En sortant de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon traverse une période difficile, à commencer sur le plan militaire. En effet, dés 1954 le Japon « renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». Cette décision conduit à l’émergence des Japan Self-Defense Forces, une armée qui ne peut servir qu’à défendre le territoire japonais et en aucun cas à attaquer une puissance étrangère. Aussi, pendant longtemps son rôle s’est limité aux situations de crise interne et aux catastrophes naturelles, les forces d’occupation américaines s’occupant d’assurer la défense du territoire japonais. Car oui, durant de nombreuses années, le territoire japonais a été occupé par une armée étrangère. C’est notamment le cas des îles Ryükyü qui auront jusque dans les années 70 leur propre administration américaine ainsi que leur propre monnaie (le « Yen B » puis le dollar américain).

De ce fait, la situation a conduit la population japonaise à ne plus voir la guerre d’un très bon œil, même lorsqu’elle n’est pas directement touchée par celle-ci comme le montre le Beheiren, un mouvement de contestation anti-guerre du Vietnam ayant vu le jour au Japon. Et naturellement, les bombardements de Hiroshima et Nagasaki ont largement traumatisé la population japonaise. Les Hibakusha, les victimes de la bombe atomique, sont d’ailleurs encore aujourd’hui présents dans la population comme un éternel rappel des horreurs passées.

Toutefois, parce qu’il n’avait plus à se soucier du budget à allouer à sa défense, le Japon a pu se concentrer sur la reconstruction du pays et sur sa croissance économique.  Se faisant, le pays s’est tourné massivement vers le secteur tertiaire, l’industrie et les hautes technologies, délaissant l’agriculture et les exploitations minières. Ceci causa chez les individus concernés la nécessité de se reconvertir afin de pouvoir continuer à travailler. Néanmoins une impressionnante croissance économique eut lieu et une bulle spéculative fit son apparition dès 1986. Tokyo devint l’un des principaux centres financiers de la planète. Mais cet essor ne fut que de courte durée.

Effectivement, alors que la situation économique du pays était si bonne que certains économistes nippons allaient même jusqu’à pronostiquer que le Japon serait la première puissance économique mondiale dans les décennies à venir, le destin arrêta net le pays dans son élan.

Le choc fut ainsi des plus brutaux lorsque la bulle éclata en 91, engendrant ce que l’on appelle « la décennie perdue » : dix années de stagnation économique où la population devait faire face à des dettes impossibles à éponger et à une forte augmentation du chômage. Le monde de la finance perdit alors la confiance que lui avaient accordée les citoyens japonais. Malheureusement, ce n’était pas le seul obstacle sur la route du Japon.

En effet, bien avant que l’économie nippone ne se mette à chanceler, le taux de natalité du pays s’est effondré à partir des années 70, entraînant le début du vieillissement de la population dès la décennie suivante. S’ajoutent à ce problème de nombreuses crises et catastrophes naturelles.

Il y eut tout d’abord la maladie de Minamata : un syndrome mortel et congénital causé par la pollution des eaux de la région du même nom par des déchets toxiques riches en mercure. Cette maladie est la cause de nombreux décès depuis la fin des années 50.

Les années 80 ne furent pas meilleures. Théâtre de nombreuses éruptions volcaniques au Japon ainsi que d’un tsunami meurtrier, cette époque vit de nombreuses âmes japonaises s’éteindre dans les catastrophes et même en dehors de celles-ci lorsque l’Empereur Showa décéda en 1989.

Enfin le pays fut une nouvelle fois meurtri en 1995 lors du grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji qui toucha la région de Kobe

 

Bref, lorsque l’on parle du Japon des années 80, on a tendance à se focaliser sur l’explosion du marché de l’électronique mais la période d’après guerre était aussi, et surtout, une époque difficile pour la population japonaise. Ce genre de circonstance laisse nécessairement une empreinte sur la population et sur sa culture.

Cette griffe, on la retrouve notamment dans le milieu du cinéma. Car tandis qu’Akira Kurosawa se démène à réaliser de nombreux long-métrages sur le Japon féodal comme pour rappeler à ses concitoyens que leur pays a aussi connu une époque plus glorieuse, d’autres créateurs se tournent vers des idées plus noires. Ainsi voit le jour Godzilla dans les studios Toho. Monstre titanesque abattant sa fureur, telle une punition divine, sur l’archipel, le Kaiju est interprété comme étant l’incarnation de la menace nucléaire.

Aussi, le Manga et la Japanimation ne sont pas en reste, via de nombreuses œuvres assez sombres comme Jin-Roh écrit par Mamoru Oshii où le Japon est dépeint comme étant au bord de la guerre civile après avoir été conquis par l’Allemagne Nazi. Mais il y aussi le post-apocalyptique Hokuto no Ken de Tetsuo Hara et Buronson qui montrent un futur plus qu’incertain pour le Japon. Les Studios Ghibli ont également participé, à leur manière, dans le pessimisme ambiant via plusieurs films où la nature semble toujours avoir été souillée par l’Homme mais aussi via un film nettement moins chaleureux racontant les dégâts causés par la Seconde Guerre Mondiale : Le Tombeau des Lucioles. Enfin, dès 1989 l’une des œuvres les plus sombres ayant vu le jour dans le milieu du Manga commençait à paraître : Berserk de Kentaro Miura. Une saga de Dark Fantasy d’une rare noirceur.

Un pessimisme dormant semblait donc être l’œuvre chez certains créateurs, se traduisant soit par la volonté d’encourager ce que l’humanité peut faire de mieux, soit montrer ce qu’elle peut faire de pire. Et c’est dans ce contexte que sortirent Akira de Katsuhiro Otomo et les romans Megami Tensei (Suivis de près par les jeux vidéos et leur « suite » Shin Megami Tensei).

Or, plus qu’un contexte difficile, les Shin Megami Tensei et Akira semblent partager autre chose...

 

Ainsi, ceux qui ont joué à Shin Megami Tensei IV auront certainement remarqué une très grande statue située dans la Forteresse de Mikado. Cette sculpture est en fait à la gloire du Roi Aquila, fondateur du Royaume Oriental de Mikado, chose qui est tout sauf anecdotique.

Concrètement, au cours de l’aventure, Flynn (Le protagoniste) et deux de ses compagnons se trouvent transportés dans d’autres dimensions, des mondes parallèles où la précédente incarnation de Flynn (Probablement Kazuya du premier SMT) a agi différemment lors de la crise qu’a connu Tokyo des années auparavant. Ces actions ont ainsi donné naissance à trois réalités respectivement dirigées par les courants Law, Neutral et Chaos. Et dans chacun de ces mondes, Flynn rencontre un certain Akira avec qui il devra s’allier pour progresser. Mais ce qui est intéressant c’est qu’un de ces Akira, après avoir été aidé, dit qu’il rendra hommage à Flynn et ses compagnons en fondant un lieu appelé le Royaume Oriental de Mikado.

Il sera donc le Roi Akira du Royaume Oriental de Mikado.

Les fans de manga et d’animation japonaise auront immédiatement compris l’astuce employée par le scénariste ici. Akira et Aquila se prononcent de la même façon en japonais, le « R » et le « L » produisant le même son dans cette langue. Le troisième Akira est donc Aquila, l’homme qui a passé un pacte avec les Archanges pour fonder le Royaume Oriental de Mikado dans la réalité originelle des personnages. La statue située dans la Forteresse de Mikado a donc été sculptée à l’effigie de ce troisième Akira.

Où est-ce que je veux en venir avec tout ça ? Eh bien, je pense que ce nom n’a pas été choisi par hasard. D’ailleurs, dans Shin Megami Tensei II nous trouvons une autre statue érigée en l’honneur du créateur de Tokyo Millennium : un certain Akira Otomo.

 

Il serait tentant de voir dans la statue du Roi Aquila un subtil clin d’œil réservé aux fans du second opus et pourtant... Otomo... Akira...

Le manga Akira, publié de 1982 à 1990 (avec une adaptation cinématographique en 1988), est l’œuvre de l’auteur Katsuhiro Otomo. Atlus décide de se s’émanciper des romans Megami Tensei et sort Shin Megami Tensei en 1992.

Un hasard, une coïncidence ? Je ne crois pas. Je crois, au contraire, que l’oeuvre culte de Katsuhiro Otomo a énormément influencé de nombreux créateurs, dont ceux de chez Atlus.

Mais plus qu’un simple hommage en passant via une statue, Shin Megami Tensei a été profondément marqué par Akira. Et c’est ce que je voudrais vous démontrer.

 

Cyberpunk en dystopie majeure.

 

Katsuhiro Otomo a choisi une façon bien singulière de démarrer son histoire et le choc fut d’autant plus important pour ceux qui ont découvert Akira via le film d’animation. Car la scène d’ouverture de son œuvre, c’est une explosion. Nous sommes en décembre 1982 et Tokyo vient d’être engloutie en un éclair dans une immense explosion. Une image « choc » qui ne manque pas de rappeler les terribles bombardements de Hiroshima et Nagasaki.

L’événement prit le monde par surprise et fut le déclencheur d’une Troisième Guerre Mondiale où de nombreuses villes furent atomisées.

En 2019 (Notez que par la suite les dates ont été changé en faveur de 1992 et 2030) , la paix est revenue et la ville a été reconstruite sous le nom de Neo-Tokyo avant d’être à nouveau détruite à la moitié du manga (Mais pas dans le film).

Il en est de même pour la ville dépeinte dans les Shin Megami Tensei. Car si le premier opus se déroule en majorité dans un Tokyo « normal » (à l’exception des démons qui viennent de l’envahir et de la loi martiale qui y est mise en place en conséquence), sa dernière partie se propose, elle aussi, de raconter l’histoire de la ville après qu’elle ait été détruite deux fois. Deux fois, oui.

Tout d’abord en 199X, lorsqu’un bombardement atomique a lieu afin de contenir l’invasion démoniaque puis une seconde fois en 203X lorsque Dieu décide de provoquer un nouveau déluge qui submerge la capitale nippone sous les eaux de l’Océan Pacifique.

Des années plus tard, en 20XX, Akira Otomo fonde la cité sainte de Tokyo Millennium.

Cette double destruction est d’ailleurs un thème récurrent de la série d’Atlus. SMT III raconte ainsi comment un homme du nom de Hikawa a provoqué la fin du monde (La « Conception ») puis comment le joueur se retrouve à « détruire » le Vortex World, état transitoire dans lequel se trouve le monde en attendant de pouvoir renaître, afin de le refaçonner à son envie. Idem pour SMT IV où nous apprenons que Tokyo a failli être détruite par un bombardement des années auparavant et où les événements du jeu peuvent conduire la ville a être détruite afin de pouvoir être rebâtie sous la forme que le désire le joueur.

La destruction de Tokyo est donc dans Akira comme dans les Shin Megami Tensei un thème fort et récurrent. Mais ce n’est pas tout.

En effet, vivre en ces lieux n’est pas vraiment une chose plaisante. Que ce soit Neo-Tokyo, les ruines fumantes du Tokyo venant d’être bombardé ou encore Tokyo Millennium, un climat d’insécurité est constamment à l’œuvre.

Ainsi, comme souvent dans le genre post-apocalyptique mais surtout dans le domaine du cyberpunk, ces villes sont des lieux lugubres et violents. Ce constat est assez évident dans le Tokyo bombardé étant donné que la ville se trouve plongée dans le chaos avec deux factions s’affrontant pour son contrôle. Et même avant sa destruction, Tokyo était la proie de bandes organisées sévissant malgré le couvre-feu. Concernant Neo-Tokyo et Tokyo Millennium, malgré qu’ils aient un gouvernement (Le Parlement pour l’un, le Centre pour l’autre), ils ne sont pas  mieux lotis.

En effet, il y a d’abord le problème des démons qui rôdent en ville, en particulier dans le quartier populaire de Valhalla, malgré les efforts des Chevaliers du Temple (la « police »). Régulièrement, ces créatures attaquent la population et provoquent des catastrophes. De plus, les Chevaliers du Temple ont tendance à persécuter ceux que le Centre désigne comme indignes de vivre à Tokyo Millennium, qu’ils soient humains ou démons. Ainsi, lorsqu’ils ne sont pas emprisonnées ou exécutés, ces derniers sont obligés de fuir jusqu’aux ruines de l’ancienne Tokyo, sous la cité sainte. Enfin, les habitants de Valhalla apprécient énormément les divertissements proposés par le Colisée : des combats à mort entre gladiateurs humains visant à déterminer qui est digne de vivre au Centre, à l’abri des démons.

Non, malgré les apparences, Tokyo Millennium n’est pas un endroit où il fait bon vivre.

Sans aucun élément surnaturel, Neo-Tokyo est un habitat tout aussi peu enviable. Le Parlement y est montré comme une institution corrompue par une élite ne cherchant qu’à satisfaire ses propres besoins au détriment de ceux du peuple qui s’appauvrit et souffre du chômage. Quant aux rues, elles sont un lieu de débauche où le crime est roi. La jeune population de Neo-Tokyo est en majorité déscolarisée et préfère s’adonner à des activités hors-la-loi. La drogue circule quasi librement, même chez les mineurs. On imagine sans mal que la prostitution est également une chose très commune en ville. Enfin, les routes sont de véritables champs de bataille où des gangs de motards s’affrontent à mort sans prêter la moindre attention aux personnes innocentes autour d’eux.

A ce titre, la séquence d’ouverture du film Akira est une bonne illustration de cette violence permanente. Concrètement durant cette séquence, un homme est tué lorsqu’un voyou à moto se retrouve éjecter avec son véhicule au travers de la vitre du restaurant où l’homme était en train de manger. Kaisuke, le membre du gang rival ayant pousser le voyou dans le décor, ne montre aucun remord devant les dégâts collatéraux qu’il a causé et semble même très satisfait du résultat. Plus tard dans le film, une jeune adolescente du nom Kaori manque de peu de se faire violer en plein jour et au beau milieu de la rue. Là encore, les criminels de Neo-Tokyo ne semblent pas éprouver la moindre inhibition.

 

 Il y a bien sûr une police à Neo-Tokyo mais elle est parfaitement impuissante face à la montée du crime. Les délinquants juvéniles sont rapidement relâchés après leur arrestation et les écoles servant à leur réhabilitation ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient, les professeurs allant jusqu’à battre les élèves jusqu’au sang. Le niveau d’insécurité est tel qu’il est récurrent d’assister à des émeutes et des attentats suicide en ville.

La situation est encore moins reluisante après la seconde destruction de Tokyo. Cette fois-ci, il n’y a plus aucune forme de police et les criminels sont donc libre d’agir à leur guise.

Ainsi, que ce soit dans Akira ou dans la série Shin Megami Tensei, Tokyo est montrée comme un lieu dangereux où la violence trouve toujours le moyen de s’exprimer. Comme tout univers cyberpunk qui se respecte, ces deux histoires veulent faire ressentir au lecteur/joueur/spectateur toute la noirceur que peut atteindre la société humaine quand les pires circonstances se réunissent.

Du point de vue de la présentation, ces deux histoires sont également très proches. La direction artistique est dans les deux cas typique des univers cyberpunk japonais des années 80 et 90 que ce soit dans le design des personnages ou les décors. On retrouve ainsi aisément le même genre de codes que dans des œuvres telles que Ghost in the Shell, Gunnm ou Armitage III.

Et nécessairement, on retrouve également dans ces œuvres le cœur même du mouvement cyberpunk : la menace représentée par l’évolution de la technologie.

 

Deus Ex Machina.

Ce qui définit le cyberpunk, bien avant les ruelles dangereuses d’une cité engloutie par le crime, c’est  le traitement qui y est fait de la technologie ou de la science en général. Les bases du genre ont été posées par William Gibson dans son roman Neuromancer. Dans cette fiction, l’auteur décrit un futur où la technologie a littéralement envahi notre quotidien entraînant de nombreuses conséquences pas forcément bénéfiques. Tel est le vrai propos du cyberpunk. Notre avenir est sombre car la Science évolue plus vite que nous. De ce fait, c’est par l’évolution technologique que viendra le déclin de la société humaine (Il ne s’agit pas forcément de sa destruction. Les dégâts peuvent être d’ordre moral, civique ou philosophique, la Science progressant plus vite que la Pensée humaine). Ce courant littéraire joue ainsi sur un mélange de fascination et de peur que l’homme peut être amené à ressentir face aux perspectives de progrès scientifiques. Avoir des implants cybernétiques améliorant ses capacités, pouvoir lire dans les pensées ou vivre dans un monde totalement connecté à Internet sont des possibilités qui nous semblent attirantes, « cool » même. Mais à quoi ressemblerait une société où ces progrès ont eu lieu ? Quelles seraient les conséquences, le prix à payer pour jouir de telles avancées ?

Shin Megami Tensei pourrait sembler hors-sujet en raison des démons et autres éléments purement magiques qui le composent. Toutefois, la technologie est en réalité au cœur du scénario de la série d’Atlus.

En effet, dans Shin Megami Tensei premier du nom, c’est au cours d’une expérience sur la téléportation que des scientifiques japonais ont accidentellement ouvert un portail vers une dimension appelée « The Expanse ». L’invasion démoniaque a donc été provoquée par la technologie et c’est avec celle-ci, via le feu nucléaire, que l’armée cherche à arrêter les monstres.

De la même manière, l’outil principal du joueur dans sa quête est le « Demon Summoning Program », un programme informatique permettant d’invoquer et des contrôler des démons au combat. La Science est, là encore, le vecteur d’une forme de fascination mêlée à de la peur car si combattre en utilisant des monstres est cool (Ne mentez pas, vous aussi avez passé des heures sur Pokémon !), il est terrifiant d’imaginer une telle arme entre de mauvaises mains.

De son côté, Akira offre une trame du même genre.  Ainsi, l’histoire de Katsuhiro Otomo nous raconte que l’armée japonaise se livrait à des expériences sur des enfants en vue d’en faire des Espers, des humains dotés de pouvoirs psychiques. Cependant Akira, le sujet le plus prometteur, perdit le contrôle de ses pouvoirs, détruisant entièrement Tokyo dans l’explosion ouvrant le manga et son adaptation cinématographique.

Nous avons dans les deux cas un futur post-apocalyptique et cyberpunk né des errements de scientifiques qui ont joué avec des pouvoirs échappant à leur emprise.

Par ailleurs, dans les deux cas l’histoire est amenée à se répéter. Effectivement, au début d’Akira, Tetsuo Shima, un jeune motard du gang « The Capsules » est capturé par l’armée. L’adolescent venait d’entrer en contact avec Takashi, un Esper fraîchement évadé du centre de recherche. Cette expérience a « contaminé » Tetsuo, éveillant en lui des capacités psychiques. Emmené captif au laboratoire, Tetsuo sert alors de cobaye en raison du potentiel très prometteur révélé par l’analyse de son cerveau. Tetsuo pourrait être le nouvel Akira.

De son côté, Shin Megami Tensei II suit la même voie. Dans ce jeu le joueur incarne Hawk, un jeune guerrier amnésique amené à combattre dans les combats du Colisée. Mais rapidement, il est révélé que le véritable nom de Hawk n’est autre que Aleph et qu’il est l’un des sujets du Messiah Project, une expérience visant à créer artificiellement le Messie que Dieu avait promis d’envoyer à Tokyo Millennium (Oui nous parlons bien ici d’un nouveau Jésus Christ). Les différents individus créés par se procédé, comme Aleph, rejoignent alors les forces des Chevaliers du Temple afin d’être le bras armé du Centre.

Entre outre, Tetsuo et certains des « Messies » partagent une destiné similaire, se rebellant contre le gouvernement qui les a créés. Ainsi Tetsuo s’évade du centre de recherche, semant la désolation sur son passage à l’aide de ses nouveaux pouvoirs. Il finit par trouver le caisson cryogénique où repose Akira depuis trente ans et l’en libère. Akira est dans un état proche de l’autisme aussi, lorsque l’Esper Takashi est tué durant une fusillade sous ses yeux, l’enfant déclenche la nouvelle destruction de Tokyo.

Aleph et d’autres sujets du Messiah Project, quant à eux, vont se dresser contre la tyrannie du Centre et tenter de prendre le pouvoir de Tokyo Millennium, laissant la place à la dernière partie du jeu.

Pour ces raisons, la Science est décrite comme une source de trouble aussi bien dans Akira que dans Shin Megami Tensei, conduisant à chaque fois à la destruction de l’ordre établi. Ce sont les fruits de la Science qui s’opposent à la société, Tetsuo occupant ce rôle dans Akira tandis que les « Messies » font de même dans Shin Megami Tensei II. On remarque pourtant qu’Akira comme Shin Megami Tensei ne font pas preuve d’un pessimisme absolu au sujet de la Science. En somme, le « Demon Summoning Program » n’est qu’un outils. Il n’est pas fondamentalement mauvais et peut servir à accomplir de bonnes actions. De même, selon les choix du joueur, Aleph peut être amené à agir pour le bien de l’humanité. Dans le même ordre d’idée, Akira ne détruit Tokyo que par accident. Ce n’est qu’un enfant autiste qui ne contrôle pas ses actions et, en outre, c’est de lui que vient le salut de Tokyo lorsqu’il utilise ses pouvoirs avec l’aide des autres Espers pour arrêter Tetsuo Shima à la fin du film comme du manga, devenant ainsi une force bénéfique de l’intrigue. Pour sa part, le très perturbé et avide Tetsuo est justement l’illustration qu’un grand pouvoir peut conduire au désastre lorsqu’il est utilisé à mauvais escient. D’ailleurs si Akira est toujours montré soit comme un humain soit comme un être « supérieur » (Dans le film), Tetsuo, lui, incarne clairement une menace, une abomination même. Ainsi lorsqu’il est blessé, il finit par se greffer un bras mécanique puis, il finit par prendre une forme bien plus effrayante en absorbant tous les éléments électroniques autour de lui. Durant la toute dernière partie de la scène sa forme finale, un immense amas de chair, de veines et d’organes, est particulièrement grotesque et terrifiante. Ce genre de transformation se produit également dans l’univers Shin Megami Tensei notamment lorsque certains personnages fusionnent avec des démons même si le résultat est rarement aussi dégoûtant.

Par ailleurs, dans les deux univers, la Science acquiert un aspect religieux puisque c’est en voulant transcender l’espèce humaine que les scientifiques donnent naissance à Akira et à Tetsuo Shima et c’est en voulant créer artificiellement leur Sauveur que les membres du Centre (En fait des archanges) ont posé les premières pierres de leur propre anéantissement.

D’ailleurs, les compositeurs Shoji Meguro et Tsutomu Ohashi l’ont très bien compris, instillant orgues et chants aux sonorités sacrées dans les bandes originales de ces oeuvres. (D’ailleurs si on m’annonçait qu’Ohashi devait composer la BO de SMT V je n’y verrais aucun inconvénient tant le feeling de son travail sur Akira est similaire à l’ambiance d’un SMT)

De plus, au cours de l’aventure Aleph découvre également que le Centre a non seulement cherché à créer des « Messies » mais également Dieu lui-même. Certes, cette partie là ne fait pas appel au moindre aspect technologique vu que la fausse divinité prend forme uniquement grâce au pouvoir des archanges mêlé à leur Foi déformée. Néanmoins, comme pour Akira et Tetsuo, il s’agit d’une société qui créé son propre dieu.

Car oui, Akira et Tetsuo obtiennent un statut divin suite à la nouvelle destruction de Tokyo et c’est dans les ruines inondées de la ville, cadre de la seconde moitié du manga (Partie totalement absente du film même si la ville est belle et bien détruite par Akira à la fin et que Tetsuo est pris pour lui par les émeutiers menés par Lady Miyako) que les jeux d’Atlus et le manga de Katsuhiro Otomo révèlent leurs plus importants points communs.

Effectivement, Akira et Shin Megami Tensei partagent certains questionnements. Des interrogations sur la manière dont le monde, ou du moins le Japon, devrait être dirigé.

 

Reconstruire sur les cendres de l’ancien monde.

Les habitués de la licence d’Atlus le savent, plus qu’un conflit éternel entre Lucifer et Dieu, l’histoire de Shin Megami Tensei parle de la reconstruction du monde et de la manière dont celui-ci devrait être gouverné. La Terre devrait-elle n’être que chaos et anarchie, une jungle urbaine où les forts écrasent les faibles, où chacun essaie d’imposer sa volonté ou bien faudrait-il mettre en place un pouvoir centralisé fort qui dicterait des lois, des commandements auxquels il serait impératif d’obéir pour ne pas être châtié ? L’humanité devrait-elle revenir au Droit Naturel ou bien se raccrocher à nouveau au Contrat Social ?

Plus qu’une guerre céleste, Shin Megami Tensei est un débat philosophique sur le monde et la société humaine et ceci dés la dernière partie de l’opus originel.

Ainsi, suite au bombardement de Tokyo, deux factions émergent de la masse des survivants. D’un côté, les très pieux membres de l’Ordre du Messie sont versés dans un dogme très stricte et sont prêts à mettre en place un Etat policier afin de faire respecter les lois divines. Pour eux, le groupe prévaut sur l’individu et la paix sociale ne peut passer que par une société structurée avec des lois et chefs.

De l’autre côté, les gens du Culte de Gaia, eux, préfèrent la solution inverse. Selon eux, il faut profiter de l’occasion pour reconstruire la société selon un Darwinisme exacerbé. C’est le Droit Naturel. L’individualisme à son paroxysme. Bien sûr, il peut y avoir un chef mais celui-ci ne peut obtenir son pouvoir que par la force. On dirige car on est le plus fort, pas parce qu’un bout de papier ou un vote l’a décidé.

Au centre du débat se trouve la voie Neutre. Ici il ne s’agit pas  de suivre ce que prônent d’autres personnes (Ou Dieu et Lucifer) mais de forger son propre destin, au-delà de ces discussions sanglantes.

Kazuya, le protagoniste incarné par le joueur dans le premier jeu, doit donc décider dans quel camp il veut se ranger ou s’il va plutôt essayer de suivre la voie de la neutralité.

La discussion reprendra ensuite de plus bel, lors des événements de Shin Megami Tensei II où Tokyo Millennium est justement décrite comme l’aboutissement de la voie de l’Ordre. Ainsi, les adorateurs de Dieu sont parvenus à construire une nouvelle Cité Sainte visant à accueillir le Messie dés son retour sur Terre et, à l’aide de leur Eglise et des Chevaliers du Temple qui la servent, font régner l’ordre sur toute la Cité et chassent démons et infidèles.

Des démons, des messies, l’Ordre et le Chaos... Tout ça semble, à première vue, bien éloigné du manga de Katsuhiro Otomo. Pourtant, c’est  d’une certaine façon tout le fondement de ce dernier.

C’est-à-dire que dés le début d’Akira, bien avant la seconde destruction de la ville, il est possible de voir certains éléments allant dans le sens d’un conflit entre l’Ordre et le Chaos. Ainsi, Neo-Tokyo est décrite comme une mégapole au gouvernement finalement familier pour le lecteur. On y retrouve toute une classe politique prenant les décisions et votant les lois, une police et une armée servant à maintenir l’ordre et, sans qu’il n’y ait réellement besoin d’en parler, on imagine bien pouvoir retrouver à Neo-Tokyo des représentants du pouvoir judiciaire. Malgré son caractère post-apocalyptique, Neo-Tokyo semble fonctionner comme la société dans laquelle nous vivons. Bref, c’est une démocratie ou du moins quelque chose qui s’en rapproche suffisamment mais qui est ici sur le déclin. Nous sommes ici dans une situation similaire à celle de la ville de Tokyo au début du premier Shin Megami Tensei donc (Où la loi martiale fait naître un sentiment d’oppression chez les citoyens tandis que le bombardement finit de montrer que l’élite n’a que faire du bien-être du peuple de Tokyo). On se retrouve donc bien dans le cas du contrat social de Rousseau. Les hommes ont abandonné leur liberté pour vivre en société selon des lois et des règles façonnant la cohésion du groupe. L’intérêt du groupe passe avant celui de l’individu qui a volontairement renoncé à ses droits naturels. Néanmoins, il y a d’autres factions qui pensent avoir leur mot à dire sur la façon dont est tenue la société.

D’une part, au cours des événements, une congrégation religieuse menée par une vieille femme aveugle du nom de Lady Miyako fait son apparition. Cette dernière se trouve être un Esper ayant survécu à l’époque où Akira détruisit Tokyo pour la première fois. Lady Miyako,  met ainsi en place une forme de culte religieux autour de sa personne et autour d’Akira qu’elle désigne comme le Sauveur de Tokyo. Aussi, elle envoie plusieurs de ses hommes afin de capturer le garçon pour le bien du peuple de Tokyo (Comprendre : le bien du groupe). Ses acolytes se joignent ainsi aux militaires dans leur traque d’Akira lorsque ce dernier est libéré par Tetsuo Shima. Lors de la seconde moitié du manga, le culte de Lady Miyako est toujours en activité, accueillant les réfugiés et leur offrant nourriture et protection. Et même encore après la destruction de la ville, le culte vénère Lady Miyako et Akira comme leurs Sauveurs. Nous retrouvons bien là toutes les facettes du courant Law, c’est-à-dire l’Ordre, de Shin Megami Tensei. Il y a bien l’aspect religieux avec le culte de Lady Miyako mais surtout, il y a la structure sociale avec un gouvernement fondé sur des lois et règles. D’ailleurs, comme souvent dans Shin Megami Tensei (La loi martiale du premier jeu, les persécutions causées par le Centre dans SMT II, la société de castes de Mikado dans SMT IV...) , Neo-Tokyo est dépeinte comme le théâtre d’inégalités sociales. En raison du système en place, il y a une élite à la tête de la société tandis que la majorité du peuple en subit les maux.

Et parce que la société est source d’inégalités, un groupe d’individus s’acharnent en coulisse à faire tomber le gouvernement en place. Cette Résistance autoproclamée a eu vent des expériences sur les Espers et veut, en mettant la main sur Akira, s’en servir pour faire tomber le gouvernement.

Toutefois, contrairement aux apparences, la Résistance n’est pas si différente du gouvernement. Il aurait été tentant de classer ce groupe dans la catégorie « Chaos » (Puisque souvent les adeptes du Chaos se rebellent contre l’Ordre en place) mais faire cela serait aller trop vite en besogne. La Résistance, dans Akira, n’est pas anarchiste ou même individualiste. Elle ne prône pas le Chaos. Au contraire, la Résistance a foi dans le système et veut tout simplement mettre en place de nouveaux dirigeants. La Résistance veut une société débarrassée des individus corrompus voulant profiter du système, une société donc plus conforme à leurs intérêts car fondée sur l’idée de favoriser le bien-être du groupe et non seulement celui de l’élite. Du moins c’est idéalement ce que veulent faire Ryu et Kei mais leur véritable leader, le ministre Nezu, opère dans l’ombre pour s’approprier la ville à l’aide des troubles causés par la Résistance. La Résistance n’a donc rien à voir avec le Chaos. Ce dernier n’est pas vraiment le courant de ceux qui combattent pour améliorer le système mais de ceux qui veulent faire valoir leur individualité avant l’intérêt du groupe.

Une société où l’individu passe avant le groupe, tel est l’aboutissement du raisonnement de Tetsuo et la raison pour laquelle, lorsque la société s’est littéralement effondrée sur elle-même lors de la seconde destruction de Tokyo, le jeune homme fonda le Grand Empire de Tokyo. Cette nouvelle société est entièrement régie par la loi du plus fort. Les forts, ce sont les hommes de Tetsuo qui parcourent les ruines afin d’assouvir leurs bas-instincts et de prendre aux plus faibles vivres et médicaments voire même d’enlever quelques jeunes filles afin d’en faire des esclaves sexuelles. Et au dessus des forts, il y a Tetsuo qui est, en temps qu’Esper, l’être le plus puissant de la ville donc son dirigeant autoproclamé. Il fournira d’ailleurs des drogues à ses plus fidèles soldats pour en faire des Espers, gagnant leur faveur tout en s’assurant qu’ils restent de moindre puissance que lui. Cette nouvelle situation est l’occasion pour le lecteur de remettre en perspective l’évolution du personnage et les raisons de son comportement.

Car Tetsuo n’est pas le grand antagoniste maléfique typique auquel on aurait pu s’attendre. Il commet énormément de mauvaises actions, certes, mais il n’est animé que par sa vision propre de la société. Il ne fait pas le Mal pour le plaisir de faire le Mal. Il n’est pas un sadique et fait même preuve d’une grande compassion à l’égard de Kaori, une jeune fille qui devient sa concubine et la nourrice d’Akira sous le Grand Empire de Tokyo.

Cet adolescent est en réalité le pur produit de la société ultraviolente dans laquelle il baigne depuis l’enfance. Abandonné alors qu’il avait l’âge d’aller à la maternelle, Tetsuo n’a jamais été plus que le subalterne de Kaneda durant toutes ces années. Etant le cadet du gang, il était régulièrement l’objet de railleries et était de facto désigné comme le membre le plus faible devant être protégé. Dans ce monde où des motards s’entretuent pour une question de territoire et où lui n’était rien de plus qu’un élément du groupe (Par opposition au chef, Kaneda, qui lui est mis en avant), Tetsuo se sentait particulièrement insignifiant (Crainte vraiment vivace dans un de ses cauchemars où il se voit tomber littéralement en poussière). C’est d’ailleurs un état d’esprit qu’il partage en quelque sorte avec Isamu Nitta, personnage de Shin Megami Tensei III qui, sans prôner le Chaos (Cet épisode ajoutant de nombreuses nuances supplémentaires aux différents courants), veut créer un monde où chaque individu peut exister sans l’interférence des autres puisque lui a toujours l’impression qu’il ne comptait pas à l’échelle du monde.

C’est pourquoi lorsque Tetsuo obtient ses pouvoirs, il est complément enivré par ses nouvelles capacités. Il a enfin le moyen d'exister. Il n’a que deux obsessions en tête : Montrer à tous sa toute puissance et obtenir plus de pouvoir. Tetsuo enchaîne donc les démonstrations de force tout en se gavant de drogues diverses, puis en s’emparant d’Akira. Enfin, une fois son Empire mis en place, l’Esper continuera ses prodiges, n’hésitant pas à détruire une partie de la Lune ainsi que plusieurs avions de chasse américains pour les dissuader d’intervenir tout en profitant du culte autour d’Akira en faisant du gamin un Empereur de Droit Divin (Etant bien plus puissant que Tetsuo) pour justifier un peu plus sa propre domination ce qui est plus ou moins ce que comptait faire Nezu en prenant le pouvoir (Il est clairement montré que Nezu voulait obtenir Takashi, puis Tetsuo et Akira afin d’utiliser le culte autour d’eux comme moyen de légitimer son coup d’état).

Devenir plus fort afin de s’affirmer et de faire entendre sa voix. Cela est typique des agents du Chaos dans la série Shin Megami Tensei. En effet, l’individu est au centre du courant Chaos. Le « Je » y prévaut toujours sur le « Nous » du moment que « Je » est suffisamment fort pour imposer sa volonté à « Nous ».

René Descartes a énoncé le principe « Cogito Ergo Sum ». Avec cette formule, le philosophe place l’individu au centre de sa pensée en temps qu’élément de réflexion face à son environnement. Lorsqu’il doute de la réalité, lorsqu’il pense que ses propres sens le trompent, l’individu peut toujours se raccrocher au simple fait qu’il doute. « Si je doute, c’est parce que je pense. Si je pense, c’est parce que je suis ». L’individu devient alors la base de la Vérité. Ainsi une réflexion sur le monde, sur l’univers, doit partir de l’individu et en particulier de ses doutes pour être fiable.

Or, les adeptes du Chaos se sont appropriés ce principe philosophique, le déformant selon la nécessité d’assouvir leurs besoins naturels dans une logique Darwinienne poussée à l’extrême (Je suis fort, donc je suis), prônant que seul l’animal en haut de la chaîne alimentaire a voix au chapitre et s’inspirant du Zarathoustra de Nietzsche qui énonce que les faibles doivent être gouvernés par le Surhomme, le fort donc pour les adeptes du Chaos (cf. Cet article de mon camarade Sensui). Chiaki, l’adepte du Chaos de Shin Megami Tensei III, dit ainsi, après avoir absorbé la puissance du démon Baal, qu’elle a obtenu le pouvoir de forger son propre destin. Cette logique s’applique également au Héros du Chaos du premier Shin Megami Tensei qui, lui aussi, se résout à fusionner avec une créature démoniaque car c’est le seul moyen à ses yeux de devenir assez fort pour remplir ses objectifs (Libérer l’humanité du joug de Dieu). D’ailleurs, il est amusant de remarquer que l’un des noms officiellement retenus (parmi Waruo et Takeshi) pour le Héros du Chaos est, selon les pages du Shin Megami Tensei Final Story: Atlus Official Replay Novel , le prénom Tetsuo. Coïncidence ? Je ne crois pas.

Et comme pour appuyer cette ressemblance, le dernier plan du film nous laisse entendre la voix du jeune homme qui dit calmement, semblable à un ultime écho de sa volonté :

« Je suis Tetsuo ».

Au final, le Grand Empire de Tokyo ainsi que le Parlement et les forces américaines ne sont rien de plus que les incarnations finales des courants Chaos et Law et montrent la même vulnérabilité que ces derniers. En effet au début de l'histoire, la Bureaucratie est vulnérable aux attaques venues de l’intérieur. Il suffit qu’une opposition possédant une force suffisante apparaisse pour mettre à mal l’ordre établi. Il suffit donc qu’un coup d’état ait lieu. C’est plus ou moins ce qui est arrivé avec Tetsuo et Akira. Comme Nezu comptait le faire, Tetsuo a utilisé une force suffisante pour abattre le système. Et lors de la seconde moitié du manga, la Bureaucratie, représentée par les américains, est bien impuissante devant Tetsuo qui est capable à lui seul de repousser leurs machines de guerre. Là encore, les pouvoirs de l'adoscelent lui permettent de maintenir son autorité. Toutefois, le Grand Empire de Tokyo se montrera finalement tout aussi vulnérable durant les derniers volumes puisque régner par la force implique nécessairement qu’un jour quelqu’un essaiera un jour détrôner le tyran par la force (Par exemple : SMT III montre la faction du Chaos changer de chef lorsque Chiaki succède à un Gozu-Tennoh mourrant puis, éventuellement, lorsque le joueur tue cette dernière s’il suit la voie du Chaos).

Et c’est ce qui arrive lorsque les américains envoient sur place un commando pour assassiner Akira et Tetsuo tandis que le bras droit de ce dernier tentera lui-même de prendre le pouvoir. Chose qui non seulement échouera mais coûtera la vie de Kaori.

Pire, lorsque Tetsuo se retrouve réellement acculé un peu plus tard, il perd le contrôle de la ville mais il perd également son emprise sur son propre pouvoir se transformant en monstre grotesque. Cette ultime apparence semble être l’incarnation même du Chaos puisqu’ainsi le corps de Tetsuo se met à se comporter comme une amibe, organisme profondément égoïste dévorant tout ce qui se présente devant lui. La nature autodestructrice est alors mise en avant par cette mutation car le Chaos ne peut rien construire pour durer. Toute société fondée sur le principe du Chaos ne peut conduire qu’à la ruine.

Ainsi, malgré la destruction de la ville ou, plutôt, à cause de celle-ci, les forces de l’Ordre et du Chaos continuent de s’affronter jusqu’à l’apothéose de cette histoire. Et au centre du conflit, le peuple de Tokyo souffre.

Le peuple de Tokyo est représenté dans Akira par la jeunesse japonaise. Cette même jeunesse qui se trouve être composée en bonne partie par des délinquants et des criminels est justement le groupe du point de vue duquel nous observons l’intrigue via le protagoniste de l’histoire : Shotaro Kaneda. Celui-ci est l'archétype même du jeune vivant à Neo-Tokyo. Il est en échec scolaire. Ses professeurs le rossent régulièrement et, forcément, il est un criminel.

Car oui, Kaneda  n’est autre que le chef du gang de motards appelé « The Capsules ». Il est le chef et ami d’enfance de Tetsuo Shima et, bien qu’il ne semble pas rechigner à l’idée de fendre des crânes, de lancer des cocktails Molotov en pleine rue ou même de menacer de tuer un enfant, ce garçon est présenté de façon relativement positive dans le récit. Plaisantin, un peu dragueur sur les bords, il est décrit sous les crayons d’Otomo comme un leader responsable qui est très attaché à la sécurité et au bien être de ses amis, les membres de « The Capsules », bien qu’il joue souvent au dur devant eux. Néanmoins, comme tous les autres jeunes de cette histoire, Kaneda n’a que du mépris pour l’autorité et les forces de l’ordre. Bref, c’est l’antihéros typique.

Au cours de l’histoire, Kaneda choisit de s’allier à la Résistance. En vérité cette décision n’est absolument pas animée par la moindre volonté politique de sa part. Au contraire, le jeune homme ne voit dans la Résistance qu’un moyen d’atteindre ses propres objectifs,  espérant profiter de leur aide pour libérer Tetsuo, comprendre ce qu’il se passe au centre de recherche et impressionner par la même occasion la jeune résistante Kei dont il est tombé amoureux. Mais la donne change du tout au tout pour Kaneda lorsque Tetsuo s’évade et tue de sang-froid un autre membre de « The Capsules » : Yamagata. Le chef de gang décide alors de partir à la poursuite de Tetsuo afin de venger son ami.

C’est pourquoi, lors de la seconde moitié du manga, Kaneda se range du côté des forces de Lady Miyako et du Colonel Shikishima (Anciennement à la tête du centre de recherche) ainsi que des Espers Kiyoko, Masaru et Takashi afin de renverser Tetsuo.

Bien entendu, Kaneda n’est pas le seul jeune japonais dont le destin est intéressant dans le contexte de cette histoire. La jeunesse de Neo-Tokyo a été véritablement abandonnée par la société au début du récit. Sans éducation et sans vraie perspective d’avenir, certains se vouent au crime tandis que d’autres rejoignent la Résistance, comme Kei. Plus tard, plusieurs voyous se joignent au Grand Empire de Tetsuo et ses promesses de liberté. Cependant d’autres décident de protéger le peuple auprès de Lady Miyako ou du moins de se dresser contre Tetsuo et son Empire. C’est le cas de Kaisuke, le jeune membre de « The Capsules » dont les exploits à moto ont causé de nombreux dommages collatéraux. Mais également de Kei, la jeune résistante qui, avec son amie Chiyoko, décide de se joindre à Kaneda et les autres. Kei  servira d’ailleurs de vecteur pour concentrer les pouvoirs des Espers, rappelant du même coup la tendance récurrente dans Shin Megami Tensei de montrer un Héros de l’Ordre qui embrasse un pouvoir supérieur et l’aide à réaliser son but.

Ainsi Kaneda, Kei et Kaisuke sont l’illustration que la jeunesse de Tokyo est changeante dans Akira. Ballotés entre les intérêts de divers groupes (La société en place, la Résistance, le Grand Empire de Tokyo, le Culte de Lady Miyako) ces personnages donnent presque l’impression d'être constamment dépassées par les forces en présence et d'être les éternelles victimes des circonstances. Et pourtant non, ce n’est pas vraiment le cas. Justement, c’est ce voyage d’un camp à l’autre qui les fait grandir. Joker, le chef du gang des « Clowns » que Kaneda et ses amis affrontent au début du film et que Tetsuo recrute momentanément est un bon exemple de cet évolution. Il est tout d’abord introduit dans l’histoire comme un antagoniste, un élément négatif, son gang étant décrit comme particulièrement violent et comme s’enrichissant avec le trafic de drogues. Il est un rival de Kaneda ou un sbire de Tetsuo. Mais lorsque Neo-Tokyo est à nouveau détruite, Joker ne reste pas figé dans ses précédentes convictions. Il se surpasse. Il remet en question ses idées. Il rejoint alors la cause de Kaneda.

Bref, c’est l’évolution qui caractérise le mieux la jeunesse de Neo-Tokyo. Et cette évolution est justement la marque de la voie de la Neutralité.

Au-delà des luttes perpétuelles entre l’Ordre (la Bureaucratie) et le Chaos (le Grand Empire de Tokyo), ces jeunes choisissent une autre route, privilégiant la protection du peuple plutôt que d’aider les deux autres factions, car c’est justement tout ce qu’il leur reste. Kaneda et les autres se dressent donc contre Tetsuo, conduisant ainsi sa chute. Puis, quand tout fut terminé, on aurait pu croire que les choses redeviendrait comme avant. Pourtant...

Pourtant c’est sur ce point que Katsuhiro Otomo a choisi de conclure son manga. Alors que Tetsuo et Akira sont morts, l’ONU et l’armée américaine font leur entrée dans les ruines de Neo-Tokyo, prêtes à aider à reconstruire la ville telle qu’elle était autrefois. Or elles sont immédiatement refoulées non pas par des Espers ou des surhommes, mais une foule. A sa tête, Shotaro Kaneda annonce que ces étrangers ne sont pas les bienvenus et que s’ils continuent d’avancer ils seront considérés comme des envahisseurs. Utilisant Akira comme bluff et s’arrogeant la bannière du Grand Empire de Tokyo, la jeunesse japonaise déclare qu’elle refuse l’ingérence des autres pays. C’est un moment extrêmement fort de ce manga et le plus proche de ce que l’on peut retrouver dans les Shin Megami Tensei.

Tel le joueur voulant obtenir la fin Neutre, Kaneda et les autres ont dû affronter l’armée (L’Ordre) puis Tetsuo (Le Chaos) avant de pouvoir découvrir leur propre voie. 

Car ici les jeunes menés par Kaneda se surpassent. Ils ne vont plus dorénavant se contenter de commettre délits après délits, agissant en laissant les responsabilités à la charge du Parlement, pas plus qu’ils ne vont se reposer sur leurs bas-instincts et les épaules d’un tyran. Deux idéologies qui ne leur auront légué qu’un Japon en ruines.

Les jeunes se rendent compte que l’avenir du Japon est entre leurs mains, que ça a toujours été le cas. Ils rejettent les idéaux des autres et embrassent leur potentiel et l'espoir qu'ils représentent.

Ainsi, loin de l’influence de la Bureaucratie ou du Grand Empire tel que Tetsuo le gouvernait, Kaneda et les autres surmontent la dichotomie ordre/chaos et s’en vont bâtir leur propre future.

Je crois qu’il ne fait plus aucun doute que l’œuvre de Katushiro Otomo a fortement influencé la licence Shin Megami Tensei. Les deux œuvres partagent des univers aux thèmes similaires ainsi que les mêmes ambitions narratives telles deux soeurs issues du même héritage génétique. Je dirais même que si vous rêviez de lire une excellente adaptation en manga de cette licence, il vous suffit de lire Akira voire de regarder le film.