Je grossis avec plaisir le trait dans mon intro, mais le Net commence à pulluler d'articles sur la fin du règne de World of Warcraft ou de posts de blog sur "ayé, je me suis désabonné". Carrément. Tout le monde y va de son avis sur les raisons de cette désaffection de la part des joueurs, pointant souvent du doigt l'extension Burning Crusade. Contenu trop orienté hardcore gamers une fois le level 70 atteint, obligation de farmer de la réputation pour continuer à jouer (comprendre : se cogner les mêmes instances et quêtes en boucle pour avancer dans le jeu), etc. Le tableau n'est pas rose. Pas rose ou alarmiste et mal informé ?

Les faits

Reprenons du début : tout ce buzz est parti de . Ce petit graphique de Warcraftrealms aura eu le mérite de faire exploser le trafic de ce site web, c'est certain. Il est le fruit de données compilées par le mod Census+ géré par ce site, qui comptabilise comme il peut qui joue quoi et à quelle heure, à partir de votre machine. En recoupant les informations de tous ceux qui installent ce mod, on arrive à des chiffres assez représentatifs du nombre de joueurs par serveurs, des préférences de races, de classes, etc. Des informations que Blizzard n'aime pas tellement communiquer, d'où ce système D mis en place par des fans doués et curieux. Cela reste évidemment moins précis que des datas prises à la source sur les serveurs, mais c'est mieux que rien...

Les chiffres

Au mois de mai, le nombre moyen de joueurs connectés en prime time (oui, les MMO parlent comme la télé) sur les serveurs US était en baisse, à 380 000. A contrario, chez nous les Européens, ça grimpait à presque 400 000. Mais a priori, le nombre moyen global sur la journée baisse. Et ce depuis la sortie de TBC. Panique à bord ? Pas vraiment...
Relativisons tout ça en commençant par rappeler que WoW a connu 32 mois consécutifs d'augmentation. 32 ! Mois ! La plupart des MMO n'ont pas droit à 32 semaines. Quand ce n'est pas 32 jours avant la chute (je ne citerais personne). Que ce produit arrive à un plateau serait du coup plus que normal, la saturation du marché étant proche pour un titre finalement pas si grand public que ça quand on creuse un peu. Du reste, depuis le pic à 8,5 millions de joueurs (dont 4,5 millions en Asie), Blizzard est bien silencieux sur le nombre d'abonnés qu'on imagine stable, mais ne progressant plus comme avant. Logique. Que le nombre de joueurs diminue progressivement seulement 2 mois après la sortie de l'extension n'est pas non plus très surprenant : arriver level 70 n'est pas très long et la routine s'installe relativement vite pour les joueurs qui ne visent pas le contenu de haut niveau. En restant dans le concret, c'est le seul "échec" de TBC : finalement peu de nouveaux inscrits (par rapport à la base de départ) et un faible pouvoir de rétention des abonnés.

C'est grave docteur ?

De là à dire que tout roule comme prévu chez tonton Bliz' pendant que les brouzoufs rentrent par trains entiers (WoW rapporterait pratiquement 1 milliard de dollars par an de CA), il n'y a qu'un pas que je franchirais allègrement en riant. Hop. Je sautille même ! Pourtant, effectivement, dans des recoins du Net la grogne monte. La situation est très (très très) loin d'être alarmante, mais elle traduit un malaise chez pas mal de fans d'Azeroth. C'est ce que loupent la plupart des articles de mes chers confrères (NDLR : comment il se la pèèèète). Pour une simple raison : il faut jouer (beaucoup) pour comprendre ce qui se passe réellement pour les déçus de ce monde virtuel. Cette extension a rendu obligatoire bon nombre de prérequis très longs et parfois très pénibles pour accéder aux nouvelles grosses instances. Du coup, l'aventurier amateur pourtant pas si mal équipé se retrouve sur le banc de touche s'il n'a pas investi des heures et des heures dans ces passages obligés. Sa guilde étant occupée ailleurs pendant que lui veut jouer, il galère pour avancer et justement compléter ces satanées quêtes. Et après les raids, tout le monde va se coucher et laisse pleurer dans son coin, le joueur du dimanche, qui finira fatalement par se démotiver et se demander pourquoi il lâche 15 euros par mois pour revivre ses pires cauchemars de gosse, quand personne ne voulait de lui dans l'équipe pendant les heures d'EPS. Et puis bosser pour pouvoir jouer, même virtuellement, est une idée qui ne séduit pas tout le monde. A raison ? La caricature fera sourire les hardcores raiders (ceux qui enchainent les instances tous les soirs, souvent 5 jours sur 7), mais même parmi ceux-là, la lassitude s'installe. Après tout, une instance perd de son charme rapidement quand on la parcourt plusieurs fois par semaine...

WoW, le MMO des robots

Mais à mon sens, la plus grosse erreur de Blizzard avec The Burning Crusade, c'est d'avoir implicitement tué les "alts", ces personnages secondaires que certains joueurs cultivent, parfois en (trop) grand nombre. Je connais le problème, avec 2 personnages level 70 (un côté horde, un côté alliance) et une flopée d'autres avatars moins avancés. Mon attrait pour WoW c'est aussi de (re)découvrir des quêtes ou donjons avec une classe qui se joue totalement différemment. Rien que l'obligation d'avoir a effectuer des quêtes précises et d'atteindre certains niveaux de réputation pour accéder aux instances à 5 en mode héroïque bride complètement la plupart des alts chez les joueurs qui ne passent pas leur vie sur leur machine. Choisir un avatar et s'y tenir est la seule solution pour l'amateur de base qui veut un jour voir des instances de haut niveau sans rater ses études, se faire virer de son boulot ou perdre sa femme...

L'avenir d'Azeroth

Parler d'échec pour TBC est donc un bien grand mot : aucun autre MMO n'a le dixième des abonnés de WoW, le nombre global de joueurs a tout de même été augmenté et la quantité de contenu disponible pour ceux qui s'accrochent reste colossale, à condition de résister à la lassitude occasionnée par les raids obligatoires à répétition. Je ne parle même pas des millions de dollars générés par l'économie parallèle de WoW : vente d'or contre de vrais euros (Google va surement vous mettre ça en pub...), sites Web qui lui sont consacrés et dont l'audience cartonne (les exemples sont nombreux), etc. Ignorer les problèmes évoqués précédemment serait pourtant une erreur : ils touchent principalement les joueurs "casuals", ces amateurs qui seront les premiers à jeter l'éponge et qui sont pourtant la grande réussite de Blizzard : ils ont permis à l'éditeur américain d'exploser les records d'abonnement !

Le noob feignant est roi ?

Dans ces conditions, l'orientation de la prochaine extension sera déterminante. Si elle continue d'accumuler les obligations compliquées à remplir pour accéder au contenu de haut niveau, je ne serais pas étonné de voir la population d'Azeroth commencer à se réduire de manière bien plus significative. Car en bientôt trois ans, la situation a bien changé dans le monde du MMO et les alternatives de qualité commencent à exister et à faire parler d'elles. La fin d'année et 2008 seront particulièrement riches à ce niveau et il sera intéressant de voir si, après tout ce temps, certains joueurs ne restent pas "par défaut" sur le MMO de Blizzard. Simplement parce que la concurrence reste en retrait, qualitativement parlant. Encore aujourd'hui, aucun produit n'arrive à égaler son gameplay nerveux, son moteur 3D ultra optimisé ou encore son architecture qui permet de complètement changer son interface. Les pros du genre qui savent ce qu'ils veulent se sauvent parfois sur des produits inférieurs techniquement mais qui collent plus à leurs attentes ultra pointues. Mais offrir un univers différent et vaste ne suffit pas à faire venir et surtout garder les masses. Il ne faut surtout par négliger l'aspect technique et le service aux clients aventuriers. Deux autres aspects où Blizzard a placé la barre très haut. Quant à l'équilibre entre contenu pour casuals et hardcores, il est si compliqué à atteindre que même les créateurs de WoW ont parfois du mal à le maintenir. Pour les autres, le plus simple est de choisir un camp et de s'y tenir. C'est dire si les mini-déboires de TBC sont finalement minimes en regard du challenge que s'est imposé l'éditeur d'Irvine.