Nous sommes nombreux à vouloir travailler dans l'industrie des jeux vidéo. La première fois que j'ai fait acte de candidature je devais avoir 12 ou 13 ans au début des années 90 et je ne savais pas trop comment m'y prendre. A l'époque j'étais un grand fan de Chase HQ et j'adorais les séries policières US à base de courses poursuites. Bien entendu je n'avais aucune idée de ce qui était techniquement réalisable, mais j'avais une idée assez précise du jeu auquel je voulais jouer. Donc je suis allé chez un ami qui avait un PC qui devait être un 286,  j'ai lancé le logiciel de traitement de texte et j'ai tapé quelques lignes que j'ai envoyées par la poste à quelques éditeurs. Le miracle n'a pas eu lieu, je n'ai jamais eu de réponse.

Nous sommes nombreux à vouloir travailler dans l'industrie des jeux vidéo car nous jouons beaucoup et il arrive parfois que germent dans nos esprits des idées de jeux. En fait si vous vous baladez un peu dans les couloirs de certains éditeurs et développeurs c'est assez impressionnant le nombre de personnes qui ont des projets originaux à pitcher : des game designer bien sûr, mais aussi des testeurs, des graphistes, mais aussi des comptables, des RH, toute une population plus ou moins silencieuse qui est entrée dans l'industrie par des moyens détournés mais qui a un but secret :  pitcher et faire du game design.

Aujourd'hui derrière un jeu que vous trouverez en prix de lancement entre 30 et 70 euros, il y a souvent plusieurs centaines de personnes car derrière une simple décision comme la couleur du T-shirt  du personnage principal il peut y avoir entre le directeur artistique, le directeur créatif, le lead game designer, le directeur de l'IP, les producers, les directeurs éditoriaux, le marketing produit, le marketing stratégique et les execs, une bonne vingtaine de personnes. Il n'y a rien de vraiment étonnant là dedans: plus il y a d'argent en jeu, plus une décision devient complexe à prendre, plus une organisation a besoin d'expertises et du coup, plus une décision devient complexe à prendre. Et comme souvent dans ce genre d'industries gérer des idées c'est avant tout gérer des égos ce qui peut amener à certaines situations assez loufoques.

Je crois que j'ai vraiment compris ce que serait de travailler chez un gros éditeur ou développeur le jour où j'ai eu mon premier grand meeting. A l'époque j'étais encore un tout jeune padawan stagiaire, nous venions tout juste de lancer le premier opus de notre nouvel IP et l'objet de la réunion était le suivant : quelle histoire inventer pour faire le lien entre la fin du premier opus et le début du deuxième ? Dès le début du meeting une personne issue du marketing éditorial prit la parole et commença ce qui allait être un long monologue d'environ 1h30. En fait elle nous racontait tout bonnement sa vie puisqu'elle nous racontait les épisodes de 24 qu'elle avait vu la veille (il faut dire qu'à l'époque 24 c'était encore in) et comment elle pensait qu'on pouvait reprendre telle ou telle idée. Bref, 5 minutes auraient été largement suffisants, mais visiblement pas pour tout le monde pensai-je à ce moment là. Lorsque vînt la fin de la réunion,  je demandai à mon boss pourquoi nous devions endurer un tel monologue, il me répondit quelque chose du genre « Tu sais Skander, c'est un peu toujours comme ça ici, tout le monde a beaucoup de choses sur le cœur, et il faut que ça sorte. Et comme elle savait qu'elle ne pouvait pas raconter sa vie à son boss, c'est nous qui y ont eu droit ».  

Si j'avais eu 12 ans en 2010 j'aurais sans doute fait la même chose qu'au début des années 90, avec sans soute encore moins de chances de succès. Les jeux auxquels nous jouons passent à la moulinette de tellement de personnes qu'il est devient très difficile de faire passer ses idées.  Et si aujourd'hui 90% des AAA qui sortent sur le marché n'apportent aucune innovation c'est sans doute un peu pour ça.  

Et pourtant, je reste persuadé que la couleur du T-shirt, fondamentalement on s'en fout un peu. Vous l'aurez compris, je suis un de ces gars qui est entré dans l'industrie par des voies plus ou moins détournées (le marketing) par passion du jeu et parce que j'avais un ou 2 projets en tête. Mais je ne suis pas quelqu'un de très patient et gérer les égos et les frustrations des autres ce n'est pas vraiment fait pour moi. Donc après quelques années à évoluer au sein de grosses structures j'ai réuni 2-3 personnes pour lancer le projet I-FRIQIYA avec le pari suivant : comment produire des jeux de qualité avec des petites équipes de gens qui peuvent travailler de manière autonome et qui soient suffisamment expérimentées et talentueuses pour éviter qu'il n'y ait besoin qu'on leur valide les couleurs de leurs persos toutes les 2 min.

 

Skander Djerbi

 

Skander Djerbi est un producteur de jeux vidéo. Après quelques années en France et eu Japon au sein de gros éditeurs à travailler sur des AAA,  il co-fonde I-FRIQIYA une nouvelle société basée à Tokyo et Dubaï et spécialisée sur le développement et l'édition de jeux vidéo destinés aux canaux de distribution dématérialisés. .