Madame Nadine Morano,

 

« Ne laissez pas le danger entrer chez vous »

Ces derniers jours, sur les chaînes hertziennes et chaînes de la TNT, nous avons découvert avec stupeur la diffusion d'une campagne télévisuelle à l'initiative du Secrétariat d'Etat chargé de la famille que vous dirigez, du CSA et de l'Union Européenne. En 1 minute, les dangers menaçant nos têtes blondes via internet sont dévoilés. Il s'agit ici d'informer les parents sur les dangers d'internet pouvant toucher enfants et adolescents. Une initiative des plus louables, au traitement télévisuel soigné et au message clair, le tout traduit en 12 langues et diffusé dans de nombreux pays européens. Si le propos et l'ambition d'une telle campagne sont compréhensibles, à savoir sensibiliser les parents aux "dangers d'internet", le message général nous paraît néanmoins effectuer un amalgame des plus choquants au sujet du jeu vidéo. Amalgame symptomatique d'une dérive étonnante concernant "l'image" du média jeu vidéo.

Néo-nazisme... Pornographie... Jeu Vidéo... Pédophilie... 

Sans distinction, ou gradation, voici les 4 dangers mis sur un pied d'égalité. Des néo-nazis... des prostituées... un héros de jeu vidéo... un pédophile. Sans sourire, et avec fermeté, nous nous permettons, Madame Morano, de vous demander ce que le jeu vidéo vient faire dans cette galère, coincé ici entre la pornographie, le nazisme et la pédophilie ! Si le nazisme, ou la pédophilie, sont à juste titre pénalement répréhensibles... que reproche-t-on ici au jeu vidéo au point de faire de lui une menace équivalente à 3 des plus virulents dangers rôdant sur internet ?

Ce qui nous choque donc ici n'est pas tant d'intégrer le jeu vidéo dans votre campagne sur les dangers d'internet... c'est de placer ce divertissement au même rang que la pédophilie, la pornographie, ou le néo-nazisme ! Car de quoi parle-t-on vraiment ? Vous commettez ainsi un amalgame grave, plaçant dans l'esprit d'un large public, l'image d'un jeu vidéo définitivement indissociable d'une activité malsaine, angoissante... et véritablement dangereuse, pour l'intégrité physique et/ou morale d'un jeune. 

Visiblement, vous reprochez au jeu vidéo sa violence et donc son impact sur les jeunes. Permettez-nous de parler ici d'une approche étonnement caricaturale, et par conséquent erronée, de ce média. Bien sûr, parmi les milliers de titres édités chaque année, certains possèdent un contenu violent. C'est un fait. Mais contrairement au racisme, à la pornographie et à la pédophilie... vous semblez oublier que les jeux vidéo sont multiples en genres et en thématiques développées. Il nous faut vous rappeler qu'à ce titre, pour éviter que des jeux, réservés à un public mature, ne soient utilisés par un public inapproprié, une signalétique des plus claires a été conçue. Elle est en place depuis Avril 2003. Il s'agit de la norme PEGI (3+ / 7+ / 12+ / 16+ / 18+) apposée en façade de chaque jeu. Une norme tout aussi Européenne et claire que la campagne de sensibilisation qui nous préoccupe aujourd'hui. Avant de se hâter d'assimiler le jeu vidéo "en général" à un danger, ne faudrait-il pas surtout souligner qu'à chaque âge ses plaisirs, et que c'est aux parents de faire respecter leur autorité parentale ? En cela, les éditeurs de jeux vidéo les aident de différentes manières explicites.

Consciente des réalités et exigeante sur ses responsabilités, l'industrie du jeu vidéo ne se défile pas et prévient activement les parents. Soulignons d'ailleurs que les consoles actuelles (Wii, Xbox 360, PlayStation 3, PC) intègrent toutes des systèmes simples de contrôles parentaux permettant aux parents d'interdire à ces machines de lire tel ou tel contenu sans leur active participation. D'un simple clic. Il n'en est pas de même pour la pornographie disponible aisément sur le net, et je n'évoquerai même pas les cas immondes de la pédophilie et du racisme.

Parmi les 4 dangers que vous présentez ici... le jeu vidéo est donc le seul à avoir d'ores et déjà intégré des réponses claires et simples visant à aider les parents et ce d'une manière poussée, puisque directement inclus dans les appareils. Il n'est pas sournois, il n'est pas pernicieux, il affiche ses dangers potentiels et ce sur chaque jaquette de jeu. Ainsi, avant d'incriminer le jeu vidéo, aux parents d'être attentifs à ce qu'achètent leurs enfants. Pour rappel, un jeu coûte en moyenne près de 60€. Une somme non négligeable pour un jeune enfant ou ado. 

D'ailleurs, pour dépasser cette polémique, ne pensez-vous pas qu'à l'image de tout autre média culturel, qu'il s'agisse de cinéma ou de littérature, le média jeu vidéo se doit aussi de fournir du contenu pour tous les âges, pour tous les publics, pour tous les goûts ? Des jeux drôles, des jeux matures. De purs divertissements, des aventures épiques. Et à ce titre, chaque style de jeu n'a-t-il pas sa place, même les titres destinés à un public résolument adulte, du moment que la signalétique est évidente, à l'image du cinéma, ou de la télévision ? Pas plus, pas moins.

Madame Morano, au-delà des chimères et des idées reçues, nous aimerions ainsi vous rappeler le véritable visage du jeu vidéo en France en 2008. Ainsi, savez-vous qu'aujourd'hui, plus de 31 millions de français se déclarent joueurs réguliers de jeu vidéo (source : GfK) ? Savez-vous que désormais plus de 40% de ces joueurs sont des femmes (source Sofrès) et que la moyenne d'âge du joueur français s'élève à près de 30 ans ? Savez-vous enfin que dans notre pays, les jeux vidéo les plus vendus en 2008, ont été une simulation de fitness (Wii Fit), une simulation de karting (Mario Kart), la simulation des JO de Beijing (Mario & Sonic aux JO) et des jeux de football (PES et FIFA) (source : GfK) ? Loin des fantasmes d'un média qui se complaît exclusivement dans la violence, voici donc le vrai visage du jeu vidéo. 

Au lieu de stigmatiser, et d'ainsi créer de nouveaux clivages générationnels forcément pénalisants pour l'avenir, en assimilant par la force des images un loisir complet à des extrêmes dangereux, permettons plutôt aux parents et aux enfants d'avoir accès à une meilleure information sur ce média qui constitue aujourd'hui l'un des centres d'intérêts privilégiés de nombreux français et françaises.

Au-lieu de s'inscrire dans un discours dorénavant déconnecté de la réalité, faites de ce gouvernement, le premier gouvernement qui aura su comprendre l'importance des loisirs numériques, jeux vidéo en tête. A une époque où le jeu vidéo ne s'est jamais autant ouvert, ce serait en effet une erreur que de créer une fracture entre joueurs et non-joueurs. Une erreur de jugement tout d'abord, car n'oubliez pas que dans l'hexagone, en 2008, le marché du jeu vidéo aura connu une nouvelle hausse de 34% en valeur, alors que le marché de la vidéo baissait de 6% et celui de la musique s'effondrait de 16% (source : GfK). Une erreur politique enfin, car comment les joueurs pourront demain trouver crédible un gouvernement qui caricature le média en passe de devenir l'un des loisirs les plus influents dans le monde, France comprise ? 

Madame Morano, en tant que secrétaire d'Etat chargée à la famille, nous vous demandons ainsi d'en finir avec le fantasme d'un jeu vidéo forcément violent, forcément nocif pour l'enfance. Et d'envoyer un signal clair prouvant que le gouvernement actuel cerne mieux les enjeux de ce média tellement plus souvent créatif, que destructeur. Il est temps que cette chimère poussiéreuse, et facile, cède le pas à une réalité plus pragmatique, plus constructive, plus... réelle. Le jeu vidéo, en tant que divertissement de masse, a aujourd'hui près de 40 ans d'histoire. Le jeu vidéo est en train de passer à l'âge adulte. Il n'a jamais été aussi riche et varié. Le critiquer n'a rien de criminel. Il faudrait néanmoins commencer à apprendre à mieux le connaître, et cesser d'en avoir peur comme s'il s'agissait d'un fléau comparable à ceux qui l'accompagnent, à égalité, dans le spot qui nous intéresse aujourd'hui.

Libre à chacun d'apprécier les jeux, ou pas. Libre à chacun de vouloir en parler, ou pas. Vous aurez compris que notre propos n'est pas là. Mais en tant que journalistes et observateurs de ce média depuis plus d'une décennie, nous jugeons fermement regrettable la constance avec laquelle le jeu vidéo est régulièrement stigmatisé dans les médias généralistes. De la part du secrétariat d'Etat chargé de la famille garant de valeurs et d'idéaux d'ouverture et de tolérance, le fait de valider le violent amalgame de votre campagne nous a autant attristé, que viscéralement choqué.

Nous nous tiendrons bien évidemment à votre disposition si vous souhaitez prolonger le débat de manière constructive, et ainsi mieux cerner les tenants et aboutissants de cette industrie d'importance en France. Pour que la famille, au sens large, en sorte grandie... et non fragmentée. Car contrairement au racisme, à la pornographie, et à la pédophilie, le jeu vidéo peut constituer au sein de la cellule familiale une source de divertissement et d'épanouissement. Pour tous les goûts et pour tous les âges. 

Cordialement,

Julien Chièze & la rédaction de Gameblog.fr