Si l'on devait assimiler les idols à une classe de Final Fantasy, ce serait sûrement celle des Mages Rouges. Les idols sont souvent de jeunes filles, mineures, aux multiples casquettes : chanter, danser, voire jouer de la musique, sont autant de compétences nécessaires à toute bonne idol qui se respecte. Vous remarquerez que je n'ai pas utilisé l'adverbe "bien". Le public japonais n'attend pas de ces gamines qu'elles soient de talentueuses artistes, on leur demande simplement d'être mignonnes et, surtout, célibataires, idéalement vierges et n'utilisant jamais de termes ou de gestes grossiers. L'innocence de ces jeunes filles est une caractéristique tout aussi importante que leur beauté aux yeux de leurs fans.

Dans la majorité des cas, les idols se rassemblent en groupes (ou "units") composés de 3 à plus d'une centaines de membres. Chaque unit possède son propre nom, son propre costume et un thème bien défini, le plus célèbre étant bien entendu le groupe AKB 48 avec ses quelques 130 membres vêtues de tenues d'écolières qui se produisent quotidiennement. On pensera également à Momoiro Clover Z et leurs costumes qui rappellent énormément ceux des Power Rangers, ou encore les Baby Metals qui allient avec plus ou moins de justesse la musique métal et la "kawai-attitude".... Bref, il y en a pour tous les goûts !

Ainsi, les fans japonais ont un large choix de groupes à soutenir, et encore plus de jeunes idols à suivre. Qu'elles soient brunes ou blondes, aux cheveux courts ou à couettes, qu'elles aiment la pop ou le rock, le rose ou le bleu, ou encore les brocolis ou les sucreries, cela représente autant de critères sur lesquels se basent le public japonais pour désigner leur idol préférée.

Il était temps pour moi de partir à la rencontre de ces idols en devenir et de leur fanbase.

Les concerts du vendredi après-midi

J'ai donné rendez-vous à mes amis un vendredi soir après le travail, à 19h30 à Shibuya, devant la salle de concert Tsutaya-West. J'avais pu récupérer quelques pass invités pour l'Otodoma Records Girls Festival Volume 2, un festival pour public averti où une demi-douzaine de groupes de jeunes idols encore inconnues au bataillon se produisaient pour, peut-être, percer dans le monde cruel du divertissement nippon. C'est un peu comme aller voir un concert où ne se produisent que les candidats ayant échoué à la première session de sélection de La Nouvelle Star... Pourquoi pas ?

A l'extérieur de la salle, il n'y avait pas de file d'attente et le staff se faisait discret. Nous commencions à douter de l'existence de ce concert jusqu'à ce qu'un japonais avec une barbe de trois jours viennent nous indiquer le chemin. Attendez. Un japonais avec une barbe de trois jours... C'était le premier signe que nous allions vivre un moment exceptionnel !

Etonné par l'absence de vie à l'extérieur de la salle, je demande à notre nouvel ami où se trouve le reste des spectateurs. Celui-ci m'explique que nous sommes en retard et que le public est déjà dans la salle depuis 15h de l'après-midi, il y a donc plus de 4 heures de cela. Un vendredi.

C'est effectivement très courant pour les Idols de petit calibre de se produire en semaine et en journée dans des magasins de musique (encore très populaires au Japon où l'industrie du CD est en pleine forme), ou encore dans des centres commerciaux. Il est donc logique que leurs concerts soient calqués sur ces horaires.

Dans le sas qui nous sépare de la fosse, nous pouvions déjà entendre le "boum boum" des basses et les voix aiguës des jeunes artistes sur scène. idols, nous voilà !

La salle de concert comme si vous y étiez

Nous pénétrons dans la salle où les "Hey ! Hey ! Hey ! Hey !" des fans en délire se font entendre, comme pour saluer notre arrivée dans leur saint sanctuaire. Il y avait une cinquantaine de spectateurs présents. Face à eux, sur une scène surélevée, dansaient quatre jeunes filles micro à la main.

Derrière nous se trouvaient les casiers à côté desquels étaient soigneusement disposés les sac à dos des spectateurs, ainsi que quelques fans en sueur qui faisaient une pause entre deux chansons. À notre gauche, un bar tenu par deux hôtesses proposaient des canettes de Heineken pour 4 euros. Enfin, on pouvait apercevoir un deuxième niveau réservé aux idols qui attendaient patiemment leur passage en jouant sur leur smartphone ou en parlant avec leurs collègues. Sous la barre de sécurité derrière laquelle étaient assises les idols était écrit : "No Photo ! No Video !".

Coups de pied et inspirations profondes

Les premiers pas dans la salle de concert ont été très violents. La musique est forte, très forte. Et rapide aussi. Les rythmes upbeat des chansons à base de synthés bien kitsch et de basses imposantes mêlés aux voix suraiguës des jeunes idols est une expérience physiquement éprouvante. Chaque coup de grosse caisse est comme un coup de pied que l'on prend en plein coeur à plus de 140 bpm : "KICK, KICK, KIKIKICK, KICK, KICK, KIKIKICK...".

Le chant des jeunes filles est également... particulier. La musique est tellement forte qu'elles ne peuvent chanter normalement leurs paroles, mais sont obligées de les crier tout en tentant de maintenir un débit soutenu. Malheureusement pour elles, après deux minutes sur scène, le souffle se fait déjà court et chaque couplet se retrouve ponctué d'une inspiration profonde et bruyante fidèlement rendu par leur micro sans fil.

Les chorégraphies de ces petites idols nous ont également laissé dubitatifs. Les demoiselles sont rarement synchronisées, les pas ne semblent pas maîtrisés, comme si elles laissaient leurs membres flotter au gré du vent à chaque déplacement. Les chorégraphies ne sont tout simplement pas impressionnantes. Leurs mouvements manquent de grâce et les pas sont d'une simplicité affligeante. La sueur et leurs inspirations aidant, nous avions l'impression d'être devant un groupe d'étudiantes éméchées jouant pour la première fois à Just Dance.

Sur scène, la déception était grande. En revanche, nous avons rapidement compris que ce n'était pas là que le spectacle avait lieu. Les vraies stars de la soirée n'étaient pas les idols, mais bien les fans qui se donnaient depuis plus de 4 heures pour la dizaine de mineures qui se succédaient sur scène.

Les spectateurs dans la fosse, les vraies stars du concert

Une femme. Il n'y avait qu'une seule femme dans la fosse. Les cinquantes spectateurs restants étaient tous des hommes, âgés entre 20 et 50 ans environ. Les fans au chômage ou ayant pris un jour de repos portaient un t-shirt à l'effigie de leur idol préférée, tandis que les retardataires qui sortaient du bureau, veste enroulée autour de la taille et chemise déboutonnée. Les accessoires sont également un élément important de leur arsenal : bandeaux ou bracelets absorbant la sueur, bracelets colorés, sticks fluorescents, serviettes ou casquettes aux couleurs de leur groupe favori... j'avais rarement vu des fans aussi bien préparés pour un concert.

Leur préparation ne se limitait pas uniquement aux objets qu'ils avaient apporté avec eux, mais aussi aux chorégraphies qu'ils avaient préparé... vous avez bien lu ! Pour montrer leur affection et leur dévotion à leur idols favorites, les fans se retrouvent régulièrement avant les concerts pour créer des chorégraphies en réponse à leurs chorégraphies. Le résultat est, selon moi, l'une des plus belles et plus émouvante preuve de soutien qu'un fan puisse faire à un artiste.

Contrairement aux idols dont les performances étaient au mieux médiocres, leurs fans effectuaient leurs propres chorégraphies avec une ardeur et une justesse qui forcent le respect. Je comprenais enfin pourquoi certains spectateurs se reposaient en nage près des casiers. Ces fans ne sont pas spectateurs du show, ils en font intégralement partie.

Cela se traduit par des danses que les fans effectuent en réponse aux pas des idols, à des cris qu'ils feront pour rythmer certains passages des chansons voire l'ajout de paroles qu'ils auront eux-même rédigé pour scander leur dévotion à leur idol. C'est plus qu'une simple expérience interactive entre un artiste et son public, c'est la matérialisation d'une vraie connexion entre ces deux entités qui ne sont rien l'une sans l'autre.

Malaise culturel

C'est une fois que l'on associe tous ces éléments ensemble que le concert prend une toute autre dimension. On accepte la musique trop forte, les chants trop faux et les chorégraphies peu travaillées pour se laisser emporter par l'euphorie générale. On comprend que ces hommes ne sont pas venus voir une performance artistique, mais qu'ils sont venus chercher du réconfort et un sens à leur vie qui se matérialise par le soutien qu'ils donnent à ces jeunes femmes en devenir. Et c'est aussi à ce moment que le malaise s'installe.

La jeune fille qui apparaît dans ce tweet était l'une des idols présentes lors du concert, elle n'a que 14 ans. Il y a quelque chose de dérangeant quand on sait que des jeunes filles mineures se produisent pour des publics composés quasi-exclusivement d'hommes ayant parfois l'âge d'être leur père. Ils crient pour elles, dansent pour elles, transpirent pour elles. L'excitation ambiante est palpable et il est parfois difficile de savoir d'où provient vraiment la passion de ces hommes envers ces jeunes filles, qui se trémoussent pour eux en petite tenue.

Si vous êtes intéressé par le monde des idols, je vous invite grandement à visionner le documentaire "Tokyo Idols" (dispo sur Netflix), qui développe les dessous sombres des relations entre fans et idols au Japon. De mon côté, ce fut une expérience très... étonnante, qui me marquera encore pour très longtemps, mais pas nécessairement pour les bonnes raisons. Mais c'est aussi cela qui est palpitant au Japon, on ne sait jamais quel type d'expérience on peut vivre et on est toujours surpris. Allez, je vous dis au mois prochain pour un nouveau numéro de "Japonais à Volonté" !