Tout commence par une publicité vantant les mérites du Sensen. Déclarations formatées, petit fond blanc et musique apaisante : tout est fait pour déranger le joueur. Et ce n'est qu'un début. Après cette "introduction" que ne renierait sûrement pas Paul Verhoeven, on assiste, impuissant, à l'effacement d'une mémoire. Au sol, gémissant de douleur, une jeune femme. Un flot de données est aspiré de son Sensen. Vidée, hagarde, elle est questionnée par un homme en blouse. Son prénom est la seule chose dont elle se rappelle. Elle se rappelle de son prénom, Nilin. Preuve qu'elle a résisté. Abandonnée par son tortionnaire, elle se relève et arpente maladroitement les couloirs métalliques et bardés de câbles, guidée par un robot. Elle s'installe derrière une file d'autres personnes "formatées". Ce qui l'attend ? Une sorte de chaise électrique qui va bousiller tout ce qui lui reste. En faire un légume. Une voix résonne dans son Sensen... Une diversion, une course-poursuite, Nilin parvient à s'échapper. Mais est-elle libre ?

Random Access Memory

Eh oui, vous pensez bien : sans mémoire, tout devient compliqué. Pas moyen de se rappeler de sa vie, son passé, ses amis, ses talents. Bordel : impossible de se remémorer la méthode pour faire ses lacets ou tenir correctement un ouvre-boîte ! La rage. Et ce que Nilin apprend d'elle-même par celui qui l'a délivré, un certain Edge, la renforce dans l'idée que ce qu'elle a traversé n'était pas très cool. Car elle était une chasseuse de souvenirs. La meilleure, seule au monde capable de les manipuler. Elle s'est rebellé contre Memorize mais s'est fait pincer. Et la voilà dans ce qui ressemble à des égouts, entourés d'êtres dégénérés appelés Leapers, sortes de junkies du Sensen. Si elle savait se battre, impossible de se remémorer. Elle esquive leurs attaques. Puis redécouvre enfin sa capacité à coller des beignes. Le joueur fait alors connaissance avec un système de combat assez déroutant. En rien similaire avec celui d'un beat them all classique. Une première ligne de combo se débloque. Il suffit de frapper trois fois de suite avec le bouton de poing. Mais pas n'importe comment. Pas de pression plus ou moins longue, pas de martèlement décérébré, pas de garde ou de contre. Il y a un timing à respecter pour que les coups s'enchaînent avec fluidité et l'héroïne ne peut qu'esquiver. Là encore, question de tempo. Un point d'exclamation vous prévient qu'une attaque arrive, vous évitez et pouvez reprendre votre combinaison où elle s'était arrêtée. L'habitude de tapoter comme sur un piano s'insinue rapidement et voit naître de superbes chorégraphies. Une mélodie ludique s'installe. Et la musique, jusqu'ici discrète mais sensible, semble désormais vous accompagner, vous booster, vous récompenser. Un dérivé des mécaniques des Batman que l'on peut qualifier de surprenant et efficace. Et d'une grande violence lorsque Nilin en vient à "finir" un adversaire en le surchargeant de souvenirs par le biais de son gant.

Neo-Paris Combo

Par la suite, Nilin va apprivoiser d'autres séquences de combos (quatre au final), composées de slots affichant attaque au poing ou au pied. A vous de les établir avec l'expérience acquise dans un menu - au premier abord un peu fouillis - baptisé Combo Lab. Vous ne changez pas l'ordre des coups, mais pouvez en déterminer les conséquences grâce à l'assignation de Pressens. Grâce à ces effets déblocables au fur et à mesure de l'aventure, vous pourrez déterminer qu'un coup fasse davantage bobo, qu'il vous régénère, qu'il multiplie les effets d'un Pressen précédent ou qu'il rende plus rapidement effectifs les S-Pressens. Il s'agit de pouvoirs autrement plus puissants, accessibles via une "roue"qui ralentit le jeu, capables de vous sortir de très mauvaises passes. De quoi, entre autres, assommer une meute complète ou simplement se permettre de frapper sans réfléchir pendant quelques secondes. L'idée de ce Combo Lab, couplée aux différentes habilités de Nilin et à l'utilisation, plus tard, du Spammer - sorte de canon à informations - conforte dans l'idée qu'il y a un potentiel, une profondeur réelle et moyen de varier les plaisirs. Les affrontements contre des ennemis pour le moins agressifs et variés ou contre des "boss", qui exigent plus de jugeote, de patience, d'alternance entre Pressens et S-Pressens, le prouvent d'ailleurs assez aisément. Encore un bon point pour l'action, même si, avouons-le, la caméra un peu revêche n'aide pas toujours à apprécier comme il se doit.

Ville de lumières

Le combat compose peut-être 50% du jeu, il n'en reste pas moins que Nilin a bien d'autres choses à nous offrir. Notamment en termes d'exploration. Je parle évidemment de la partie grimpette, déplacements et courses-poursuites façon Uncharted, Tomb Raider ou Prince of Persia. L'ensemble reste assez "convenu", dirigiste et ne cherche pas spécialement à tester vos réflexes ou votre sens aigu de la précision. Même si quelques rebondissements ne sont pas à exclure, la partie acrobatique du périple est surtout l'occasion de découvrir une vision étonnante de notre belle capitale. Avec la bande originale, qui alterne ou mixe habilement compositions symphoniques et électroniques, la direction artistique reste ce qui épate probablement le plus facilement dans Remember Me. Ce Neo-Paris colle une sacrée claque. Cet endroit étouffant, où les buildings les plus futuristes et les bidonvilles crasseux à moitié immergés côtoient les bâtiments haussmanniens et les monuments célèbres comme le Sacré Cœur ou la Tour Eiffel, est resplendissant. Le souci du détail est réel, l'ensemble terriblement cohérent, avec un mélange d'humain et de robotique, de contemporain et de futuriste, de patiné et de neuf, qui semble authentique. L'envie de s'arrêter pour simplement contempler les lignes de la ville ou de s'attarder sur les publicités holographiques ou la vie qui s'agite dans les rues est tenace. Ce qui s'offre à nos yeux, en plus de se révéler plus qu'honorable sur le plan technique, avec moult détails, textures et effets de bon aloi, garantit une immersion sans faille. Et ce ne sont pas les petits mémos, nous laissant en découvrir plus sur l'univers du jeu, qui risquent de briser l'envoûtement.

La fuite des cerveaux

Reste enfin la dernière particularité du titre, sa pierre angulaire : les séquences tournant autour de la mémoire. Outre les "rémanescences", projections de souvenirs qui permettent, après synchronisation, de révéler comment contourner un obstacle, il y a le fameux Memory Remix, que Nilin est la seule à pouvoir appliquer. A des moments donnés et imposés par le scénario, elle modifie le souvenir complet d'une personne. Par exemple, elle peut faire croire à sa victime qu'une personne chère est décédée. Avec des conséquences plus ou moins heureuses. En termes de gameplay, cela consiste à parcourir la séquence comme un monteur vidéo. On fait défiler, on rembobine lentement, jusqu'à ce qu'on aperçoive un élément rougeoyant. Celui-ci peut se voir modifié (une sécurité de flingue retirée, un masque à oxygène défait, etc). Alors, on observe le résultat... pas forcément escompté. Comme il n'y a qu'une seule solution pour arriver au dénouement souhaité, on expérimente un peu avec d'autres choses plus ou moins efficaces. Jusqu'à réussir. Et découvrir l'impact, parfois terrible, dans l'instant présent. Très fort. Je ne vous cache pas être un peu tristounet à l'idée qu'il n'y ait que quatre phases en tout et pour tout y faisant appel. Parce que l'idée et sa mise en place font mal. Genre embrouille du bulbe à la Total Recall avec effet papillon à la clé, le tout baignant dans un flou artistique et des tonalités froides du plus bel effet. Mais bon, la rareté ne permet-elle pas de mieux savourer ?

La première moitié de Remember Me tient, à mon sens, ses promesses. Je ne pense pas me tromper en affirmant d'ores et déjà que Capcom va éditer un projet racé, bien conçu et pas désagréable pour les yeux et les oreilles. L'histoire de Nilin n'a pas livré tous ses secrets, que l'enthousiasme me semble malgré tout permis tant l'expérience globale, aussi bien ludique qu'artistique, se montre fraîche et prenante. Peut-être me permettrai-je de légères réserves concernant le système de combat, qui pourrait lasser sur la longueur, la grande linéarité, la caméra assez antipathique et des voix françaises bien parties pour être souvent à côté de la plaque. Mais, dans l'ensemble, j'ai l'impression qu'il ne devrait pas être trop difficile d'en faire abstraction si cela restait en l'état. Enfin, tout ça, on le saura à la sortie du jeu de Dontnod, toujours prévue pour le 7 juin prochain sur PS3, Xbox 360 et PC !