Un petit quart de siècle aura durement éprouvé l’impatience des fans de la saga des Streets of Rage. Entre faux départs et versions informelles jalousées par un Sega définitivement plus fort que toi, cette belle endormie sortira de son long sommeil grâce à un trio de petits studios francophones habité par une rage passionnelle. Voici comment…

Biberonné par un Sega autrefois au sommet de sa forme créative, Cyrille Imbert, tête pensante de DotEmu évoque avec beaucoup d’émotion l’acquisition enfant d’une Game Gear alors que la Gameboy était la reine incontestée des cours de récré. C’est certainement l’univers trop sucrée et naïvement policé de Nintendo qui poussera cette tête blonde dans les bras du challenger. « Ma première acquisition sur Game Gear fut Streets of Rage (SoR). Mes souvenirs enflammés sur son caractère insurrectionnel étaient restés intacts » , confie-t-il à Nintendolife.

 

Si bien que piqué par le succès commercial de Wonder Boy The Dragon’s Trap réalisé en 2017 par Lizardcube, l’idée de remettre au goût du jour d’anciennes franchises tombées en désuétude sans s’éloigner de leur empreinte identitaire historique fait son chemin. Cette petite communauté de studio indépendant à taille humaine, structurée autour du créatif, tout le monde se parle, tout le monde s’écoute.

C’est au détour d’une conversation avec Ben Fiquet, son homologue de Lizardcube, que le projet se fait jour. Comme porté par une fougue d’adolescent, C. Imbert tance la fibre nostalgique de son ami qu’il sait partager avec lui. Une « idée folle » le hante, relancer la licence SoR, celle qui a cristallisé sa passion pour le jeu vidéo. Sourire en coin, le fondateur de Lizardcube fait mine d’adhérer d’un timide hochement de tête avant de saisir son téléphone, « afin de me montrer des illustrations de personnages emblématiques de la série. C’était définitivement un signe ! » s’enthousiasme Cyrille Imbert.

 

Après avoir approfondi l’idée, développé les grandes lignes directrices de ce projet, le responsable de DotEmu s’envole pour Tokyo à la rencontre des décideurs de Sega. C’est armé de simples croquis, d’une feuille de route « pas très élaborée » mais portée par une volonté en acier trempé qu’il soumet son concept resserré autour de certaines exigences : « Faire une vraie suite, pas seulement une réédition, loin des standards actuels de gameplay » , afin d’offrir au joueur « une expérience de beat’em up authentique ».

Quelques mois suffiront à obtenir le précieux feu vert de Sega. « Le rêve était devenu réalité » , glisse C. Imbert.  Après l’excitation, place à la pression. Pas en provenance du donneur d’ordre, non, « Sega nous a octroyés d’une liberté totale de création » , se réjouit le responsable. C’était plutôt à l’égard de l’attente échaudée des fans, palpable à tous les stades du processus de création. Tant au niveau gameplay que le mode de représentation visuel.

 

Décidés bien en amont de production, le pixel art a été écarté. « Ce n’est pas la spécialité de Lizardcube » , concède son directeur créatif. Au risque de se fâcher avec le noyau dur des fans ? « Nous avons adressé un petit clin d’œil aux plus bruyants d’entre eux ». En effet, en déambulant dans les rues mal famées de Street of Rage, l’inscription ‘’Où sont passés mes pixels’’ est visible sur la devanture d’une salle d’arcade. Au-delà de cette petite pique au prétexte de laquelle Ben Fiquet espère « une familiarisation rapide avec cette représentation visuelle » , c’est avant tout à une question d’ouverture à un plus large public que ce choix répond.

Sans les citer, les références artistiques ont été multiples, « allant des jeux vidéo, des bandes dessinées ou des films emblématiques des années 80 ». B. Fiquet s’autorise juste à désigner Street Fighter III et Garou Mark of the Wolves comme références dans l’animation des personnages. L’agencement du jeu s’inspire largement d’une autre franchise oubliée appartenant à Sega, Guardian Heroes. Selon Cyrille Lagarique, programmeur principal au sein de Guard Crush Games, c’est précisément ce titre avec ses multiples embranchements narratifs, son amalgame réussi du jeu de combat et du beat’em up teinté d’éléments de RPG qui « nous a convaincu du potentiel dont ce genre de jeu regorge ».

 

Plus étonnante, comme autre source d’inspiration sortant du champ du beat’em up à défilement latéral, est évoquée From Software. L’éditeur japonais apprécié pour le gameplay de ses titres exploitant l’exaltation sacrificielle du joueur, l’est également par ses pairs pour ce qui est de l’agencement de surprises dans la conception des niveaux. Enfin, le bondissant Cupehead s’est révélé instructif aux équipes dans la définition des tendances de gamedesign à imaginer pour SoR 4.

Toutefois, la base de travail sur laquelle les trois studios se sont accordés « c’est la sensation originelle du gameplay (et) la musique car nous avons la conviction que ces deux paramètres sont fondamentaux dans la restitution de l’expérience » des précédents volets. La recherche de consensus quand trois parties sont impliquées n’a pas toujours été simple à obtenir. « C’est inhérent à tout effort créatif », glisse le très diplomatique Fiquet. « C’était parfois stressant » tranche son homologue de DotEmu. Il poursuit : « Nous n’étions pas d’accord sur tout (…) c’est ce qui se passe lorsque vous êtes habité par la passion. Les débats internes sont inévitables ». Ce trio créatif a cependant dépassé ses divergences de point de vue sur l’orientation de SoR 4, élude Fiquet, et ce notamment grâce « à la propre spécialité de chacun, nous avons finalement pu nous dépasser pour produire le meilleur jeu possible ».

 

Les équipes de développement ont pourtant procédé à d’importants arbitrages avant d’atteindre le stade final du jeu. Des compromis ont été arrachés afin de recentrer l’ADN de SoR. « Nous avions eu l’idée d’un hub depuis lequel le joueur était habilité à choisir son itinéraire (…) ou encore ce stage à la gravité inversée ou de motos, lui aussi annulé dans Streets of Rage 3 ». Toutes sacrifiées sur l’autel « de la qualité optimale recherchée (…) c’était une décision difficile à l’époque, mais elle s’est avérée bonne par la suite » abonde le développeur Samson-Guillemette. Peut-être en contenu additionnel ? « Rien n’est prévu, mais nous aimerions vraiment en ajouter, nous avons beaucoup d’idées en tête » , souffle Asensio de Guard Crush Games.

 

Succès critique et commercial, SoR4 donne des ailes aux trois studios. Que vont-ils croquer de nouveau chez Sega ? « Je pense que Shinobi ou Golden Axe mériteraient une suite » indique Imbert. A bon entendeur !