Comme beaucoup de développeurs de jeux vidéo, David Cage de Quantic Dream (Heavy Rain) s'est exprimé lors de la Game Developers Conference de San Francisco, et je suis tombé hier sur la transcription de son discours (disponible dans son intégralité chez nos confrères de CVG notamment). Un discours qui, une fois de plus, fait grincer quelques dents ici et là, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'on se focalise plus sur la façon dont il exprime ses idées que sur ses idées elles-mêmes... Voici en tout cas quelques extraits de cette intervention (dont je vous recommande la lecture complète, chez CVG ou ailleurs) :

La plupart des jeux et des designs que nous offrons visent clairement une cible adolescente. La plupart des jeux sont basés sur de la violence et / ou des actions physiques. (...) La conséquence de tout cela, c'est que les jeux vidéo, dans la plupart des cas, n'ont pas de sens (...) la plupart des jeux sont émotionnellement limités. Les émotions que vous ressentez dans la plupart des jeux sont assez basiques, elles proviennent de la frustration, de la concurrence, de la colère. (...) Mais il y a beaucoup d'autres émotions. Vous pouvez ressentir de l'empathie - et certains jeux font ça très bien. Mais il y a aussi la tristesse, la culpabilité... Il y a beaucoup plus d'émotions subtiles envisageables, et très peu de jeux vidéo essayent de les déclencher.

Dans n'importe quel type d'expérience, ce qui importe n'est pas tant ce que vous faites, mais ce que vous ressentez. (...) Quand vous allez au cinéma, vous n'appréciez pas seulement d'être assis dans le noir à regarder des images bouger sur un écran, ce que vous aimez c'est ce que vous ressentez.

Dans la conception de jeux, pourquoi ne pas se concentrer sur ce que le joueur ressent seconde après seconde ? La narration semble être la meilleure façon de déclencher ces émotions, qui doivent être aussi variées, subtiles et complexes que possible. Ne déclencher qu'une seule émotion, c'est ennuyeux. Les gens aiment les montagnes russes émotionnelles. Pourquoi l'interactivité devrait-elle être différente de tous les autres médiums narratifs que l'homme a inventé à ce jour ?

Quand on y pense, les jeux vidéo sont basés sur les mêmes paradigmes depuis 13 ans. La technologie a fait d'énormes progrès dans ce laps de temps, c'est incroyable. Mais quand on regarde les concepts de jeux, la plupart du temps, vous pouvez prendre le dernier jeu auquel vous avez joué et le comparer à un jeu qui est sorti il y a 20 ans. Ils sont probablement basés tous les deux sur les mêmes règles de base.

Dans Heavy Rain, nous avons essayé de répondre à tous ces défis. Le premier était de faire un jeu qui proposerait clairement des thèmes et un ton adultes. (...) Puis il y a eu les thèmes dont nous voulions parler. De l'amour bien sûr, mais aussi de rédemption, de culpabilité. Ce genre de sentiments complexes. Et puis il y a eu l'histoire qui, si vous le prenez de façon cruelle, traitait de l'enlèvement d'enfant. Quand j'ai présenté ce jeu aux éditeurs, je leur ai dit : « J'ai fait ce jeu. Ça parle d'amour, de rédemption, de culpabilité et d'enlèvement d'enfants. » Ce n'était pas toujours un succès. Mais ce que nous voulions, c'était raconter quelque chose qui a du sens.

Nous espérions que les joueurs seraient surpris de passer par différentes émotions, qui laisseraient une empreinte dans leur esprit. (...) je ne sais pas comment raconter une bonne histoire si mon héros ne peut que tirer et courir. (...) Nous devions trouver un moyen de changer cela, de permettre à notre héros de faire tout ce que nous voulions lui faire faire. Il s'agissait de libérer nos personnages.

Bien sûr, quand on veut changer tout cela, on se doit d'expérimenter de nouveaux paradigmes. Il faut prendre des risques. Il faut se confronter au danger d'un échec, et même d'un échec retentissant, mais au moins il faut avoir essayé. (...)

Vous n'êtes pas obligés de créer des jeux pour adolescents. Vous pouvez créer une comédie, vous pouvez créer une tragédie. Vous pouvez créer ce que vous voulez. Vous pouvez créer quelque chose pour les adultes.

Personnellement, je ne pense pas que David Cage s'évertue ici à donner des leçons aux développeurs, mais qu'il exprime ses choix et partage sa vision sur ce que le jeu vidéo peut explorer de nouvelles pistes. Avec des certitudes certes, de l'arrogance diront certains, mais sincèrement, comment le contredire sur le fait que "la plupart des jeux" (c'est important et c'est répété à maintes reprises) tournent un peu en rond, et qu'on gagnerait à se risquer plus souvent à explorer de nouveaux chemins ?