La NES s'est révélée être une véritable bouée de sauvetage pour l'industrie du jeu vidéo. Cliniquement morte, cette activité jugée marginale à l'époque a considérablement renforcé sa santé financière sous l'égide du visionnaire Hiroshi Yamauchi. Sous son autorité, des hommes brillants (Gunpei, Miyamoto...) se sont affairés à construire puis entretenir cette légendaire console.
 
D'autres n'ont pas bénéficié de la même lumière médiatique, mais ont occupé des postes déterminants dans le destin doré de la NES. C'est le cas de Masayuki Uemura, responsable en chef du département hardware de Nintendo. Ce dernier est sorti de l'anonymat (en tout cas pour moi) à l'occasion d'une interview accordée à... Weekly Playboy (en avril dernier).
 
Il explique que sa vie professionnelle a basculé lorsque "Yamauchi nous a envoyé une missive nous ordonnant de plancher sur un appareil permettant de jouer à des jeux d'arcade sur le téléviseur". Il n'était pas prêt. Les Game&Watch, sa grande fierté, s'arrachaient par milliers dans les magasins : "je pensais que l'avenir de Nintendo s'inscrivait durablement dans ce créneau". Son département, cannibalisé par la section spécialisée dans les G&W, s'était même réduit à portion congrue, composé de seulement "trois membres" (!). L'homme avoue son pessimisme, il pensait alors s'engager "dans une bataille perdue d'avance". Ses notes d'époque qu'il a jalousement conservées traduisaient ce défaitisme "je ne vois aucun avenir dans ce secteur".
 
L'aura (et surtout l'autoritarisme) de Yamauchi lui aura fait ravaler ses premières craintes. Uemura retrousse ses manches, accompagné de ses trois compagnons de fortune. La concurrence est expertisée. Le succès écrasant de l'Atari 2600 est érigé en référence. Par facilité ? Pas vraiment : "je pensais que je pouvais l'utiliser comme modèle [...] malheureusement, sa conception technique n'était pas bonne. Un challenge de taille s'imposait à nous, nous avions pris la décision de concevoir une console de grande qualité, à hauteur des machines d'arcade".
 
Nintendo a beau commercialement exceller avec ses G&W, ce n'est pas pour autant qu'elle devient un partenaire industriel crédible. Le responsable de la branche Hardware à toutes les peines du monde à trouver un équipementier : "aucun fondeur ne voulait travailler avec nous et lorsque nous en avions trouvé un, les puces provoquaient des bogues d'affichage". Les négociations sur le prix d'achat des processeurs ont été âpres. L'objectif de Nintendo était de décrocher un tarif n'excédant pas 10 00 Yens. Un prix intenable pour le fondeur qui cèdera "à 14 800 Yens" alors que les premiers chiffres avancés tournaient autour de "20 000 voire 30 000 Yens".
 
Le prix de vente final représentait une obsession pour le président de Nintendo. Sans pour autant renoncer à ses propres caprices. Dans l'imaginaire collectif, la couleur rouge criard qui habille la coque de la Famicom a été choisie en raison de son supposé faible coût. Ce que dément Uemura : "nous avions d'abord opté pour un film en acier, cependant sa trop grande fragilité nous a orientées vers le plastique dur. La couleur rouge est une fantaisie du président. Il aimait porter une écharpe rouge foncé. Pour un dirigeant de cette envergure, c'était une manière d'apposer personnellement sa marque sur ce projet".
 
Uemura n'échappe pas à la volonté propre à tout créateur, de poser l'entière paternité sur cette console. Son nom a été débattu en interne. Des dénominations usuellement appliquées revenaient sans cesse, telles que Personnal Computer et Home Computer. Toutefois : "je réalisais que le terme famille n'avait pas encore été utilisé. Il évoquait cette image où toute la famille est réunie autour du jeu Kotatsu [...] j'ai pensé que Family Computer serait approprié". Les médias se sont très rapidement appropriés le nom commercial, en préférant la contraction Famicom : "une idée de ma femme [...] néanmoins mon patron s'y est opposé". Il objectait une marque peu évocatrice : "Family Computer est beaucoup plus aisée à comprendre". Il sera bien évidemment désavoué, la préférence des japonais pour les formes abrégées l'emportera sur la désignation descriptive et plus terre à terre de l'objet.
 
Trente années ont passé depuis le lancement de la console. Le brillant ingénieur, rattrapé par son âge avancé (69 ans), travaille comme conseiller de haut niveau et dispense quelques cours magistraux dans une prestigieuse université de Kyoto. Pour Uemaru, la NES était à la croisée des chemins. En dépit de ses capacités techniques limitées, "les joueurs ont comblé ses lacunes avec leur imagination". Il peste contre les consoles modernes qui prennent désormais en charge cette précieuse capacité d'abstraction : "avec la Famicom, chaque joueur percevait d'une manière très personnelle le monde qui leur était représenté".