Il avait l'habitude des conférences de presse. Sourire, se tenir droit, dans son costume de Kratos, ne pas hésiter à rire, regarder toutes les caméras possibles. Un héros doit être un type d'une droiture absolue, mais avec un coté humain qui permet de le rapprocher des civils, un rêve impossible à atteindre tout en étant accessible. Il est la frontière entre un dieu et un homme. Joël Pinker savait que son personnage de Kratos était un symbole pour les autres. Un symbole de courage, de puissance, de sécurité. Mais pour lui, Kratos était un symbole de biftons qui lui pleuvaient dessus chaque fois qu'il apparaissait quelque part. Joël savait parfaitement que c'est l'image qu'il s'était forgée qui lui garantissait l'amour du peuple. Peu importait qu'il ait sauvé le monde une dizaine de fois depuis le début de l'année, il savait pertinemment qu'au moindre faux-pas, il pourrait dire adieu au culte qu'on lui vouait. Plus de contrats pub, plus de produits dérivés, plus de fans prêts à tout pour un sourire. La fin de la gloire.

  « Que pensez-vous, Kratos de ce petit groupe qui s'est illustré il y a deux jours lors de ce braquage de banque ? Ils se font appeler La Ligue des Inutiles ! » la question du journaliste vint le heurter comme un coup de poing, et une ombre passa sur son visage alors que son esprit se vida de tout sauf d'une colère profonde. Il tourna son visage vers les coulisses. Wandrille, dans son costume de marketeux, pâlit. Il fit discrètement un geste de la main à son adresse. Du calme Kratounet. Kratos se ressaisit, et acquiesça légèrement. Puis il s'éclaircit la voix.

  « Puisque vous me posez la question, Thierry, je vais vous le dire très franchement, et en toute sincérité. Je suis heureux, et fier de voir que des gens prennent aussi au sérieux la sécurité de leurs concitoyens. Ces gens sont des héros, qui n'ont pas eu peur et sont allé affronter un Mal qui aurait pu leur coûter cher. Ce sont de vrais héros, et je les admire tous ! Je pense qu'ils font beaucoup pour ceux qui sont hélas appelés « Inutiles ». Ils nous ont appris une leçon importante que nous n'oublierons jamais. Mais attention, Ligue des Inutiles, laissez nous un peu de travail, à nous autres super héros ! » il ponctua sa déclaration d'un rire forcé qui sembla parfaitement naturel et qui se communiqua à toute l'assemblée présente.

 

  « Putain t'as été génial, j'ai vraiment cru que tu allais tout faire foirer quand ils t'ont parlé de ces inutiles trucs., claironna Wandrille alors qu'il conduisait Joël en direction de son luxueux appartement.

— Salopards de minables sous super zéros de merde ! S'écria Joël en frappant sur la portière, la faisant s'envoler sous la puissance du choc.

— Mec ! T'as ruiné ma caisse, chouina Wandrille.

— Ils ont vraiment tout fait foirer ces connards ! Un braquage, avec prise d'otages, tout ce qu'il manquait, c'était une victime, et j'aurais pu mettre mon plan en marche ! Mais il fallait que ces nazes rappliquent avec leurs pouvoirs de merde !

— Du calme man ! T'auras d'autres occasions. Et puis ils vont probablement pas vivre longtemps ceux-là ! T'as vu leurs pouvoirs ? Faire pousser des fruits ou des couteaux sur leur corps...

— Tu comprends quedalle Wandrille. Ces mecs étaient là et moi non ! Tu vois pas l'humiliation ? Kratos arrive à la bourre, et c'est une bande de clowns échappés de la foire aux monstres qui sauve la situation ! Je suis en train de passer pour un blaireau !

— Et tu veux faire quoi Joël ? Les tuer ?

— Je...oh ferme là. » Joël tomba un moment dans le silence. C'était un super-héros, il n'allait pas éliminer sans raison des individus quand même...

 

  Flic floc flic floc...La pluie tombait légèrement sur la ville ce soir là. Une petite bruine rafraîchissante qui se lovait sur le bitume en formant des miroirs mouvant sur lesquels se reflétaient les néons. Le vombrissement de la moto déchirait le voile du silence nocturne. Sur le véhicule une fine silhouette casquée. Le viseur noir rabattu était constellé de gouttes célestes. Finalement la moto s'arrêta dans une rue du douzième arrondissement, devant un immeuble résidentiel. Dans l'obscurité de la nuit, on aurait dit une gigantesque pierre sombre sur laquelle de rares étoiles se seraient accolées. La silhouette vêtue d'une combinaison noire leva les yeux vers le septième étage. La fenêtre était éclairée, indiquant que les occupants s'y trouvaient et étaient éveillés.

La silhouette ouvrit la porte d'une main gantée. Longiligne, la démarche féline, c'était manifestement une femme, comme en attestait les formes callypiges que drapait la tenue. Elle pénétra la cabine de l'ascenseur et son doigt ganté pressa le bouton 7. Puis une fois que l'appareil la libéra elle se tint devant la porte. Elle retira le gant de sa main droite. « Droite tu dors...gauche t'es mort... » souffla-t-elle d'une voix féminine et suave.

 

  L'appartement était peuplé de cinq types. Des gangsters. L'un d'eux était à un bureau en train de compter des liasses de billets. Grand et chauve, il portait des tatouages partout sur le corps, cachés par un costume dont le prix semblait être l'équivalent de celui de tout l'immeuble. Les quatres autres avaient pour point commun d'êtres tous des gros bras à l'air patibulaire. Deux d'entre eux jouaient sur une Playstation 4 rutilante en s'insultant tandis que les deux autres faisaient le pied de grue en regardant leur chef compter les billets. On frappa à la porte.

« Vlad, va voir qui c'est, déclara l'homme qui comptait.

— Thomà, c'est peut-être les flics.

— C'est bien connu les poulets frappent gentiment avant de nous coffrer ! C'est pas vrai, ta mère et ton père devaient être frère et sœur, — cracha Thomà en giflant Vlad. — Va m'ouvrir cette porte, et dis leur de foutre le camp ! »

Vlad s'exécuta avec appréhensions. Il ne voyait pas qui pouvait bien frapper à la porte à deux heures du matin. Dans le doute, il s'empara de son arme. Puis, il entrouvrit légèrement la porte.

C'était une très jolie fille au visage gracieux. Ses cheveux étaient longs, raides et auburn. Il s'arrêtaient en une frange juste au dessus de ses deux yeux couleur de jade. Elle avait un petit nez retroussé et quelques tâches de rousseur légères constellaient sa peau. Ses lèvres pulpeuses étaient figées dans une moue boudeuse. Vlad ne put détourner son regard du corps gracile, moulé dans la combinaison de moto. Un sourire libidineux apparut sur son visage et alors qu'il allait prononcer quelque parole, elle se contenta de lui dire « Dors » avant de lui effleurer le visage de sa main droite. Il s'affaissa au sol, endormi, aussitôt après. Elle enjamba sa carcasse et passa dans le salon où jouaient les deux autres loustics. Ils s'étonnèrent de voir une femme débarquer chez eux, mais pas très longtemps, car les touchant de ses doigts droits, elle les plongea dans le sommeil sans même leur prêter la moindre attention.

Elle arriva enfin dans le bureau de Thomà. Le dernier de ses hommes voulut s'interposer, mais là encore sa main droite plongea l'homme dans le sommeil. Puis elle s'avança lentement vers le chef et se pencha vers lui, par dessus le bureau.

  « Qu'est ce que tu lui as fait ? bafouilla le gangster.

— Il dort, répondit-elle.

— Qu'est ce que tu me veux ?

— Moi ? Rien. Je ne te connais pas — déclara-t-elle en retirant cette fois-ci son gant gauche — par contre Devreaux mon client, il veux quelque chose de toi.

— Tu travailles pour ce sac à merde ? Thomà voulut bondir pour s'emparer de son arme, mais pour une raison inconnue, il ne le fit pas.

— Que veux-tu, il paye bien. Et ces billets ici, confirment cela. Tu lui as refourgué de la mauvaise came, ça l'a enervé, et maintenant, il te veut mort.

— Oh, et comment tu vas faire pour me tuer poulette ? Je suis deux fois plus balèze que toi et je suis armé, la défia Thomà. Pour toute réponse, la femme approcha sa main gauche du visage de son interlocteur en prenant soin de ne pas le toucher.

— Droite et tu t'endors. Gauche et t'es mort...Prononce mon nom, se contenta-elle de dire simplement, alors que son regard devint plus froid que jamais.

— C'est pas vrai ! Tu ne peux pas être...

— Prononce mon nom.

— Tu es...la tueuse ? Tu es le doigt de la mort ? Tu es Nyx ! à présent, Thomà pleurait de peur.

— Le doigt de la mort ? Tu veux plaisanter ? Je suis sa mère. » Ricana-t-elle. Puis elle toucha le visage de Thomà de sa main gauche. Il tomba face contre son bureau, mort...C'était comme si Nyx avait aspiré sa vie.

   Elle remit ses gants, puis prit son portable. « Devreaux ? Je vous rapporte votre fric. Vous avez intérêt à avoir le mien, sinon, je pourrais bien vous faire goûter à mon crochet du gauche. » Elle mit tout l'argent dispersé sur le bureau dans un sac, puis elle laissa là les hommes endormis et sa victime. À peine sortie, elle remit son casque sur la tête, écoutant les gouttes de pluie s'écraser en son sommet. Flic floc flic floc...

 

  Ils avaient tous mis leurs costumes de héros, Greg n'en croyait pas ses yeux. Tous étaient rassemblés autour de Gilles qui lisait à voix haute les déclarations de Kratos, et celles-ci furent accueillies par des sourires et des félicitations adressées les uns aux autres.

  « Tissu de conneries, cracha Greg.

— Oh allez arrête de faire ta mauvaise tête Atchoum-man, c'est sympa qu'il nous reconnaisse comme ses pairs, sourit Gaëlle.

— M'appelle pas comme ça. Et je vous parie ce que vous voulez que ce gars a les boules contre nous. Tout ce qui intéresse les super-héros de nos jours, c'est de se faire de la com.

— Tu es obligé d'être toujours aussi cynique ? On a fait un boulot extraordinaire, et Kratos, le plus grand héros qui existe nous félicite. Il y a de quoi se réjouir, pesta Gilles.

— Un boulot extraordinaire tu dis ? On a pris des risques bêtement, on aurait pu se faire tuer par le gars avec son lance-roquette, ça vous a pas frappé ?

— Oui, mais tu es venu nous sauver au dernier moment ! Tu étais tellement cool avec ton air détaché, rétorqua Cédric.

— Où est Mike ? Je dois lui dire que pour moi, c'est fini ces clowneries, cracha Greg.

— Quoi ? Mais tu n'envisages pas vraiment de quitter la Ligue ? On vient à peine de commencer, s'écria Claire.

— Mettez vous bien ça dans le crâne les gars. On n'est pas des héros, ne vous laissez pas griser par la petite victoire que vous avez eu à la banque. Vous et moi, on est des losers, on a juste eu de la chance que tout ça ne nous pète pas à la tronche. Et Mike c'est rien qu'un taré de la pire espèce qui croit pouvoir jouer les Professeur Xavier discount ! Vous voulez jouer aux Avengers ? Allez y et faites vous trouer la peau ou pire, mais ce sera sans moi !

— Mais Greg...débuta Medhi.

— Mais Greg rien du tout. Arrêtez de jouer les héros, vous ne servez à rien, et moi, c'est pareil. Il y a déjà des super héros dans le monde. On en manque pas, d'ailleurs, que ce soit Kratos ou un autre.

— On ne manque pas de super-héros, mais pourtant il n'y avait personne pour sauver les otages, à part la police, souffla Medhi.

— Cuistot a raison Atchoum-man ! » trancha la voix de Michael Perséphone qui venait d'apparaître à l'entrée, accompagné d'un homme. Grand, noir et d'un gabarit impressionant, il se tenait droit, et avait un air très sévère dans le regard. Mike l'invita à s'asseoir et s'approcha de Greg.

  « Tu as raison aussi, Greg, nous vivons une ère de super pouvoirs, de super-héros et de super-criminels. On a qu'à se baisser pour en trouver. Kratos, Incens, Le Poing, Rocco, Psych, Malaria...tous ces alias, tous ces gens avec des pouvoirs phénoménaux...mais combien parmi eux sont vraiment des héros ? Combien attendent que l'objectif des caméras se braque sur eux avant de sauver des vies ? Combien parmi eux savent ce que c'est que de risquer sa vie pour en sauver d'autres ? Corruption, avarice, vanité...ils se complaisent quasiment tous dans ces vices humains.

— Tu leur reproches d'être puissants ? demanda Greg.

— Non, je leur reproche d'avoir perdu contact avec la réalité. Le monde a besoin de héros comme vous tous, des héros avec les pieds sur terre.

— Alors on doit risquer nos vies parce que les vilains super-héros ont chopé la grosse tête ?

— Vous devez sauver des vies parce que les vilains super-héros ont chopé la grosse tête. »

Les deux hommes se regardèrent un long moment en chiens de faïence, et la tension devint palpable dans la salle. Tous les regards étaient fixés sur eux, et on s'attendait à ce que les coups pleuvent. Finalement, Greg se contenta de pousser un soupir, puis un rire nerveux avant de dire « Ca suffit, je me casse. » et de claquer la porte. Michael sembla attristé par le départ de Greg, mais finalement, il se reprit et se tourna vers les autres membres de la Ligue.

  « Mike, ça va aller ? demanda Claire.

— Oui Textil. On doit respecter la volonté de Greg. Sachez tous que vous êtes libres de partir si vous ne voulez pas risquer vos vies. Rien n'est obligatoire, et plus vous gagnerez en influence, et plus les défis seront corsés. Êtes vous prêts ?

— Je ne me suis jamais senti aussi vivant que lors du braquage ! Tu peux compter sur moi, répondit Arcimboldo.

— Je suis de la partie aussi, ajouta Cuistot, et tous les autres firent de même.

— Très bien. Vous allez devoir apprendre à vous battre. Je vous présente Pascal, il était instructeur en combat rapproché à l'armée. Il va vous faire suivre un entraînement rigoureux, mais qui sera la clé de votre survie en cas de danger.

— Je vais vous apprendre les bases. Ce sera difficile, et vous allez me haïr. Mais une fois que j'en aurai fini avec vous, vous deviendrez de vraies machines de guerre, et si vous combinez ce que je vous apprendrai avec vos pouvoirs, vous pourriez bien devenir inarrêtables ! » sa voix était rauque et forte, elle suffit à mettre les Inutiles au pas. Cependant, bien qu'ils sentaient que l'entraînement au combat allait être difficile, ils avaient tous hâte de voir les progrès qu'ils accompliraient. Ils tremblaient, certes, mais d'excitation...