Quelques notes de pianos vaporeuses, une clarinette virevoltante, des clochettes qui tintinnabulent à mesure que l'on survole les fleurs... C'est une soundtrack envoûtante et interactive qu'a composée Vincent Diamante. Dans ce jeu, la narration ne passe pas par des dialogues bavards ou des lignes de textes soporifiques mais par l'épanouissement visuel et sonore. Cet article est basé sur une conférence passionnante intitulée "Sound and Music as Narrative in Flower" que le compositeur a donné en compagnie de Steven Johnson, le sound designer de Flower lors de la GDC 2010. Morceaux choisis.

Du narratif au son

"Jenova Chen savait qu'il voulait faire un jeu avec un narratif fort. Mais il n'est pas exactement un « story writer » et il n'était pas vraiment sûr de la manière à suivre pour avoir de l'histoire ou du dialogue. Il avait cependant une certitude : il voulait une structure en trois axes avec laquelle nous sommes particulièrement familiers quand on fait des films ou des histoires : émotion première, augmentation de l'attente, puis climax qui libère une catharsis. Il savait qu'il voulait ces émotions mais elles lui gravitaient autour et lui échappaient quand il imaginait ce jeu. Tout était très flexible. "Faut-il raconter l'histoire avec des personnages, des dialogues... Nous avons le level design, racontons une histoire par le level design. Nous avons la direction artistique, racontons une histoire par la direction artistique." Jenova vient de l'art et beaucoup de grands game designers évoluaient autour de lui. Mais à thatgamecompagny, il n'y avait pas de designers audio propres. Nous ne sommes pas des membres de tgc, nous étions sous contrat pour travailler sur Flower. Nous avons été intégrés dans ce jeu afin de réaliser un audio qui contribue au narratif de Flower. Nous sommes arrivés sur le jeu très tôt ce qui est très étrange. J'étais là dès la phase de pré-production, et ça n'arrive pas souvent à un compositeur. Il y avait cette relation très atypique entre les game designers, moi, et les gens de Sony."

Définir Flower

"Flower n'a pas toujours été un jeu où l'on vole, dans lequel on a une liberté totale, en flottant avec des pétales. Il y a plein de mécaniques étranges dont nous n'étions pas sûr. "Qui est le joueur ? Contrôlez-vous le vent ? Contrôlez-vous des pétales de fleurs ? Contrôlez vous une personnification d'un personnage inconnu ? Est-ce un rêve de fleur ?" Toutes ces questions restaient posées. Comment devions-nous faire du son pour un avatar si ambigu ? Cela doit-il être littéral, abstrait, musical ? Je pense que nous n'avons jamais vraiment répondu à ces questions (...) Les mécaniques de jeu évoluaient perpétuellement. Ce qui a parfois été un problème pour nous parce que nous enregistrions différents sons pour des actions spécifiques au fur et à mesure. Nous avons eu besoin d'un son ondulant, puis peu de temps après, nous n'en n'avions plus besoin. Les besoins audio changeaient constamment."

Les couches et les loops

"Il y a beaucoup de musique pour tous ces niveaux. Tout est interactif, avec plusieurs couches de musiques qui se débloquent graduellement selon les fleurs que l'on touche pendant le niveau. Chaque couche correspond à un ou deux instruments qui sont joués à un moment donné. Certaines couches jouent sur la hauteur des notes, certaines vont des hautes fréquences aux basses fréquences, cela dépend. La chose importante ici est que je voulais que les superpositions de couches soient une question de finesse pour la musique au début, et une version plus épaisse à la fin. Je voulais que nous entendions la musique sous des perspectives différentes. J'ai écrit ces lignes instrumentales avec beaucoup d'indépendance les unes par rapport aux autres. Quand on arrive à la quatrième couche, on entend la clarinette qui est le lead. Puis on entend un solo de violon qui devient à son tour le lead et la clarinette devient une mélodie de soutien, de contour. Cette technique a été dure à maîtriser. J'ai aussi eu recours aux loops. Je suis un partisan des loops, je crois dans ce qu'elles peuvent faire. Il y a beaucoup de musique interactive ici, je voulais qu'il y ait cette identité iconique, je l'ai obtenue grâce aux loops (...) Il y a aussi les transitions entre les différentes aires de jeu dans un même niveau. C'est parfois une transition dure, c'est parfois un crossfade (fondu enchainé), c'est parfois une transition avec beaucoup d'espace. Au niveau mélodique, presque toute la musique est composée dans une clé. Tout est en Ré majeur, et c'est une décision consciente. Je voulais produire une impression de majesté, de royauté pour cet envol de pétales et Ré majeur est la clé qui correspond le plus à cette sensation.

La composition dans l'improvisation

"A partir du deuxième niveau du jeu, j'ai fait des demandes aux programmeurs. On a obtenu des interactions plus intéressantes car le jeu a pris conscience de l'importance de sa structure musicale. On a cette structure très robuste qui communique avec le jeu. Dans le flux, il y a des informations évidentes sur les "chords", est-ce que c'est un Fa 7, Sol m9, tout ce genre de choses. Quand vous touchez ces fleurs, le son est conscient de tout ce qui se passe. "Ok je vais faire ça en Fa7". J'ai aussi lu ce livre de Shledon Berg, un professeur de jazz de USC, "The Goal Note Method", sur l'improvisation jazz. Les gens parlent de l'improvisation jazz comme si c'était quelque chose de farfelu, dont on ne comprend pas le fonctionnement. Il a apporté des analyses concrètes sur l'improvisation jazz, et j'ai essayé d'enrichir le jeu avec ça. Toutes ces fleurs ont des scripts très simples qui décident "après avoir joué cette note au hasard, comment je passe à la prochaine note à jouer, basée sur la couleur de la fleur." Ces "flower hits" permettent à la musique de respirer. On peut créer des choses assez hallucinantes, et jouer des mélodies intéressantes."

Faire "sonner" Flower

"Ce florilège de pétales est notre avatar, mais comment doit-il sonner ? Il n'a pas de bruits de pas, il n'a pas de bruitages d'aérodynamique type vaisseaux spatiaux, mais il doit faire un son. Comment écrire de la musique avec ça ? J'ai pris la décision que la musique devait être le son de la nuée de fleur. La musique devait progresser comme un microcosme, passer par le classique, le néoclassique, le romantisme, le néoromantique pour finalement donner un sentiment très moderne. J'ai essayé d'avoir une librairie musicale qui diffère de celle des autres compositeurs. J'ai utilisé "Miroslav Philarmonic Orchestra", des vieux samples mais je les aime beaucoup car ils ont beaucoup d'émotions. J'ai aussi utilisé "Simple Orchestra", qui est l'opposé. Il n'y a pas d'émotions programmées ! La combinaison crée une bande-son vraiment intéressante, loin de la soundtrack orchestrale épique et classique que tout le monde connaît."

"J'ai passé la plupart de mon temps hors de mon studio, dans les locaux de thatgamecompany, en faisant la musique avec des écouteurs sur un petit synthé audio. J'étais avec Jenova et je pouvais lui demander si on pouvait bouger des fleurs ici ou là, car ça me permettait de faire en sorte que le son fonctionne mieux avec la musique. On a construit puis déconstruit, on a simplifié. Il faut savoir qu'à la base, il y avait un auteur sur le jeu, avec un peu de textes un peu de personnages. Finalement, nous avons opté pour un narratif non conventionnel dont la force provient d'un arc sonore et d'un arc musical."