DES METAPHORES A TIRE-LARIGOT

Chaque Silent Hill traite de thématiques profondes et matures, trop peu souvent présentes dans le monde du jeu vidéo. Allant de la sexualité à la religion, en passant par la parentalité et la schizophrénie, les thèmes abordés sont pour la plupart épineux, mais pourtant exploités avec on ne peut plus de finesse. Déjà brillamment assuré au sein même des scenarii de chaque épisode, le traitement de ces sujets ne devient véritablement grandiose que lorsqu'il passe par un effet de style cher à la saga : la métaphore. Effectivement, rien n'est laissé au hasard dans un Silent Hill et pratiquement toute scène cinématique, toute séquence a un sous-entendu, un double sens bien spécifique qui se rapporte directement à l'histoire des personnages.

Quelques exemples de symbolisme :

-Dans Silent Hill 3, Claudia implore le pardon de Heather, qui prend le rôle d'un prêtre au travers de cette scène touchante :

 

-Dans Silent Hill 4, on y aperçoit une vision affreusement hallucinante du fantasme sexuel de Henry sur sa voisine Eileen :

 

 Plus renversant encore, dans un Silent Hill, un message ou une émotion peuvent être véhiculés par le biais d'une phase de gameplay expressément pensée pour. Pari risqué pour le développeur puisqu'impliquant de faire des choix de game design cornéliens, cela lui permet néanmoins d'en faire une forme de figuralisme vidéoludique. Pour s'en faire une idée, il suffit de repenser à l'interminable descente dans les bois du début de Silent Hill 2, qui visait à imager la descente vers les abysses du héros. Même si cette scène aura pu paraître ennuyeuse et poussive pour certains, elle reste malgré tout indispensable pour servir la puissance narrative du titre. Même traitement pour la scène de la barque sur le lac Toluca, où longueur et minimalisme dépeignent la solitude tragique de James.

 

 

MYSTIFICATION LYNCHEENNE

La tromperie est également un effet de style récurrent dans les Silent Hill. Toujours dans l'optique de semer le doute dans l'esprit du joueur, l'environnement qui nous entoure défie les lois de la logique de par sa personnalité changeante et ses effets de mouvance en trompe-l'œil surréalistes. Lieu qui change lorsqu'on en sort par la porte et qu'on y revient, escalier interminable, couloir disproportionné, métamorphose du décor en temps réel... C'est véritablement un monde schizophrène qui s'offre à nous, et ce, toujours en vue de servir la narration puisqu'encore une fois, ces symboles sont en relation directe avec la situation du personnage. En exemple, je pense à une scène vers la fin de Silent Hill Shattered Memories, dans laquelle Harry se perd dans une boucle spatiotemporelle, une répétition incessante de la même salle, qui ne jouit à chaque fois que de quelques différences visuelles. Un procédé idéal pour retranscrire la détresse totale du personnage à ce moment fatidique dans l'histoire. En voyant cette scène, difficile de ne pas repenser au dernier épisode de la série Twin Peaks, que l'on doit à David Lynch. Pareille mystification y était de mise, lorsque le héros se perdait dans cette fameuse salle rouge à rayures noires... D'ailleurs, l'œuvre entière du bougre que je viens de citer, entretient des similitudes avec le crédo de la série Silent Hill. La plus évidente reste sans doute la mise en place de deux réalités parallèles qui, comme dans Mulholland Drive et Lost Highway, font naître une double personnalité en la personne du protagoniste principal, ou du rôle secondaire. En usant également de procédés mystificateurs tels que le changement de couleur de leur cheveux, l'ambiguïté est ainsi instaurée, et on ne sait alors plus délimiter ce qui est réel de ce qui ne l'est pas.

 

Trailer de Mulholland Drive :

 Silent Hill 2 baigne assidûment dans ce concept, en prenant comme objet d'ambiguïté la personne de Maria, un ersatz décomplexé, sexualisé et aux cheveux colorisés, de la femme de James. Voici la scène qui démontre parfaitement le dédoublement de personnalité de Maria, tout en jouant sur la symbolique des barreaux de prison qui, montrés sous un autre angle de caméra, font de James le détenu, plutôt que son interlocutrice :

 

GROTESQUE BACONIEN

 

La tendance surréaliste d'un Silent Hill, cela n'aura échappé à personne, se poursuit aussi dans son bestiaire, qui se joue de l'aspect humain pour en faire des monstruosités sans queue ni tête. Ouvertement inspirées des œuvres torturées du peintre Francis Bacon, les créatures de Silent Hill, dessinées par Masahiro Ito, basent elles aussi leur design sur la symbolique narrative. Ainsi, la psyché des personnages principaux est gravée en eux : dans Silent Hill 2, les monstres aux deux paires de jambes sont formés par l'obsession de James sur Maria, dans Silent Hill Shattered Memories, ce n'est pas un hasard si les créatures nous enlacent avec douceur lorsqu'elles nous attrapent, etc... Je pourrais également évoquer le terrifiant Pyramid Head qui, du haut de son apparence de bourreau, induit l'autoflagellation et le besoin de repentir de ceux qui l'aperçoivent. Ce n'est donc pas pour rien s'il n'est présent que dans Silent Hill 2 et Silent Hill Homecoming (et dans Silent Hill Origins sous une forme un peu spéciale). En revanche, tout le monde s'accorde à dire qu'il n'a strictement rien à faire dans l'adaptation cinématographique !