Alexander Gambotto-Burke, l'auteur de l'article, présente l'intelligence artificielle comme le Saint Graal du jeu vidéo... et pour cause : beaucoup partent à sa conquête, aucun ne parvient à le dénicher. D'autant plus lorsqu'on remet cet état de fait en perspective par rapport aux progrès effectués dans d'autres domaines, à commencer par le graphisme ou la physique. A l'heure où les trois consoles (plus ou moins) next-gen sont enfin là, le constat en matière d'IA reste accablant : on n'a pas vraiment progressé depuis un paquet de temps.

Sois beau et tais-toi !

En même temps, difficile de vendre des jeux en tête de gondole des FNAC sur de l'IA... C'est un peu comme dans la vie : il est plus facile de s'éprendre rapidement face au beau que face à l'intelligent, puisque le second se révèle rarement au premier coup d'oeil. Que ce soit sur PlayStation 3, Xbox 360, ou même sur la Wii et le PC, l'argument le plus mis en avant sera donc celui que le consommateur lambda pourra intégrer le plus vite, celui qui aura le maximum d'impact sur sa fibre consumériste... donc rarement l'IA hors norme d'un jeu. D'un autre côté, un tel jeu ne semble pas encore avoir été créé, malgré de considérables efforts fournis par quelques rares créatifs de l'industrie.

C'est pas gagné

Qui un journaliste du Guardian va-t-il donc voir pour obtenir du biscuit sur le sujet ? Apparemment, pas grand monde. Peter Molyneux, pour commencer, qui déclare volontiers que Fable 2 lui a permis de faire pas mal de progrès en la matière (ce qu'on veut bien croire si le compagnon canin du joueur est aussi intelligent qu'il le prétend). Le patron de Lionhead reconnaît volontiers que "l'intelligence artificielle reste un des pays à découvrir dans le jeu vidéo". Pour lui, "n'importe quel genre de jeu vidéo, des jeux de tir les plus hardcore aux jeux d'aventure entièrement articulés autour de leur scénario, seraient réellement révolutionnés si l'intelligence artificielle était derrière l'intrigue, le scénario, les personnages". Mais malgré ses efforts en la matière, Peter n'est pas encore le mieux placé. C'est plutôt un chercheur et spécialiste de l'intelligence artificielle, Steve Grand (Creatures), qui attaque le plus violemment ce point. "Alors que les graphismes ont évolué, le comportement des personnages est devenu de plus en plus embarrassant. Quand ils avaient un aspect cartoon, n'importe quel comportement vaguement vivant était impressionnant, mais maintenant qu'ils ont des mouvements fluides, des textures réalistes et des expressions faciales complexes, ils tendent à faire fonctionner différents circuits dans le cerveau des joueurs. Plus les graphismes se sont améliorés, pire est devenue la perception qu'on peut avoir de leur comportement".

Fantasmes de joueur

Nous sommes nombreux, je crois, à avoir fantasmé sur un jeu dont l'intelligence artificielle serait suffisamment évoluée pour pouvoir réagir de manière crédible à n'importe laquelle de nos actions. Malheureusement, pour l'instant, les développeurs doivent encore prévoir ce que les joueurs feront, pour que le jeu réagisse correctement - en tout cas dans la grande majorité d'entre eux. C'est ainsi qu'on s'enflamme d'ailleurs devant un Deus Ex, dont la seule réelle qualité technique en la matière était un scripting de folie. Peter Molyneux, encore lui, en parle d'ailleurs très bien, de ces fantasmes (Dieu sait qu'on s'est déjà fait avoir) : "c'est là que se trouvent les grandes victoires, dans les avancées de l'intelligence artificielle. Si en tant que joueur, je peux faire des choses qui n'ont pas été prévues par les développeurs et que le jeu ou ses personnages réagissent en fonction, d'un coup on pense "ce n'est pas juste quelque chose qui attend que je presse sur le bouton B ; ça évolue en fonction de ce que je fais". C'est un attrait émotionnel incontestable, et si c'est bien fait, ça peut même devenir effrayant". Il rappelle cependant le premier que l'Intelligence Artificielle ne fait pas tout, et qu'il faut la mélanger avec "des écrans de fumée et des miroirs". Si les universitaires chercheurs en Intelligence Artificielle se moquent bien des misérables tentatives du jeu vidéo en la matière, pour Molyneux, une bonne IA c'est surtout "ce qu'on voit, pas la façon dont ça fonctionne". Mais pour Steve Grand, l'IA "n'est pas tant dépréciée qu'inexistante. La majeure partie de ce qu'on appelle de l'IA dans l'industrie du jeu vidéo n'est qu'un ramassis de conditions du type "Si ça, alors ça". Si un ordinateur n'apprend pas quelque chose de lui-même, alors un programmeur doit lui indiquer ce qu'il faut faire. Et quelque chose qui fait exactement ce qu'on lui dit et rien d'autre n'est pas intelligent".

Le meilleur domaine d'application

Si Mr Grand s'est intéressé au jeu vidéo à la base, c'est qu'il estime qu'il s'agit peut-être du meilleur domaine pour pousser des recherches sur l'intelligence artificielle. "Je crois que l'approche de base - biologique et sur laquelle on construit -, est la seule manière de réussir à créer des systèmes véritablement intelligents. Mais pour l'instant, ce n'est pas la meilleure pour aborder le problème dans le domaine des jeux. Si vous voulez aller sur la Lune, il va falloir construire une fusée, mais si vous voulez juste vous élever d'un mètre, autant se contenter de sauter. Il y a des moyens plus simples d'obtenir le type d'intelligence dont la plupart des jeux d'aujourd'hui ont besoin, même si ces techniques ne mèneront jamais à rien".

Si Grand, qui se consacre aujourd'hui à la robotique, remet donc les choses en perspective, il maintient malgré tout que les jeux peuvent tirer beaucoup de bénéfices des avancées de l'intelligence artificielle : "je crois que c'est probablement le meilleur environnement pour faire exister l'intelligence artificielle, tout du moins d'ici à ce que nous venions à bout des gros problèmes qui retiennent la robotique. Quand vous créez un jeu, votre seule responsabilité est d'être divertissant. Ce n'est pas un environnement où la mission est critique, ce qui vous donne beaucoup d'espace pour de nouvelles idées". Reste qu'en 30 ans d'histoire vidéoludique, Creatures reste peut-être sinon le seul, du moins l'un des seuls jeux qui ait su être intéressant en tant que tel, tout en étant construit autour d'une véritable intelligence artificielle. C'est bien maigre, et alors que des pointures comme GTA IV, embassadeur des jeux libres copiant la réalité, arrivent, il n'est pas mauvais de prendre du recul par rapport à ce Saint Graal, celui qu'on aimerait bien trouver plus vite que son pendant chrétien...