[MàJ] en attendant notre interview vidéo, une vidéo montrant des extraits de gameplay est disponible.

Déjà plus de trois ans de développement pour Beyond. Dans les studios parisiens de Quantic Dream, l'heure est aujourd'hui à la finition du jeu. Les derniers réglages, la balance, la maîtrise du tempo de l'aventure ont commencé. Plus que quelques mois d'effort avant de soumettre le jeu pour la phase de validation, puis le pressage. Tout devrait être achevé au cœur de l'été, pour une sortie calée au mois d'octobre sur PS3.

Que de chemin parcouru depuis la sortie de Heavy Rain. Contre vents et marées, arc-boutés sur leurs certitudes et leur volonté commune de défricher une voie différente, David Cage et son équipe ont réussi leur pari. Réussite critique, Heavy Rain fut aussi et surtout embrassé par un large public ayant adhéré à cette proposition singulière. Une tentative originale qui se transforme en succès commercial ? Voilà de quoi faire bouger les lignes. Les créateurs de The Walking Dead, jeu de l'année 2012, le confessent d'ailleurs sans détour : ils peuvent dire merci à Heavy Rain. Mais si plus de deux millions de jeux vendus vous ouvrent des portes... ils vous poussent aussi à vous dépasser. A franchir un nouveau cap.

Pour relever le défi, Quantic Dream a dû grandir. Une vraie ruche, où les corps de métier se télescopent dans une ambiance calme et studieuse. Le blanc domine des murs sur lesquels reposent quelques tableaux reprenant les artworks de Beyond et Heavy Rain. En fond de salle, le mot "EMOTION" écrit en lettres géantes surplombe la zone de création des personnages. Le ton est donné. D'une centaine de personnes il y a encore 5 ans, l'équipe a plus que doublé aujourd'hui et occupe désormais un étage supplémentaire. A l'écart, le plateau de motion capture, l'un des plus grands d'Europe, a été réaménagé pour permettre de la performance capture. Désormais les acteurs jouent ainsi pleinement. Mouvements et voix étant enregistrés simultanément. C'est ici que Ellen Page et Willem Dafoe, ainsi que les nombreux autres comédiens du casting, sont venus donner vie à Jodie, Nathan... Près de 12 mois de shooting et un casting de 300 personnes auront été nécessaires pour rassembler les 23.000 animations différentes du jeu. "Nous voulions dépasser ce que nous avions réalisé avec Heavy Rain, mais nous n'imaginions pas que la tache serait à ce point démesurée" confesse avec un sourire David Cage, père du projet.

Jeunesse : temps des échecs

Jodie a 8 ans quand l'histoire débute. Elle n'est pas comme les autres. Qu'est ce qu'un don ? Avant tout un poids pour Jodie. Car elle n'est pas seule. Depuis sa naissance, la jeune fille se retrouve ainsi liée à une entité. Aiden. Invisible, impalpable, il possède sa personnalité. Souvent doux, rassurant et affectueux, cet être éthéré peut cependant vite devenir possessif, jaloux, violent. Il n'est pas un jouet, mais un esprit libre. La relation unissant ce couple impossible constitue le coeur de Beyond. La vie, la mort, ce qu'il y a au-delà. A l'image de la destinée de Jodie, les chemins seront tortueux.

Un périple qui ne se vivra d'ailleurs pas en ligne droite. "Nous voulions jouer avec l'idée du temps, des mémoires. Au joueur de placer les souvenirs de Jodie dans le bon ordre. A la Memento", précise David Cage. Et les moments de vie s'accumuleront. Si Heavy Rain optait pour l'approche plutôt intimiste d'un thriller psychologique, Beyond ne craindra pas d'oser les grands espaces, misant sur un déroulement annoncé comme plus mature, innovant et in fine, plus spectaculaire. Usine, laboratoire, forêt, grand ouest américain, banquise... vous allez voyager avec Jodie.

Autre changement majeur comparé au précédent titre du studio : proposer un mode de contrôle revisité. Une décision cruciale fut prise, celle de rompre avec l'interface de Heavy Rain et d'évacuer les QTE. Un choix semblant encore habiter David Cage : "Nous avons décidé de les supprimer, car ils envoyaient un mauvais message. Pour être franc, il s'agit surtout d'une décision à l'adresse de ceux qui avaient été rebutés par Heavy Rain pour cette raison. Ceux qui ne l'avaient même pas essayé à cause de cela. Les QTE pouvaient donner l'impression qu'il s'agissait juste d'une grande cinématique... ceux ayant joué à Heavy Rain savent que ce n'est pas le cas. Mais nous avions un choix à faire : soit répéter sans cesse, et un peu en vain, soit tenter de trouver un compromis."

Pendant notre session de jeu, si nous n'avons pas constaté d'apparition de boutons à valider à la Shenmue, en revanche il subsiste des séquences où des actions doivent être réalisées en temps restreint. Lors des combats par exemple. Chacun disposant de sa propre chorégraphie, et le propos de Beyond n'étant pas de faire un Tekken-like, il faudra désormais imprimer une direction avec le stick droit qui soit cohérente avec ce qui se passe à l'écran. Au bon moment. Pour le reste, tout est contextuel. Déplacements et actions se font alors plus naturellement. Une fois de plus avec le stick droit à l'approche de points d'intérêts discrètement indiqués par un cercle blanc. L'art du compromis.

La technologie au service d'une histoire

Grâce à la relation privilégiée de Quantic Dream avec Sony, les équipes techniques ont pu appréhender le développement sur PS4 depuis de longs mois déjà. Des recherches next gen aux étonnantes répercussions sur la PS3. En changeant de point de vue, certains éléments ou techniques jugés impossibles jusqu'à présent, on ainsi pu être intégrés dans Beyond. Certes, en version amoindrie. La production de Beyond bénéficie ainsi de moteurs d'effets spéciaux et d'animation flambants neufs. La subtilité de la gestion des profondeurs de champ, la propagation des flammes, la finesse de la restitution des visages... autant de changements infimes qui font partie des avancées majeures.

Il en résulte des visages étonnants de vérité, de subtilité. Jodie est là. Son port de tête altier, son regard intense baigné d'une certaine tristesse. Une femme dure. Dès l'enfance. Nous la verrons évoluer sous nos yeux. Changement d'âge, de looks, de jeux d'animations, de manière de s'exprimer... au final, c'est près de 40 versions de l'héroïne qui prendront vie au fil de l'histoire. La performance capture fait ici des merveilles et les interprétations d'Ellen Page et Willem Dafoe apportent un indéniable supplément d'âme aux scènes. Chacune d'entre elles est unique. Vous aviez vu la course poursuite lors de l'E3 ? Il n'y en aura qu'une. En fonction des situations, les animations seront aussi différentes...

Alors s'il nous faudrait évidemment en voir bien plus pour juger de la qualité globale de l'histoire, la connexion avec les personnages est, elle, immédiate. La technologie finit par s'oublier, laissant les acteurs irradier de leur présence.

Etonnant plongeon vers le fantastique

La séquence à laquelle j'ai pu m'essayer, manette en main, m'aura étonné à plus d'un titre. Car si la présence d'Aiden est une chose, l'intrusion du fantastique matérialisé par un assaut de céphalopodes mutants en est une autre. Le fantastique débridé entraperçu dans Fahrenheit semble ressurgir ici. Ambiance.

Un bâtiment pris d'assaut par d'étonnantes créatures. La police acculée. Des cadavres. Du sang. Jodie appelée à la rescousse. S'en suit un segment à l'approche bien plus "gamer" que n'avait pu en proposer le précédent titre de Quantic. L'alternance entre Jodie et Aiden est régulière. L'un aide l'autre à progresser en déplaçant des meubles, brisant des glaces, projetant des éléments rendus inaccessibles par des murs de flammes. Le jeu impose de ne pas courir, distillant un tempo inhabituel, plus contemplatif qu'à l'accoutumée. Une observation minutieuse est alors requise pour trouver les éléments avec les lesquels interagir dans un fatras de salles rongées par un incendie qui ne cesse de gagner du terrain. Jodie n'hésitera pas à demander de l'aide à Aiden.

Le maniement de ce dernier sollicite l'utilisation des deux sticks du Dual Shock. Il peut traverser les matières, se maniant alors totalement librement. Si les actions n'ont rien d'exceptionnellement complexes, avouons qu'elles nécessitent un peu plus de maîtrise que dans Heavy Rain. Suffisant pour dérouter un public plus occasionnel ? Quantic ne souhaitait pas prendre le risque de perdre ce public, nous confirmant qu'un mode de contrôle facilité sera proposé pour les joueurs casual. Il concernera le maniement d'Aiden, comme nous le précise Caroline Marchal, Gameplay Lead sur le jeu : "On a prévu un mode pour les gens qui n'ont pas du tout l'habitude de jouer, pour les aider. Jodie est très simple à contrôler, donc ça, il n'y a presque rien à faire. Par contre l'entité est beaucoup plus compliquée parce que c'est sur les deux sticks, déplacements full control 3D, les interactions sont assez simples à réaliser, mais le déplacement en soi c'est un challenge pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude de jouer. Donc là on a prévu un système très très simple que je ne peux pas vous détailler là maintenant, mais en tout cas on ne les a pas oubliés."

A noter que Beyond est l'un des rares jeux PS3 a encore faire usage du Sixaxis, puisqu'il s'agira parfois de basculer brutalement la manette pour effectuer certaines actions comme un saut. Petit détail d'intéressant, j'ai pu apercevoir un "Duo Mode" dans les menus. S'agirait-il d'un mode permettant de vivre l'aventure à deux ? L'un incarnant Jodie, l'autre Aiden ? A la question de savoir si nous pourrions en savoir plus, la réponse de David Cage fut immédiate : "non". Trop tôt visiblement...

Pour revenir sur le fantastique, sachez que Jodie pourra aussi s'abriter à l'aide d'une sorte de bulle de protection. Idéal pour amortir des chutes de plusieurs mètres servant un scénario n'évitant plus le spectaculaire... Enfin, en se synchronisant à certains corps via Aiden (la prise en main un peu ardue de ces séquences devrait être améliorée), il est possible d'aspirer leurs souvenirs. Des flashs se produisent alors, dévoilant des attaques. Plus loin, des chercheurs prétendument morts se redressent brutalement, les yeux révulsés. Hallucinations ?

Ascenseur émotionnel

Pour conclure, nous avons pu vivre une scène sur la longueur, pendant près de 45 minutes. Une séquence bien plus ancrée dans la réalité. Un plongeon intense dans la vie de Jodie alors qu'elle est déjà plus âgée, la vingtaine. La neige tombe. Etouffe les sons. Mord la peau. Un moment où la vie tape fort, où il s'agit d'encaisser... ou de s'effondrer.

Il y a quelques mois lors du DICE, David Cage revenait sur l'importance de traiter des thèmes plus universels, plus sociaux afin d'offrir au jeu vidéo un supplément d'âme et de maturité. Nous voici en plein dedans. Ce qui se déroule alors sous nos yeux n'a été que très rarement évoqué dans un jeu. Peut être car cela n'a rien de "ludique". D'immédiat. Et pourtant ce qui se déroule est proche de nous. A nos portes, au quotidien. Brisée par des événements encore inconnus, Jodie erre dans la rue. Malgré la présence des passants, elle est seule. Perdue. Sans toit. Obligée à mendier. Trouver son chemin, surmonter ses démons, affronter le regard des autres. Souffrir, et se révéler. Une fois de plus. Un rythme lent rappelant, en miroir inversé, la séquence de Heavy Rain dans laquelle Ethan se retrouvait chez lui, seul avec son fils. Pesant. Marquant. Jusqu'à la brutale conclusion d'une scène construite crescendo. Ascenseur émotionnel. S'il s'agissait d'aborder des thèmes sociaux, de ceux qui entourent les gens dans leur vie de tous les jours, nous y sommes. Ce genre de moments qui rappellent l'ambition et la singularité de Beyond.

Au-delà du plaisir du jeu, inviter le joueur à la réflexion, à l'empathie. Ne pas jouer avec Jodie, mais devenir petit à petit Jodie. Et prendre la route...

Il reste évidemment encore beaucoup à découvrir. Si certaines zones d'ombres et interrogations persistent, si Quantic a encore du travail à fournir pour peaufiner son nouveau jeu, s'il est trop tôt pour juger de la qualité générale de l'histoire avant de l'avoir pleinement vécue, une certitude demeure : le périple s'annonce une fois de plus unique.

Beyond est attendu pour le mois d'octobre 2013 sur PS3.