Il n'y a pas si longtemps, lorsqu'il appartenait encore à Hachette où certains d'entre nous sévissions, le magazine Joystick avait été condamné pour diffamation au bénéfice de l'association pour, si ma mémoire est bonne, ces quelques mots malheureux : "Ces fasci-fascos de Familles de France". Justifiée, la publication judiciaire, la seule je crois dans l'histoire du magazine, a pu marquer quelques mémoires. Mais ce dont on se souvient surtout, c'est de cette habitude à la peau décidément très dure qu'a Familles de France de vouloir faire bannir de notre paysage culturel tout ce qu'elle ne comprend pas. Son slogan ? "Avec vous, jour après jour" ; le nôtre ? "Non merci !".

De Resident Evil à Second Life

C'est elle aussi qui avait voulu faire interdire la distribution de certains jeux, à commencer par Resident Evil -- y parvenant avec un succès relatif puisque certaines grandes enseignes de la ditribution avaient effectivement préféré ne pas s'exposer à des poursuites ou prendre le risque de ternir leur image en distribuant ces titres. L'emploi de l'appareil judiciaire est une des spécialités de Familles de France, qui envoie aujourd'hui son avocat, Maître Antoine Chéron, à l'attaque de Second Life. Ce dernier explique à ecrans.fr qu'on y trouve "de la scatologie, de la pornographie, des jeux d'argent, de la visualisation de contenus sensibles" et qu'"Il y a même des sex-shops, avec des pancartes, "interdits aux moins de 18 ans", et on peut basculer dans le monde réel et rencontrer de vrais gens" ; consternation. Bien entendu, tout cela est vrai : Second Life est effectivement un sacré repaire de cyber-fesse qui donne dans tous les genres de perversions possibles, certaines même uniquement imaginables dans un tel univers virtuel, miracle de la technologie moderne. Alors l'association décide de réagir.

Dieu reconnaîtra les siens

Que Familles de France attaque Linden Labs, la société derrière Second Life, passe encore. Mais non : FdF ne fait pas les choses à moitié et attaque carrément à titre subsidiaire les Fournisseurs d'Accès : Orange, Free et Neuf en tête. A défaut de pouvoir filtrer le contenu de Second Life, elle rêve purement et simplement d'empêcher la France entière d'y avoir accès. Giuseppe de Martino, le Président de l'AFA (l'Association des Fournisseurs d'Accès), rappelle pourtant que "Nous sommes le seul pays qui fournit l'accès gratuit à un outil de contrôle parental pour filtrer les contenus. Et pour Second Life, cela marche bien". Pas suffisant pour FdF, car "aujourd'hui, les parents n'ont pas conscience que leurs enfants peuvent aller dans des mondes clos". Comme tant de fois auparavant, l'association refuse de considérer l'éducation des parents, ou les outils existants, comme de chercher des solutions alternatives ou matures ; bannir, c'est son dada. Elle n'est en effet pas seulement adepte des faux-problèmes, mais aussi des fausses-solutions. On se souviendra qu'insatisfaite des labels PEGI, elle avait tenté d'introduire son propre label pour signifier aux parents quels jeux vidéos étaient "sans danger", prétextant que les normes PEGI étaient "peu respectées à ce jour". Comme si leur label aurait pu l'être plus.

Un peu d'histoire

Aujourd'hui, FdF a fait le ménage dans ses rangs. Mais ces mots malheureux qui avaient valu à Joystick de perdre devant un tribunal ne venaient pas non plus de nulle part. A l'époque, les représentants de l'association ne laissaient aucun doute quant à leurs idées politiques. Son président était Jacques Bichot, qui regrettait dans la revue Familles de France (éditée par l'association) le "bon temps de Franco où l'on vivait sans drogue ni délinquance", et participait aux réflexions du fameux Club de l'Horloge. Son administrateur, Gerard-François Dumont, justifiait la dénatalité par les dangers de l'homosexualité et du féminisme. Selon ses termes de l'époque, une étude mettait "en évidence que parmi les garçons élevés par une mère seule, le taux d'homosexualité est considérable. Ils se refusent à approcher une femme considérant qu'ainsi ils commettraient un inceste avec leur mère". Brigitte Chapoutier, qui s'occupait des luttes morales de l'association, combattait des campagnes de prévention contre le sida, jugées pornographiques, et fondait l'association "Droit et Vérité" pour "obtenir la libération de Paul Touvier et lutter contre les mensonges de ceux qui veulent faire le procès de la France de Vichy et du catholicisme français". Bien entendu, vous ne trouverez rien sur le site officiel de Familles de France sur ces trois anciens dirigeants. Mais comment peut-on penser, à la lumière de ces actions, que l'association a réformé son mode de pensée, et ses attaches politiques avec des mouvements dont les idées apparaissent si clairement ?

Mission complete

Alors elle a bien réussi. On parle d'elle partout depuis le 1er Juin, date du communiqué officiel dénonçant la débauche dans Second Life. L'audience aura lieu le 18 Juin prochain, et on ne peut que prier pour que FdF se prenne une bonne raclée au tribunal. Comme ça, on pourra continuer de parler d'elle, mais en ayant remplacé un ton alarmiste par celui, nettement plus savoureux, de la moquerie. Eduquer les parents, offrir des systèmes de protection contre des contenus inappropriés pour les enfants, réfléchir sur notre époque sans la condamner en brandissant fièrement la bannière de l'obscurantisme : mille fois oui. Bannir au nom d'une moralité soit-disant universelle, décider à la place des utilisateurs ce à quoi ils peuvent avoir accès, et juger sans équivoque ce qu'on ne connaît pas, avec des oeillères d'un autre siècle : certainement pas !