Grand Theft Auto V. Ce mastodonte vidéoludique, source des désirs impatients de millions de joueurs. Ce colosse marketing ayant suscité une excitation folle à peine son acronyme apparaissait-il au travers de rumeurs et autres fantasmes du web. 

Après un quatrième opus déjà à l'origine de records improbables dans l'industrie du divertissement,  et qui, malgré ses ambitions techniques, avait déçu de nombreux puristes pour son atmosphère et son gameplay étonnament terre-à-terre, l'attente d'un retour au bac à sable débridé s'est faite de plus en plus ressentir.
Puis parviennent les premières images animées d'une pseudo-Californie aux couleurs affirmées, d'une ambiance ensoleillée et décontractée. Cette fois, plus de doute possible, Rockstar espère bel et bien reconquérir l'intégralité de sa fanbase en délivrant l'opus ultime de la saga. Une oeuvre aux ambitions techniques et au budget démesurés. Une production gargantuesque impliquant des centaines de développeurs durant plus de 4 ans. L'attente est phénoménale, reléguant les derniers blockbusters annuels au titre de jeux de seconde zone. L'on ne parle plus que du nouveau géant de Rockstar, ces bad boys faisant preuve comme à leur habitude d'un savoir-faire marketing hors du commun, distillant les informations et images au compte-goutte et générant un buzz dont même les plus populaires franchises de l'éditeur #1 ne peuvent encore que rêver.

Et ainsi se poursuit le cercle infernal de la communication jusqu'à la sortie du dit "messie". Un cercle vicieux dont il sera finalement victime. Non pas que sa réception critique ou son succès commercial soient décevants, au contraire, mais celui que l'on présentait comme l'aboutissement décisif d'une mythique franchise, et même plus, d'une génération vidéoludique entière, échoue là où il aurait du faire voler des portes thématiques et boucliers politiques en éclats. À bien des niveaux, GTA V enterre son prédécesseur et s'impose comme le volet le plus humoristique et fun depuis San Andreas.

Seulement voilà, ce dont j'ai envie de vous parler dès à présent, sujet qui aura été mystérieusement sur-estimé ou carrément éludé par les grands medias, ce n'est pas tant les manquements ou défauts ludiques du jeu, mais son identité à double-visage. Au premier abord, il s'agit d'une oeuvre coup de poing, s'attaquant avec hargne aux maux et moeurs des sociétés contemporaines. La plume de Dan Houser fait mouche à chaque réplique, donnant naissance à des dialogues ravageurs, et des situations roccambolesques. Une qualité d'écriture remarquable, terriblement incisive et juste, servant à dépeindre une Amérique moderne sous le ton de la dérision. Jusqu'à l'excès.

Et c'est alors que le masque se dévoile, dévoilant non pas l'oeuvre profondément subversive que l'on attendait, mais un récit parodique outrancier, parfois même vulgaire. Parfois trop souvent évident, trop souvent facile. Une immense pièce de théâtre qui se moque, provoque, mais jamais ne remet en cause l'ordre établi. Là où un GTA IV offrait une mise en abîme douce-amère de la société américaine, vue à travers les yeux d'un protagoniste immigrant, ce cinquième volet se contente d'en illustrer grossièrement les décadences et artifices sans jamais poser de point de vue. Une oeuvre faussement engagée et peureuse, qui tente tant bien que mal d'étouffer sa paresse, et s'avère aussi artificielle que la société qu'elle fait mine de dénoncer.
La parodie est réussie, savoureuse et véritablement amusante, mais ne dépasse jamais son cadre formel. Si la conclusion d'une certaine mission impliquant un certain réseau social choque, tout comme une certaine séance de torture relativement dérangeante, jamais elle ne questionne, ou ne se questionne. Si la volonté de retrouver la légèreté passée de la série est tout à fait louable et bienvenue, à mon sens, le dernier né des studios Rockstar manque un coche majeur, qui aurait pu l'imposer en tant que chef-d'oeuvre et marquer l'inconscient collectif au fer rouge. 

La prise de risque, au final, est quasi-inexistante, l'ambition pure du projet se résumant avant tout à sa réalisation technique. Il n'est pas dur de percevoir le talent de ses créateurs tant l'ensemble est maîtrisé de bout en bout, sans réel fil conducteur, mais avec ferveur. Sans réelle révolution, mais avec passion. Le plaisir de jeu, lui, est bien là et si je suis d'avis de dire qu'il ne s'agit pas du GTA ultime, il s'impose sans mal sur le podium de par sa générosité et son ampleur. Je le déclare sans hésitation aucune : non, GTA V ne représente pas à mes yeux LE jeu de l'année, et encore moins celui de la génération passée. 
Tout ce qu'il accomplit, il le fait avec talent, plus grand, meilleur. Jamais toutefois il ne bouleverse la recette vieillissante de la saga, se satisfaisant de lui apporter le souffle de fraîcheur nécessaire via une mise en scène plus dynamique et appuyée, un gameplay plus fluide et raffiné, ainsi qu'une dose appréciable d'easter eggs en tout genre.

Que l'on ne me méprenne point, je ne cherche en aucun cas à descendre ce qui demeure au final un agréable divertissement, et à aucun moment je ne doute de la bonne volonté de ses développeurs. J'essaie tout simplement de poser le doigt sur un aspect hautement encensé par la presse grand public, et qui pourtant à mes yeux lui fait défaut. Un double-jeu qui s'assume mal, et prétend être ce qu'il n'est pas; la supercherie semble fonctionner, mais en prenant du recul, il n'est pas dur de réaliser à quel point l'impact de cette production AAA aurait pu être tout autre. 
Car, ne nous leurrons pas, au-delà de sa démesure marketing et commerciale, GTA V ne saurait marquer les esprits que grâce à sa personnalité exacerbée et poilante, là où le modeste Journey de thatgamecompany sera probablement remémoré des années aussi bien au sein de l'industrie que de la communauté viéoludiques pour l'expérience émotionnelle et la prise de risque réelle qu'il incarne.
J'attendais une mini-révolution de l'open world, pour au final n'obtenir qu'une démonstration fière mais peu entreprenante. Rockstar aura su réciter à merveille son postulat, n'hésitant pas, à juste titre, à s'inspirer des évolutions apportées dans le genre par d'autres studios.

J'attendais de Grand Theft Auto V la petite flamme qui anime les Grands, émanant d'une volonté d'emmener leur médium de l'avant. Cette flamme qui finalement manque tellement à celui qui aurait du, aurait pu en incarner toute l'essence si seulement il avait su surpasser sa vision chimérique pour offrir un regard d'auteur(s), et non celui, appétissant mais suffisant, des masses dont il plaisante. Innocemment ? Pas si sûr...