C'est la Commission des affaires juridiques, du Conseil des États Suisse, qui a donc procédé à ce vote jeudi soir dernier, en adoptant deux motions, suivant en cela le Conseil national qui abondait dans ce sens en juin dernier. La première motion, votée à 27 voix contre 1, valide l'interdiction de la vente de jeux vidéo violents aux mineurs. La seconde (19 voix contre 12) interdit purement et simplement la vente de ces même jeux vidéo.

Cette dernière a été proposée par Evi Allemann, jeune députée socialiste, qui réclame "une base légale permettant d'interdire la production, la publicité, l'importation, la vente et la diffusion de programmes de jeux dans lesquels de terribles actes de violence commis contre des êtres humains ou ressemblant à des humains contribuent au succès du jeu". Le gouvernement va-t-il prochainement, comme la logique le voudrait, promulguer définitivement ces lois ? Pour la Commission, le vote est on ne peut plus clair :

La Commission considère qu'il est nécessaire de protéger les enfants et les adolescents de toute représentation de la violence dans les médias. En approuvant ces deux motions, elle entend souligner que la question des jeunes et de la violence demeure un problème à prendre au sérieux. En principe, la commission estime donc qu'il y a lieu de légiférer.

Au conseil fédéral de "jouer"

Il appartient désormais au Conseil Fédéral Suisse (pouvoir exécutif) d'élaborer un projet de loi, qui sera ensuite renvoyé au parlement. Mais comment en est-on arrivé là ? La Suisse, comme de nombreux autres pays désormais, notamment l'Australie ou l'Allemagne, semble elle aussi touchée par l'envie d'une législation plus "stricte" vis-à-vis des jeux vidéo. C'est en ce sens qu'a été créée dès avril 2009 l'association VGMG (Vereinigung gegen mediale Gewalt, soit "association contre la violence des médias"), par le député socialiste suisse du canton de Bern, Roland Näf. Ce dernier plaide pour, je cite "l'interdiction des jeux vidéo dans lequel le meurtre et/ou la torture représentent un objectif", et de l'autre à "promouvoir les jeux vidéo riches, stratégiques et sophistiqués qui ne se focalisent pas sur la violence".

Electronic Arts s'énerve

Le numéro un mondial du secteur, n'a pas tardé à réagir dans les pages du Temps, et a clairement exprimé sa colère, par la voix de Tiffany Steckler, porte-parole d'EA :

Cette censure démontre que les politiciens ne comprennent ni notre industrie, ni les consommateurs. Personne ne pense censurer des films ou des livres ayant un contenu adulte. La moyenne d'âge des joueurs est de 28 ans. Ce sont des personnes qui doivent pouvoir choisir librement leurs divertissements.

Et comment donc. Même s'il ne s'agit pour l'instant que d'une motion, et non d'une loi, force est de reconnaître qu'à terme, le danger serait de voir sans doute tous les jeux intégrant un minimum de violence, être concernés par cette éventuelle Loi. Evi Allemann de son côté, insiste pourtant sur le fait qu'une dizaine de jeux seulement seraient pointés du doigt et donc bannis. Citant Manhunt et laissant de côté... Counter Strike. Sur quels critères se ferait alors "le tri" ? A l'aveuglette ? En lançant les dés ? A quel moment un "humain, ou un être ressemblant à un humain" bien virtuel, subit-il un outrage que la morale réprouve ? Vaste débat...

Et le PEGI alors ?

On peut en effet se demander quel rôle précis il joue dans un pays comme la Suisse. Le même qu'ailleurs en Europe, rétorquerez-vous à juste titre. Mais visiblement ce n'est pas suffisant pour les politiciens locaux. Tiffany Steckler, porte-parole d'Electronic Arts pointe du doigt d'autres "responsables".

PEGI effectue un excellent travail et les logos d'avertissement sont clairs. Les parents doivent être responsabilisés, mais aussi les distributeurs qui doivent prendre des mesures pour éviter la vente de jeux avec du contenu pour un public adulte à des enfants - comme pour l'alcool ou les cigarettes.

Peut-on alors penser qu'EA défend avant tout son bout de gras, comme le souligne le journal suisse Le Temps ? Réponse de l'intéressée : "Il ne s'agit pas d'une discussion commerciale. Il s'agit de demander à ce que les créateurs de jeux puissent avoir le même respect qu'ont les metteurs en scène ou les écrivains."

Faut-il alors avoir peur de la tournure que prennent les événements en Suisse concernant la violence dans les jeux vidéo, soit disant générée par des images vidéoludiques ? Doit-on forcément légiférer en ce sens pour trouver une solution à la violence "réelle" des plus jeunes ? Pour Géraldine Savary, parlementaire suisse, qui concède volontiers qu'aucun lien scientifique n'a été établi entre les deux, "le doute est trop grand pour ne pas se poser la question". Préférant "laisser au gouvernement la possibilité d'interdire purement et simplement ces jeux".

Le téléchargement a déjà gagné...

Interdire la vente de jeux violents sur le territoire suisse n'empêchera toutefois pas leur diffusion. Via internet (achats dématérialisés ou non), tous les jeux seront évidemment facilement accessibles. C'est d'ailleurs ce que pense Nicolas Akladios, président du Swiss Gamer Network, une association suisse de jeux vidéo, pour qui "l'interdiction des jeux vidéo violents aux mineurs est une bonne chose, même si [il ne pense pas qu'] une interdiction totale soit applicable." D'autant, ajoute-t-il qu'il est aisé de "traverser la frontière" pour se procurer ces jeux. Sans oublier le téléchargement qui représente aujourd'hui pas moins de 20% des jeux achetés selon lui. Et ajoute-t-il, "d'ici à ce que le Conseil Fédéral se prononce, ce sera 30, voire 40% du marché"...

La Suisse sera-t-il le premier pays démocratique à verrouiller les accès internet pour empêcher ses chères têtes blondes d'être confrontées à des images vidéoludiques violentes ? Voulez-vous parier quelques euros dessus ?

-Via-, -Via- et -Via-