6 ans après Public Ennemies, voici enfin le grand retour de Michael Mann à la réalisation. Un retour qui sera malheureusement bien confidentiel. Devant l’échec cuisant au box-office US et les critiques peu flatteuses outre-atlantique, Universal France a tranché. Hacker (Blackhat en VO), le dernier né du réalisateur de Heat et Collateral, n'est distribué que via 84 copies sur le territoire français, de quoi définitivement enterrer la popularité du film. Les amateurs du cinéma de Mann risquent ainsi de passer à coté d'une pièce essentielle de sa filmographie.

 

La plupart des films de Michael Mann se sont attachés à plonger le spectateur dans les divers milieux underground du monde moderne. Centre pénitentiaire, braqueurs de banques, et autres réseaux qui sont nourris par des approches très documentées des cadres en question. Mann n'hésite pas à faire participer de vrais détenus sur The Jericho Mile, ou d’authentiques perceurs de coffres sur Le Solitaire, pour livrer une description pointue, riche, et crédible de ces univers. Pourtant, le cinéaste n'est certainement pas à catégoriser dans un mouvement réaliste. Car chez l'auteur de Miami vice le contexte n'est pas un sujet sur lequel un film doit se laisser porter, mais bien un écrin pour les introspections des divers protagonistes traversant sa filmographie. Entre minutie du détail et pure expérience sensoriel, le cinéma de Mann tend vers un romantisme urbain flamboyant. En cela, Blackhat s’inscrit totalement dans cette continuité.

 

L'empreinte du cinéaste est bien là. Pionner et maître du cinéma digital, Mann met une nouvelle fois une grande claque visuelle. Comme dans ses précédant films, les scènes nocturnes brillent de mille feux et reflets. La composition des plans est toujours aussi minutieuse. Les fusillades en caméra portée portent indéniablement la marque du réalisateur: intenses, brutales, et où chaque impact se fait ressentir par un puissant sound design. Mais le principal challenge du film repose dans son statut de techno-thriller. Le monde du hacking n'est en effet pas forcément des plus ciné-génique, car il est bien difficile de rendre captivant des personnages qui restent devant leur écrans. Blackhat n’échappe pas à quelques baisses de rythme quand il s'agit de taper du code, mais le métrage a le mérite de montrer des lignes de terminaux et méthodes de hacks tout à fait convaincants. Mais outre la représentation fidèle du milieu, la mondialisation numérique trouve une résonance toute particulière dans la filmographie de Michael Mann.

 

 

 

Alors que l'homme a virtuellement accès à toutes sources d'information dans le monde du tout connecté, il est pourtant plus isolé que jamais. Le monde est ici vécu à travers une glace, comme dans les autres films de Mann, mais aussi masqué par un écran. Dans cette optique Nicholas Hathaway (Chris Hemsworth), cybercriminel incarcéré à qui le gouvernement américain et chinois fait appel, est bien la quintessence du personnage «mannien». Il est Thief, celui que la prison transforme en criminel. Il est aussi Manhunter quand il se plonge dans le mode de pensée de sa proie. L'homme chez Michael Mann cherche un échappatoire à sa situation (un ultime casse pour les braqueurs de Heat et Le Solitaire), et celui d'Hathaway est de refaire corps avec le monde. Quand il démarre son enquête il n'est qu'un fantôme (il utilise le pseudo Ghostman), à travers les vitres de voitures, il voit la vie défiler à distance tel le Vincent de Collateral. Chris Hemsworth a la présence nécessaire pour donner vie aux obsessions du réalisateur, il campe un personnage dont l’assurance physique dissimule une âme à la dérive.

 

Parmi les éléments qui peuvent amener à la salvation, la romance tient un place importante dans l'équilibre des personnages majeures du cinéaste, et Blackhat suit bien entendu cette voie. La relation entre Hathaway et Lien Chen est la première étape vers le retour au sens, au contact, au vraie valeurs humaines. Les différents sites géographiques visités, quant à eux, le guident progressivement vers le fourmillement et l’effervescence culturelle, des ruelles de Hong Kong jusqu'au folklore de Jakarta. Dans cette dernière location, le festival traditionnel de Tawur Kesanga, la veille de Nyepi (le jour du silence, soit le nouvel an indonésien), devient le théâtre de l'affrontement final. La cérémonie est célébrée afin de restaurer la balance naturelle du monde, et purger les démons de la terre. Au milieu de cette foule, Hathaway se meut telle un ombre invisible, bien décidé à détruire le système et à en sortir. La portée symbolique de ce climax, en plus d'offrir un cadre magnifique, finit d’asseoir l'ambition narrative du projet et de le définir comme l'évolution logique du cinéma de Michael Mann.

 

 

Blackhat n'est pas tant un film de hacking, que le portrait déceptif de l'homme connecté. Le talent scénique de Mann qui n'a rien perdu de son souffle, et le voyage sensoriel de Hathaway placent le film en digne représentant de l’incontournable œuvre du cinéaste.

 

Cet article a été originellement publié sur Chronics Syndrome :

chronicssyndrome.wordpress.com/2015/03/19/critique-hacker/