De prime abord, on pourrait prendre Hohokum pour un mélange de LocoRoco, Electroplankton, FlOw et Sound Shapes. Réduire l'oeuvre d'Honeyslug à la rencontre de ces influences serait cependant une erreur. Bien qu'elle appartienne au même élan créatif qui efface la frontière entre l'art et le jeu vidéo, Hohokum suit sa propre démarche. Tout commence dans l'obscurité totale, d'où émerge une sorte de serpent avec un oeil en guise de tête. Sa trajectoire se dirige avec le stick analogique (ou les gâchettes), tandis qu'un bouton sert à accélérer, un autre à ralentir, et un troisième à cligner de l'oeil. Une fonction anecdotique, tout comme le frétillement déclenché via le touchpad de la manette PS4, dont la barre lumineuse change de couleur suivant celle de notre serpent caméléon (des fioritures absentes sur PS3 et PS Vita). Hohokum joue donc la carte du minimalisme en matière de contrôles, sans que cela ne l'empêche de procurer un vrai plaisir, à la fois simple et grisant, rien qu'en virevoltant librement dans cet univers figé, du moins en apparence. Car certaines de ses composantes ne tardent pas à réagir aux pirouettes du serpent, le bien nommé "Long Mover".

Abstraction interactive

Il s'agit par conséquent de trouver les éléments réceptifs à son passage, un principe d'interaction rudimentaire, mais aux retranscriptions graphiques, sonores et ludiques nettement plus élaborées. Des lampadaires s'illuminent, des vases se brisent, des personnages bizarres montent sur sa queue, donnant ainsi progressivement vie à ces tableaux. Loin des bouillies de pixels dont se nourrissent souvent les productions indépendantes, parfois jusqu'à l'indigestion, le monde d'Hohokum repose sur les formes épurées de Richard Hogg. Et notre homme a décidément l'art de rendre étranges les choses familières, afin de glisser des métaphores sous ses aplats de couleurs a priori tellement naïfs. Les musiques aux consonances electro viennent y ajouter des textures et du relief, touche par touche, ou plutôt couche par couche, leurs instrumentations s'étalant délicatement à mesure que les facettes animées de l'environnement apparaissent. Ces morceaux issus du très underground label "Ghostly" se développent par conséquent en symbiose avec l'imagerie de Richard Hogg, au point de ne faire plus qu'un avec ces toiles surréalistes, et les mouvements du serpent.

Libre interprétation

On aurait presque l'impression de se promener dans un musée, les divagations de Long Mover reflétant celles du regard qui vagabonde sur ces tableaux. De la même manière qu'une peinture invite à la contemplation avant de chercher une quelconque interprétation, Hohokum se laisse explorer, sans jamais nous guider, ou si peu. Ici point d'interface, ni de plan, pas plus que de notion de challenge, et pourtant, ce monde dissimule nombre d'objectifs, plus ou moins futiles. Alors que certains éléments interactifs n'ont pour vocation que d'exprimer sa créativité intrinsèque, d'autres manoeuvres occasionnent la libération des congénères du serpent, tout en découvrant la myriade d'yeux qui se cachent parmi les décors. Ces procédés tantôt candides, tantôt énigmatiques (pour ne pas dire délibérément abscons) matérialisés par Ricky Hagget ne cessent de se renouveler, quoiqu'ils s'inspirent régulièrement de mécaniques déjà éprouvées. En cela, Hohokum ne s'affranchit pas complètement des codes vidéoludiques, néanmoins ils lui apportent aussi un intérêt tangible, au delà de son inestimable valeur artistique. Certes il est relaxant, voire enivrant de se plonger dans ces fresques fantasmagoriques. Mais sans carte pour s'y repérer, et sans indication pour en déchiffrer les schémas, on a tôt fait de se perdre, avec le risque que ces errances n'engendrent la lassitude. Seule l'expérimentation permet d'arriver à ses fins, une approche qui fait d'ailleurs écho à celle de Richard et Ricky durant ces six années de développement. De fait, beaucoup ne s'y retrouveront pas, puisqu'à l'instar de l'art contemporain, tout dépend de l'oeil et des sensibilités de chacun.