La première chose qui me revient à l'esprit en pensant à ces 19 heures de service, c'est la fatigue. Contrairement à la première garde, je ne peux pas dire que j'avais de l'énergie à revendre du début à la fin. La lutte constante contre le sommeil, la lumière blafarde, l'hostilité de l'environnement (cf. l'infirmière qui m'attaque à coup de feuilles sans raison)... C'est dur. Et quand je pense que j'ai trois gardes ce mois-ci, je me demande ce qui m'a pris d'en prendre cinq au lieu de quatre. Ah, si, je me souviens, c'était pour rendre service. Bon, ben la prochaine fois, je saurai à quoi m'en tenir.

J'aurais pu me contenter de ce paragraphe si vous n'aviez pas remarqué entre les lignes que mon attitude générale avait évoluée. Et, en effet, à bien y réfléchir, c'est le cas. J'ai baptisé ce comportement l'attitude Joe Cool, en référence à l'une des personnalités du chien psychotique le plus célèbre de la bande dessinée. Cette facette est à la fois consciente et inconsciente chez moi.

Ce que j'ai remarqué de façon tout à fait consciente, c'est que les patients ont besoin d'être rassurés. Et on ne peut pas dire que l'entrée d'un externe qui pèse chaque geste telle une question existentielle soit propice à l'instauration d'une bonne relation de confiance. A partir de ce constat, ne reste plus qu'à agir. Sauf que je n'ai même pas pensé à le faire, tout est venu naturellement.

Si j'en crois le témoignage de mon coexterne, mon attitude s'est illustrée de la manière suivante : une voix plus forte qu'à l'habitude, un pas résolu, un sourire complice, des plaisanteries glissées de-ci de-là, une certitude affichée dans tout ce que je fais, même quand on a du mal à ouvrir un foutu tiroir de sécurité du chariot de suture. Bref, une personne sûre d'elle-même, peut-être à l'excès. Sauf que lorsqu'il m'a décrit mon état, je suis tombé des nues. Je ne le sentais pas du tout comme ça ; pour être exact, j'en ai peu de souvenirs. Cela peut sembler excessif, mais j'ai quasiment l'impression d'être entré en transe à chaque fois que j'entrais dans un box.

J'ai peut-être tellement bien intégré le besoin de prise en charge psychologique que je me mets automatiquement à surjouer. En tout cas, la seule chose dont je suis certain, c'est que tous mes patients du soir m'ont tous souri en retour, même les moins ouverts. Et que rien que cela prouve que je fais pas fausse route. Après, je vais essayer de contrôler un peu plus cela, je ne sais pas où est-ce que cela peut m'emmener.

Et là, je me relis, et j'ai peur de moi-même. Bonjour, je suis fou et je vais bientôt vous soigner !