comme les Shojo mangas. La raison avancée à chaque fois pointe du doigt la violence de certaines scènes, le contenu à vocation "mature", une goutte de sang ou une silhouette provocatrice.

Lire les mangas sur un format digital comme l'iPad est certainement le rêve des japonais et des éditeurs qui y voient un moyen, non seulement de baisser considérablement les frais de fabrication et de distribution, mais aussi de toucher un plus large public au niveau international, depuis le confort de leur siège au Japon.

De plus, il y a un mouvement grandissant de self publishing chez les jeunes mangakas, à la manière des lycéens qui écrivent sur leur mobile. Certains expérimentent sur le fameux Kindle d'Amazon. De nouveaux éditeurs de manga orientés digital se font jour et le marché grossit. Il pourrait potentiellement exploser si une plate-forme voulait bien les accepter, sans censure.

Malheureusement, l'iPad ne semble pas être le messie attendu (dans la situation actuelle) et semble donner sa chance à la concurrence pour occuper la place de leader au Japon. Sony a annoncé une alliance locale pendant que son Comic Reader sur PSP souhaite obtenir plus d'attention.

Mais au final, une solution locale n'est pas forcément ce que désirent les japonais. L'iPad n'est pas en cause, c'est le système fermé qui en régule le contenu qui l'est. Certains japonais expriment leur incompréhension face à Marvel, qui semble bénéficier de plus de liberté. A l'image de l'étalage un peu clairsemé du Book Store nippon sur iTunes, le contrôle jugé excessif d'Apple aujourd'hui pourrait (semble-t-il) pousser les éditeurs locaux à donner leur soutien à une autre plate-forme, une qui soit adaptée à leurs besoins et à leur catalogue.

Une chose est sûre en tout cas : les japonais auront leur "Manga Digital Reader". Reste à savoir si ce sera Apple, avec une nouvelle approche du marché japonais, Sony ou encore un autre. Une fois n'est pas coutume, le Japon pourrait bien se voir forcé de choisir les Galapagos pour sa future tablette à tout faire, dont la lecture digitale...

Christophe Kagotani

Christophe Kagotani

Japonais ou français, comme ça l'arrange, le Kago (comme on l'appelle) est correspondant permanent pour le magazine anglais EDGE depuis pas loin de 10 ans. Il a néanmoins débuté aux mêmes fonctions dans le magazine Joypad, pour un échange de légende qui l'a ensuite emmené chez Consoles+ "tu le crois ça ?" magazine (© AHL, 1798).

Ecrivant également pour la presse locale nipponne, il a évolué vers un rôle d'analyste et d'homme à tout faire dans le monde du jeu vidéo japonais.