Et alors que les joueurs occidentaux se languissent de voir un jour débarquer sous leurs latitudes une certaine Seiken Densetsu Collection qui fleure bon la nostalgie, c'est finalement Secret of Mana, le second épisode chéri des fans (et donc de votre serviteur) qui aura vu sa façade ravalée, tout comme sa fierté.

Dans la vallée, oh oh, de Mana, la li la la

Vous le savez depuis déjà plusieurs mois : ce remake sobrement intitulé Secret of Mana aura sans doute souffert de nombreuses réunions au sommet au sein de Square Enix, puisque le jeu opte pour une sorte d'entre-deux assez discutable sur de nombreux plans : les équipes de Masaru Oyamada (dont vous pouvez retrouver l'interview ici-même) ont en effet plaqué une sorte de skin 3D sur le jeu d'origine, en conservant ainsi tous les assets d'époque. Il en résulte un drôle d'hybride qui aurait pu faire partie du premier gouvernement d'Emmanuel Macron, tant il essaye désespérément de mettre en pratique sa fameuse doctrine du "en même temps".

La mini-map nichée dans le coin supérieur droit de l'écran est là pour vous le rappeler en permanence : la refonte graphique conserve tous les aspects du jeu de 1993, puisqu'il ne s'agit pas là d'une nouvelle orientation. Là où il aurait été sans doute bien plus pertinent de pousser la logique du remake jusqu'au bout en posant de nouvelles bases modernes, ou en conservant l'aspect 2D mais en sublimant sa partie visuelle comme sait par exemple le faire Vanillaware, Square Enix opte pour ce qui est sans doute la pire des solutions. Et tant qu'à essayer de faire entrer ce remake de plain-pied dans la modernité, qu'il eût été judicieux de proposer a minima une fonction cross-save, sans même espérer du cross-buy. Dans un cas comme dans l'autre, il faudra repasser.

La Flammykuche aux lardons

Ainsi, tout ce qui s'avère aujourd'hui complètement dépassé et qui aurait largement pu être malicieusement extrait ou transformé demeure en l'état : l'étrange système de collision qui temporise l'action sans que l'on comprenne toujours pourquoi est toujours là, et rend les combats assez peu passionnants. Même avec la jauge de recharge qui simule une forme de tour-par-tour ingénieux à l'époque, on se retrouve à asséner des coups d'épée espacés de quelques secondes sur des ennemis la plupart du temps immobilisés, des moments de gêne décidément trop, trop présents. Le design desdits ennemis est d'ailleurs complètement raté, puisque vos adversaires mignons d'autrefois cèdent la place à des amas de polygones grossiers et criards.

D'une manière générale, le jeu ne brille pas par sa direction artistique, qui semble bien plus adaptée aux récents épisodes sortis sur smartphones qu'à un jeu notamment disponible sur une console de salon. Si un certain soin semble avoir été apporté aux différents protagonistes, la patte Super Deformed passe relativement mal lors des cinématiques doublées qui ponctuent l'aventure. Heureusement pour nos oreilles, les voix japonaises sont disponibles d'entrée de jeu, histoire de ne pas avoir à souffrir devant le jeu d'acteur discutable de la version anglophone...

À base de Popoï Popoï

Et tant qu'à parler d'oreilles et d'options, sachez que la bande-son remixée des somptueuses compositions d'Hiroki Kikuta souffre du mal de ceux qui veulent constamment en faire des caisses. Inégaux au possible, les morceaux de ce remake oscillent entre l'inspiré (parfois) et la cacophonie (trop souvent) qui prend tellement de libertés qu'on peine à retrouver les mélodies originales au milieu de ces dissonances malvenues. Le thème des boss provoquera à coup sûr une syncope au mieux portant de nos lecteurs, tandis que celui de Matango offre une belle relecture de l'original. Mais dans sa globalité, la nouvelle bande-son reste à éviter, tant il semblerait que chaque composition ait craqué son slip et soit partie bien trop loin dans son délire pour que l'on puisse la rattraper.

Heureusement, les versions originales restent sélectionnables à tout moment en passant par le menu des options, tout comme il est désormais possible de trouver son propre équilibre entre bruitages, voix et musiques. La possibilité de porter le nombre maximum d'item de quatre à douze fait également partie des rares ajouts tentant de rendre le système d'époque un poil moins austère. En revanche, la présence d'une sauvegarde automatique semblait a priori une excellente idée, mais son unique slot vous obligera à faire très attention à son utilisation. Le prix à payer pour une telle feature est en tous cas beaucoup trop élevé, puisque chaque changement d'écran se traduira par un chargement de quelques secondes, et dieu que les zones sont petites... On comprend d'autant moins les crashs en pleine partie lorsqu'il y a si peu d'éléments avec lesquels jongler...

Jean qui rit

Mais il ne faudrait pas trop charger la mule au risque de l'enterrer un peu trop tôt : ce remake de Secret of Mana corrige quand même quelques points noirs de la version de 1993, à commencer par sa traduction qu'on sait rétrospectivement très compliquée. Exit les localisations forcées à grands coups de patronymes tricolores : les Jean, Lucie et autres Tom redeviennent les Gemma, Rusalka et Durac qu'ils auraient toujours dû rester. Mais à l'image du jeu dans sa globalité, le design mobile de ces héros d'hier passe très mal à l'écran lorsque les développeurs ont joué les radins sur le nombre de polygones mobilisables. Enfin émancipée des contraintes techniques et philosophiques de l'époque, la trame scénaristique peut alors coller à l'originale et prendre un peu plus de hauteur, surtout avec les nouvelles discussions pré-hypnique du trio, qui creusent un peu plus le caractère de chaque protagoniste.

Et si nous avons déjà sonné plus haut le glas des cut-scenes, les quelques animations in-game d'époque deviennent une véritable sinécure anachronique en 2018 : voir les personnages se regrouper et fusionner avec votre héros au mépris des lois élémentaires de la physique, avant de voir votre petite troupe se mouvoir comme un trio robotisé, provoquera légitimement quelques grands moments de malaise. Et ce serait encore pire si nous prenions le temps d'aborder les nombreux, nombreux bugs de collision. Ah, et des ces foutus alliés qui continuent à rester coincés dans le moindre élément de décor... Heureusement, Secret of Mana a au moins le mérite de tourner merveilleusement bien sur PS4 et PC (encore heureux), tout le contraire de sa portable version Vita. Avec ses animations saccadées et sa gestion plus qu'hasardeuse de l'éclairage, la différence de 10 euros s'envole aussi sec pour ne laisser place qu'à un goût amer, bien difficile à faire passer.