Ça vous est déjà arrivé ? Alpha Protocol... par exemple. Deadly Premonition. Pour moi Heavenly Sword ou Les Sables Oubliés.

Un des problèmes que personnellement je rencontre dans les jeux vidéo, et qui parfois se tourne à mon avantage, c'est qu'on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre avant d'y avoir soi-même joué. Quand on lit les tests et les avis des joueurs, au lieu d'avoir une bonne idée de ce qu'est le jeu, généralement on n'a que des attentes, une sorte de flou artistique qui promet tout et n'importe quoi. Combien de jeux censés être superbes graphiquement m'ont paru banals en dehors d'une technique rutilante ? Dead Space par exemple. Combien de jeux soi-disant laids ont finalement une belle composition des décors, une bonne modélisation ou de petits atouts qui font la différence ? Comme Dog Days.

La critique du jeu vidéo est actuellement objective, mais bêtement objective. Pour les graphismes, on a souvent comme défaut le fameux "En retard sur le plan technique". C'est une observation objective lorsque le jeu est comparé à d'autres opus, mais en conclure que c'est un défaut, ça me paraît idiot. Si le jeu a un background papier copieux, on en conclut que l'univers est riche. Pourtant il me semble qu'un univers suggéré par les décors et la direction artistique est bien plus riche que des tonnes de dialogues à caractère informatif qui ont la fâcheuse tendance de sonner faux, et donc, pour moi du moins, d'annuler l'univers au lieu de le faire vivre.

Je me souviens d'une critique de Pedrof sur I Am Alive où il disait qu'il aurait préféré un beau jeu avec un moteur PS2, plutôt qu'un jeu PS3 cheap. En somme, sur un jeu PS2 le fait que notre personnage ne se reflète pas dans une flaque d'eau est une limite acceptable, là où pour un jeu PS3 ça pose problème. On pourrait en conclure que Pedrof réfléchit trop, analyse trop, se "prend la tête pour rien". Mais qu'est-ce qui nous dit que cette réflexion est purement cérébrale ? Que sa racine n'est pas d'abord un ressenti qu'il a cherché à comprendre ?

Parce que le ressenti est une donnée très subjective. Il peut facilement nous tromper. Nous avons tous des préjugés, des attentes, des goûts qui peuvent influencer notre appréciation d'un jeu et nous faire passer à côté de ses qualités comme de ses défauts. La preuve en est qu'on change d'avis, et qu'un jeu essayé dans de mauvaises dispostions peut finalement nous plaire après avoir lu ou entendu du bien dessus, tout comme un jeu adulé dans une fièvre d'enthousiasme peut nous apparaître après coup finalement assez mauvais. Beaucoup de monde est redescendu de son petit nuage à propos du premier Assassin's Creed, par exemple. La première fois, c'est tout beau tout nouveau, c'est l'émerveillement naïf d'un début de gen. Les claques techniques ont généralement cet effet ; de la même façon à l'apparition du bluray, on pouvait lire des commentaires de film qui ne parlaient pas du film, mais seulement de la qualité de l'image.

La violence des gentils idiots

Pire, le ressenti est influençable. Par notre mécanique d'imitation, nous avons tendance à devenir enthousiaste si les autres le sont également (et inversement). Personnellement, même quand je sais qu'un jeu va me déplaire et que les arguments en sa faveur ne me semblent pas du tout convaincants, j'ai beaucoup de mal à me raisonner. En ce moment par exemple je suis sûr que Dishonored n'est pas fait pour moi, mais j'ai quand même envie d'y croire à cause de tout l'enthousiasme qui flotte autour.

C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons souvent affaire à une sorte de faux consensus autour des jeux ; quand beaucoup de monde encense un titre, ceux qui ont moins aimé se sentent mal à l'aise. Ils vont donner leur avis, mais d'une part ils ne sont pas très sûrs d'eux, d'autres part ils craignent qu'on leur tombe dessus, donc ils vont arrondir les angles. Quand on n'aime pas un jeu encensé, on lui met trois étoiles ; ça reste positif, donc non agressif, et on prend bien soin de dire que c'est un avis personnel, que ce n'est "que mon avis", histoire de ne pas chatouiller les susceptibles et de ne pas se manger des définitifs "Tu devrais arrêter le jeu vidéo" ou "T'es passé à côté du jeu", sans autre forme d'argumentation.

C'est la violence des gentils, eux qui ont tout compris sans réfléchir, qui vous rangent dans des cases, qui vous visent personnellement car eux, dans leur puérilité ignarde, se sentent visés quand on aime pas les mêmes jeux qu'eux et qu'on ose en plus expliquer pourquoi, ce qu'ils sont incapables de faire. Il suffit de voir les réactions épidermiques lorsqu'on parle de la violence dans le jeu vidéo. Ils se bouchent les oreilles et hurlent "Et le cinéma alors !", "Staline il a pas eu besoin des jeux vidéo !", accordant la même importance et déblatérant les mêmes arguments aux propos futiles d'une Laure Manaudou qu'à une étude qui pourrait se révéler enrichissante, même si on est en désaccord avec les conclusions.

À les écouter ou les lire, ils ont le monopole de l'amour du jeu vidéo, contrairement aux trolls, aux haters, aux passéistes et autres blasés qu'ils affublent de leur propre faiblesse intellectuelle, comme si ces tristes sires passaient à côté de l'essentiel en bégayant, séniles avant l'âge, des "C'était mieux avant !" sans autre forme de réflexion, comme si c'était pour eux amusant de payer un jeu day one juste pour le plaisir de le détruire, quand eux encensent sur de critères absurdes et volatiles dans une sorte de consensus de l'idiotie générale.

Dans le jeu vidéo, il n'y a que des subjectivités plus ou moins éclairées, et les jeux les plus encensés en surface sont en réalité criblés de petites et grandes déceptions pour les joueurs. La pluralité des avis, des critères, des attentes et la critique devraient être encouragées car elle permet d'élargir notre regard, et non le contraire. La subjectivité crasse et l'émerveillement naïf ne font que nous uniformiser, et par ricochet participe à l'uniformisation du jeu vidéo. Si nous compliquons la tâche aux développeurs, ils vont devoir donner le meilleur d'eux-mêmes sur les jeux. Aujourd'hui au contraire ils ont tendance à nous pondre, peu importe le genre, du survival horror en passant par l'infiltration, des Gears of Duty Uncharted Warfare. À qui la faute ? Aux soi-disant blasés ?