Belle à s'en damner

Quelques secondes après avoir mis les mains sur la fougueuse Bayonetta, un dandy ventripotent pousse le cri qui résume la situation : "What's the fuck ?". Bien que peu recommandée dans un usage châtié de la langue de Shakespeare, cette courte phrase condense le magma de sentiments contradictoires qui bouillonne dans mon cerveau. Dès les premières images, on constate un délire graphique permanent, tellement too much qu'il dépasse la notion de bon ou de mauvais goût, le design de la sorcière est juste incomparable. Ses formes lascives, ses courbes sans fin, l'échancré de son dos nu, tout cela est d'une vulgarité assumée mais aussi d'un charme peu commun. Au-delà de la demoiselle aux cheveux noirs de jais, les environnements eux-aussi sont splendides et nous offrent un dépaysement de tous les instants. Ainsi, juste après avoir enchaîné cabrioles à la volée sur un fond constellé d'étoiles, on se retrouve plongé dans l'obscurité brumeuse d'un cimetière à distribuer des volées de torgnoles à quelques angelots se sentant des vocations d'Inquisiteurs. Pour conclure sur le plan graphique, il est important de noter que le jeu est d'une fluidité hallucinante et que les animations de la belle dégagent une grâce féline qui lui sied à merveille.

Bayonetta : plus Dante qu'Ovidie ?

Pour ce qui est du gameplay, si on se fie à ce que l'on peut observer à l'écran Bayonetta semble plus tenir du beau bordel que du match de boxe. Toutefois, malgré ce que l'on pourrait croire de prime abord, le jeu d'Hideki Kamiya est très technique. Les affrontements se déroulent à la fois sur terre mais aussi en l'air et le nombre de combos que peut utiliser la souple sorcière est juste inconcevable, là aussi le too much est de rigueur, tant visuellement qu'au niveau de la puissance et des effets des différents coups proposés. Notre sculpturale nécromancienne peut ainsi faire goûter à ses adversaires le plaisir de la vierge de fer, leur faire savourer la délectation de se faire réduire en un consommé exquis sous la pression d'une énorme roue crénelée ou encore achever les plus gros des habitants du paradis à l'aide d'invocations aux proportions dantesques... Tout cela sur un fond de J-Pop mièvre à souhait. Ce système fort riche est combiné à une touche d'esquive qui permet, si elle est enclenchée avec un timing parfait, de ralentir le temps afin de mieux découper ses adversaires. Aussi, il m'est arrivé, lors d'une bucolique promenade dans les jardins de Vigrid, de croiser un ange de douze mètres, auréolé et tout le toutim. Le bougre était en rut et lorsqu'il m'a vu approcher il n'a pu réprimer son envie de me saillir. Malheureusement pour lui, mes talons ont fait de sa virilité un vague souvenir et après l'avoir projeté en l'air, je l'ai tronçonné en petits morceaux sanguinolents de tailles égales avec une tronçonneuse jaillie de nulle part pour l'occasion. La grande force de Bayonetta c'est qu'on se souvient de toutes nos mises à mort, tellement kitschs qu'elles restent dans nos mémoires et apportent une fraîcheur nouvelle dans le paysage terne et conformiste du vidéoludisme d'aujourd'hui.

Une histoire de fesses

Après avoir joué des heures, je peux vous confirmer que le scénario de Bayonetta, complètement déjanté, est un à-côté sympathique, et fait office de temps de pause entre deux séquences de gameplay. Les cinématiques sont présentes et visuellement réussies, malgré une propension au very kitsch et au suggestif grivois de bas étage. La thaumaturge se soigne en suçant des sucettes et chaque séquence de jeu commence par un plan serré sur son vénérable postérieur rebondi. Je ne peux hélas que compatir avec ceux qui attendaient de Bayonetta un documentaire sérieux sur la condition féminine au XXIème siècle, un essai philosophique sur le blasphème et la sorcellerie ou bien encore une réflexion poussée sur l'Inquisition.

Enfin, le jeu m'a semblé exceptionnellement riche et long : de nombreuses techniques sont déblocables via un magasin tenu par un démon loufoque tenant plus d'Huggy les bons tuyaux que du Parrain. Au vu de la profondeur et de la complexité du titre, les techniciens du beat'em all s'en donneront à cœur joie tandis que les autres pourront déguster l'aventure à travers des modes de difficulté adaptés. Les modes "automatiques" permettent, selon Kamiya, aux hommes de jouer à Bayonetta "à une main" (sic) et de profiter de graphismes magnifiques tant sur un plan artistique que technique (et que féminin). Pour moi, Bayonetta est de ces bijoux trop rares, de ces pierres brutes et saillantes à l'éclat insolent qui illuminent d'une manière nouvelle un marché dominé par les clichés. Hideki Kamiya nous offre un jeu couillu, audacieux, il ose, il en fait trop... Beaucoup trop... Mais qu'est ce que c'est bon ! Il donne une grande leçon à tous ces gens trop sérieux, ces businessman du jeu vidéo (Bobby Kottick, je ne parle pas du tout mais alors pas du tout de toi...). Bayonetta nous montre que loin des aliens et des couloirs, loin des habituels camaïeux de gris et d'ocre, Le jeu vidéo peut aussi être fait de couleurs et d'esthétisme, et parfois le statut de développeur peut rejoindre celui d'artiste. Enfin, si je ne dois retenir qu'une chose de cette expérience, c'est la générosité sans limite de M. Kamiya, générosité qui se ressent à chaque minute du jeu. Plus qu'un simple jeu, Bayonetta est l'œuvre d'un homme qui aime le jeu vidéo.

La belle m'a promis beaucoup, maintenant je n'espère qu'une chose : avoir avec elle une relation durable et pleine de surprises, ce qui semble bien parti ! Réponse très vite pour le test complet sur Gameblog.