Les Dieux sont morts. C'est ballot. Probablement la mousse de saumon. Ou une morsure de vipère. De plus, le soleil s'est arrêté dans le ciel. Il aurait pu faire ça au Printemps, mais non, le froid et la neige s'installent dans ce pays nordique où les Varls, des géants cornus centenaires, et les humains cohabitent plus ou moins tranquillement. Et pour que la fête soit plus folle, rajoutez une invasion Dredge, ces créatures humanoïdes étranges venues du nord, où elles avaient été repoussées plusieurs fois aux cours de grandes guerres légendaires. C'est un bon début, et attendez-vous à quelques surprises en chemin, du genre à vous plomber le moral encore plus.

Jetés sur la route

Car The Banner Saga, c'est l'histoire d'un grand voyage. De plusieurs grands voyages, d'ailleurs. D'un côté une armée de Varl, accompagnant un prince humain en visite de courtoisie malchanceuse, va se tailler une route au milieu des Dredges, vers le nord-est, pour rejoindre la capitale des Varls. Pendant ce temps, un groupe d'humains fuit son village attaqué vers le sud-ouest. Ils sont dirigés par Rook, un chasseur qui deviendra l'un des personnages principaux de The Banner Saga, même s'il est vrai que de chapitre en chapitre, on découvrira l'histoire à travers plusieurs figures héroïques. Bien entendu, tout ce petit monde se retrouvera en chemin.

Les gens du voyage

Le gameplay se décompose en plusieurs phases, avec des événements offrant plusieurs choix RPG, des batailles durant lesquelles vous déterminerez de la meilleure stratégie et, le plus important, des combats tactiques à foison. La route est longue et les jours défilent. Votre caravane est constituée de paysans, de guerriers et de Varls. Si vous n'avez pas assez de provisions, la population va diminuer. De même si vous gérez mal certains imprévus ou si vous perdez vos combats. Avec des victoires, ou de bonnes décisions, vous gagnez des points de renommée, dépensés ensuite pour faire évoluer ceux de vos personnages qui se seront bien battus (il faut deux victimes à son actif pour passer au rang 2, etc.). Mais cette ressource/expérience sert aussi à acheter des objets aux bonus divers, et surtout des provisions. Si vous gérez mal votre caravane, il s'avérera donc nécessaire d'utiliser votre renommée pour la garder en vie, au lieu de rendre vos perso plus puissants. À moins que vous ne préfériez les laisser crever... Moins il y a de bouches à nourrir... En tout cas, trouver un équilibre n'est pas chose aisée.

Coeur de glace

En ce qui concerne les événements RPG, préparez-vous à devoir prendre des décisions difficiles, parfois sans trop connaitre les conséquences (et d'autres fois en ne les connaissant que trop bien...). N'espérez cependant pas trop d'embranchements dans l'histoire suite à vos choix. Généralement se déroulent des anecdotes secondaires, qui semblent avoir un impact minimum sur votre aventure (si ce n'est des mouvements de troupes dans votre caravane ou votre stock de provisions). Et plus rarement, ça vous tombe dessus comme un marteau de 16 tonnes. Ou comme un Red Wedding. Dans ces moments, on peut légitimement se demander si Georges RR Martin, l'auteur de A Song of Ice and Fire : A Game of Thrones, n'a pas anonymement participé au scénario de The Banner Saga. Quel que soit l'impact de chaque événement, l'injustice, la fatalité, le poids de vos erreurs vous prennent souvent aux tripes et on progresse sans trop espérer de Happy End. Cela dit, il n'y a pas de fin vraiment satisfaisante à ce premier jeu de Stoic Studios. On a clairement affaire à un "premier épisode" : de nombreuses questions restent en suspens, et si aucun "To be continued" ne s'affiche après le générique, on n'en pense pas moins. C'est dommage, mais pour rien au monde je ne voudrais rater cette potentielle suite.

La guerre gadget

Plus terre à terre, les combats ont une grande place dans The Banner Saga. Passons vite sur les affrontements d'armées qui se déroulent lors des événements qui opposent votre caravane à un gros nombre de Dredge. On vous demande simplement la stratégie à suivre (charger, les repousser, fuir, etc.), ce qui, selon la situation, peut mener à la défaite ou à la victoire. Certaines options vous permettent de plonger au coeur du combat pour améliorer vos chances de réussite. Mais clairement, cet aspect de The Banner Saga est sous-développé et sous-utilisé. Ca rajoute de l'ambiance (et encore, sans aucun visuel aidant à l'implication), mais guère plus.

Milieu de mêlée

Le combat tactique sur le terrain reste bien plus passionnant. Parmi vos nombreux personnages, s'il n'y a pas eu trop de morts, vous choisissez une poignée de combattant qui affronteront humains ou Dredges selon la situation (n'imaginez pas que dans ce chaos, l'humanité forme un front unifié...) Chaque héros possède une capacité passive et une active, qui consomme des points de volontés. Ces derniers servent à booster les actions de base : se déplacer, attaquer la force de l'adversaire (qui est aussi sa santé) ou briser l'armure. C'est une ressource à utiliser intelligemment, pour frapper efficacement là où le besoin s'en fait ressentir.

Le système de Stoic, qui vous demande de réduire l'armure de l'ennemi pour le toucher plus facilement, ou de le blesser pour diminuer son potentiel de dégâts, est très intéressant. Toutes les unités ont leur importance, même les plus faibles, et la chance n'a pas vraiment lieu d'être, sauf en ce qui concerne le placement. Les capacités de chacun peuvent en effet être très utiles selon la disposition des ennemis, mais il n'y a pas grand-chose qui nous permet de jouer dessus, à part quelques attaques qui repoussent la cible. Il faut donc espérer que les adversaires se placent idéalement tout seul pour déclencher de belles réactions en chaîne. À vrai dire, une fois les bases de ces mécanismes comprises et assimilées, les combats ne se montrent pas trop difficiles. Si vous êtes un fin tacticien, n'hésitez pas à passer The Banner Saga en "difficile" si vous cherchez un vrai challenge.

Viking jusqu'au bout des cornes

Tous ces éléments de gameplay sont très convaincants pour une première, mais ne manquent pas de défauts, et se montrent plus d'une fois sous exploités. On sent les petits moyens (700.000 dollars tout de même... bien, mais loin des AAA). Tout ceci aurait pu s'effondrer si ça n'avait pas été soutenu par une réalisation magnifique sous tout rapport. Ah oui, il faut apprécier le style graphique. Personnellement je suis fan. Malgré la répétitivité dans le décor, je n'arrive pas à m'en lasser. Et certains tableaux sont totalement épiques. Les personnages sont intéressants, les dialogues tous percutants, le scénario vous happe dès les premières minutes et se complexifie sans larguer personne (quel dommage encore, ce manque de réponses à la fin). Les musiques magnifiques collent parfaitement à l'ambiance. Les animations sont réussies, dans un style que j'aime beaucoup, et leur sobriété contribue à un univers Fantasy cohérent et sans fioriture, où les épées sont des épées, les haches des haches de bûcheron et les arcs de simple bouts de bois... De l'équipement de guerre réaliste, et non des accessoires de mode improbables.

The Banner Saga débarque comme un véritable tour de force, avec toutefois un peu de poudre aux yeux et de belles promesses cachées sous le tapis. Il est rare qu'un jeu indé arrive à donner un tel cachet AAA à une petite production, mais du coup on se sent parfois un peu floué. Le plus problématique reste l'aspect épisodique, alors qu'on ne sait rien d'une éventuelle suite. En attendant, vous pouvez toujours rejouer, pas vraiment pour obtenir une fin différente (ou si peu), mais pour parfaire cette première aventure. Au final, les qualités et le souffle épique de The Banner Saga prennent le dessus : impossible de ne pas être sous le charme, même si vous n'êtes pas adepte des combats tactiques au tour par tour. Au contraire : je le conseille à tous les néophytes pour se familiariser avec le genre. Quoi qu'il arrive, c'est une saga que vous n'oublierez pas.