VALVe est une des boîtes les plus étonnantes à de nombreux égards parmi les grands succès issus du jeu vidéo. Structurée tout à fait différemment d'autres grandes sociétés, emprunte d'une philosophie bien particulière, et riche à millions, la boîte de Gabe Newell et ses potes fait actuellement travailler un économiste, Yanis Varoufakis, qui étudie très précisément les échanges et la portée économique de ce que produit et distribue VALVe avec Steam. Il aide ainsi la société à la création d'une "monnaie unique" sur des formats et des pays différents (notamment vis-à-vis des ponts entre monnaies virtuelles et réelles dans les jeux en ligne, etc.).

Ce dernier s'est fendu d'un post de blog sur son expérience chez VALVe, traduit en anglais par un forumeur de NeoGAF. Un post tout à fait fascinant, que je ne résiste pas à vous livrer traduit en français en intégralité sur la fin de cette news. Mais comme je sais que vous n'avez guère le temps de lire la platrée de signes du dit post traduit, même si je vous assure qu'il est fascinant de bout en bout, en voici l'extrait qui nous intéresse le plus :

J'ai signé un NDA donc je ne peux en révéler bien davantage. Je dirai juste que j'ai vraiment vu le futur. (ce n'est pas une mince affaire de voir un alien virtuel mais superbement réaliste aux côtés d'un véritable humain dans la même salle, se baladant dans la pièce et vous faisant des clins d'oeil. Et tout ça, sans un écran, un projecteur, ou même un ordinateur près de vous...).

Comment... ? Que... ? Quel est le fuck... ? Sans écran, sans ordi et sans projecteur ? Un truc holographique en détails dans la pièce ? Non sûrement pas, à mon avis il avait tout simplement des lunettes sur le nez et il s'agit de réalité augmentée de haut niveau... mais ça fait tout de même rêver sur les projets qui ont court chez VALVe. Non ?


Pour ceux qui veulent lire l'intégralité du post, le voici donc traduit par nos soins :

Il était tard, la nuit, il y a environ un an, lorsque j'ai vu ce curieux email dans ma boîte de réception. C'était le genre que j'efface sans même le lire. Tout à fait par erreur, j'ai cliqué "ouvrir" au lieu de "effacer" et mes yeux sont tombés sur la première phrase : "je suis le président d'une société de jeu vidéo basée à Seattle..." Immédiatement j'ai pensé : "encore une autre crapule de vendeur qui essaie d'arnaquer les gens sur internet". Mais la curiosité m'a joué son tour et j'ai continué à lire.

"Nous traversons quelques problèmes alors que nous essayons de mettre à jour nos économies virtuelles et de consolider différentes économies sur une plate-forme commune. Est-ce que ça vous intéresserait de travailler avec nous ?"

Bien que je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il voulait dire, la simple idée de "consolider différentes économies", et en plus des virtuelles, m'a rendu encore plus curieux. Alors j'ai continué à lire.

"Je suis votre blog depuis un bon moment... Dans ma société nous avons réfléchi à la manière de connecter deux environnements virtuels différents (créant une monnaie unique) et tout d'un coup nous nous sommes retrouvés à nous interroger sur les sérieux problèmes que ça causerait dans l'équilibre des paiements entre eux. Immédiatement il m'est venu à l'esprit que "un environnement est l'Allemagne, l'autre est la Grèce" - une pensée qui ne m'aurait pas traversé l'esprit si je n'avais pas suivi votre blog. Au lieu de continuer mon cheminement de pensée et d'essayer d'émuler ce que vous penseriez, je me suis dit que j'allais vous écrire au cas où je pourrais éveiller un intérêt pour nos affaires chez le véritable vous en chair et en os".

A ce moment là je me sentais plus que curieux : je me suis retrouvé intéressé ! Et  ce, bien que de prime abord, je n'avais absolument aucun intérêt envers les jeux vidéo, et qu'en outre, la signature de l'email ne signifiait rien pour moi : Gabe Newell, Valve, Seattle, WA, USA. Mais l'idée qu'une société du logiciel ait créé des communautés de gens qui de son point de vue constituaient des "économies virtuelles", des économies qu'elle avait peur d'unifier par crainte de créer une autre Eurozone problématique sur internet, était assez pour me décider, cette nuit-là, que le mois prochain, je ferais un saut à Seattle pour voir ce que Gabe et ses associés fabriquaient.

Quelques jours plus tard j'ai demandé à mon neveu de 14 ans (dont je savais qu'il pratiquait le jeu vidéo) s'il connaissait Valve. "Bien sûr" m'a-t-il répondu avec un niveau de dérision tel que seuls les adolescents peuvent atteindre. "Une société divine", ajouta-t-il. Quand je lui ai dit qu'un type du nom de Gabe m'avait écrit et invité à venir à Seattle, ses yeux se sont illuminés. Tout d'un coup, j'avais une nouvelle "audience" sans l'avoir vraiment méritée, simplement parce que je n'avais pas effacé un email lors d'une nuit d'automne.

Quoiqu'il en soit, à la fin novembre, après avoir mis fin à mes obligations académiques aux USA et au Canada, je suis allé à Seattle avec Danae [sa femme, ndlr]. Là je me suis enfermé avec Gabe et ses partenaires pour deux jours dans leurs bureaux de Belleveue, juste à côté de ceux de Microsoft (j'ai appris plus tard que Gabe fut un membre éminent de cette société jusqu'en 1996, lorsqu'il l'a quittée pour fonder VALVe).

Je me souviendrai toujours des conversations de ces deux jours. Pour commencer, je luttais pour tenir leur cadence. Leurs esprits fonçant à cent à l'heure. Bien qu'ils n'avaient pas de connaissance de la théorie économique, ils étaient en mesure de saisir des concepts difficile avant même que je n'aie le temps de finir ma phrase et les poussaient encore plus loin en quelques secondes. Très rapidement j'ai réalisé que ces personnes avaient créé non pas une, mais plusieurs économies virtuelles. Au total, 90 millions de personnes dans le monde y participaient. Ces millions de personnes ne faisaient pas que jouer à des jeux vidéo (tuant des zombies et combattant) mais prenaient aussi part à des transactions et des échanges d'objets de produits numériques dont la valeur excédait 1,4 milliard de dollars par an - pas des dollars virtuels, de vrais dollars ! La partie intéressante, du moins pour moi, était que Valve n'avait pas essayé de créer ces économies. Non, ces économies étaient apparues spontanément, sans planification, par elles-mêmes.

(...)

Et les économies ? Comment sont-elles créées ? Pendant le déroulement du jeu, ses concepteurs récompensent les joueurs avec des cadeaux "butins" aléatoires. Alors que vous vous baladez dans une foret numérique, ou grimpez l'échelle d'une tour virtuelle, vous trouvez une épée, un chapeau un objet décoratif ou utile. Le moment venu, la société crée de nouveaux "ibjets" (pour maintenir l'intérêt des joueurs) et cesse de produire les anciens. Mais certains de ces anciens objets deviennent collectionnables -  Iil gagnent de la valeur comme des peintures ou des antiquités précisément parce que leur production a pris fin. Il n'a pas fallu longtemps avant que les joueurs commencent à commercer entre eux puis, finissent par sortir du jeu, aller sur eBay, et vendre ces objets virtuels contre de l'argent sonnant et trébuchant. (Gabe m'a dit qu'il avait noté cette création spontanée d'économie quand il a vu un chapeau vendu pour 2500 dollars sur une enchère en ligne).

Aujourd'hui, alors que nous parlons, un million de gens vivent des jeux de Valve. Et je ne veux pas parler des 400 employés de la société. Par exemple, en Chine, au moins 200 000 joueurs gagnent de 40 à 80 mille dollars par an - ce qui est plus qu'il n'en faut pour assurer une vie confortable, sans même avoir besoin de quitter sa maison, et avec pour seuls "moyens de production" un PC et une connexion internet. Vous demandez : est-ce vraiment une économie ? Pouvez-vous avoir une économie sans production réelle ? Je suis d'accord. Jusqu'à présent ce que j'ai décris comme une économie était basé sur l'échange de denrées. Cependant il y a bien production également. 400 000 personnes sont des producteurs indépendants qui vivent de ces jeux, dans le monde. Comment ?

Disons que vous concevez un joli chapeau ou une étrange épée dans votre ordinateur que les joueurs apprécient. Valve vous donne la capacité de la vendre aux joueurs à un prix de votre choix et Valve perçoit une commission (de la même manière qu'Apple avec les apps que vous achetez depuis iTunes et qui ont été produites par des développeurs indépendants). Etant donné le coût nul de la production et de la distribution (excluant bien entendu le temps investi dans la création de l'objet), des concepteurs de talent, indépendants, ont accès à un large marché à partir duquel ils peuvent forger un revenu certain. Pour résumer, la raison qui m'a intéressé à travailler avec Valve pour étudier ces économies internationales à création spontanée était double.

D'abord, la possibilité que Gabe m'a offerte d'examiner les relations financières entre des millions de gens, un rêve d'économiste. Rendez-vous compte : les "données" financières sur lesquelles nous autres économistes travaillons ne sont pas... des données du tout. Nous ne savons jamais les prix réels du marché et sommes forcés de travailler avec des index tarifaires qui sont vieux et imprécis. Nous ne pouvons jamais observer de vraies transactions mais nous devons imaginer les transactions qui ont lieu au travers du prisme d'une information incomplète sur une base de données. Même des choses comme le chômage et l'inflation sont basées sur des méthodes statistiques qui sont lourdement défectueuses (et fréquemment influencées par la politique). Cependant, pour les économies de Valve, nous avons des données précises pour chaque transaction pour chaque prix et pour chaque quantité à n'importe quel moment. En termes profanes : nous n'avons pas besoin de méthodes statistiques (parce qu'on a toutes les données, comme si nous étions omniscients) ! C'est pour ça que je parle de "rêve d'économiste". Si vous ajoutez le fait que j'ai la chance d'expérimenter (par exemple, d'essayer différentes politiques tarifaires dans différents sous-groupes de la population des participants - quelque chose qu'un économiste ne pourrait jamais faire dans l'économie réelle), vous comprenez l'attrait.

Deuxièmement, parce que Valve lui-même est structuré d'une manière qui contredit tous nos préjugés sur ce qu'un business de haute technologie, moderne, signifie et la manière dont il devrait être structuré. C'est une société sans patron, sans mangers, avec une autonomie complète pour chaque individu qui y travaille (ou qui travaille avec comme je le fais à présent), avec un système de distribution de valeur qui est basé sur le principe qu'ils votent tous sur les salaires des autres personnes. J'ai écris ailleurs sur la structure de Valve donc je n'approfondirai pas ici. Je dirai juste que c'est une expérience qui donne l'espoir que l'évolution technologique dans le futur pourrait être a) désolidarisée de l'organisation hiérarchique traditionnelle d'une société (d'une manière qui combine un management horizontal participatif avec une efficacité et la haute technologie) et b) mener à une séparation radicale de la connexion capitaliste des droits de propriété sur les moyens de production d'avec la retenue des profits. Une grande discussion pour un autre jour.

Pendant la période allant de mars à juin je suis retourné chez Valve et nous avons commencé un programme de recherche d'étude systématique de leurs économies. En quelques jours nous avons eu nos premiers résultats pour éclaircir la manière dont les prix sont déterminés et comment l'arbitrage fluctue. En même temps, j'ai eu la chance de "voir le futur". Voyez-vous, en plus de leurs logiciels de jeu, Valve a commencé à développer du hardware. Inquiétés par la tendance de Microsoft et d'Apple de revendiquer une part de plus en plus importante de ses profits (pour permettre aux utilisateurs d'accéder aux jeux de Valve au travers des ordinateurs qui font tourner leurs logiciels), Valve a commencé à expérimenter avec ses propres machines qui donnent la possibilité de faire tourner ces jeux sans ordinateur [contrôlé par Microsoft ou Apple]. J'ai signé un NDA donc je ne peux en révéler bien davantage. Je dirai juste que j'ai vraiment vu le futur. (ce n'est pas une mince affaire de voir un alien virtuel mais superbement réaliste aux côtés d'un véritable humain dans la même salle, se baladant dans la pièce et vous faisant des clins d'oeil. Et tout ça, sans un écran, un projecteur, ou même un ordinateur près de vous...).