Bien avant que les FPS n'envahissent en masse nos beaux petits écrans, le jeu dit d'aventure dominait largement la scène. C'était au début des années 90, une bien belle époque qui vu principalement les éditeurs Sierra et Lucasarts, nous distribuer leurs petits chef-d'œuvres par wagons. Bien des années plus tard, Lucasarts tenta de relancer le genre en le rénovant à la sauce du jour. Le résultat fut Grim Fandaaaaaaaaango !

 

 

 

A l'aube de l'an 2000, le jeu d'aventure (aujourd'hui appelé point & click) est mort. et enterré. Même le succès du sublimissime Curse of Monkey Island en 1997 n'a pu relancer ce genre tombé dans les méandres de l'oubli (c'est beau, mais c'est aussi triste). Les joueurs se seraient-ils lassés de se triturer les méninges ? Peut-être. Ou alors en ont-ils tout simplement marre de voir des jeux en 2D ? C'est en tout cas ce que devait penser Lucasarts en nous proposant Grim Fandango, un jeu à l'ambiance particulièrement alléchante et au gameplay totalement novateur pour le genre. Oublions l'interface Scumm qui fit la gloire de titres comme Day of the Tentacle, Monkey Island 1 & 2, ou encore Zack Mac Kracken. Mais oublions surtout notre bonne vieille souris car cette fois c'est au clavier, ou dans le meilleur des cas, au pad, de prendre le relais. Pourtant, la souris semblait le mode de contrôle idéal pour le genre. Le pari de Lucasarts fut-il vraiment judicieux ?

L'histoire de Grim Fandango est tout simplement sublime. A tel point que je préfère ne pas trop la dévoiler pour ne pas vous gâcher le plaisir si vous décidez de vous laisser tenter par ce titre. Nous sommes dans le royaume des morts. Un royaume des morts d'un style très... mexicain. On incarne le fringant Manny Calavera, sympathique anti-héros à l'image de tous les personnages que l'on interprète dans les jeux d'aventure Lucasarts. Manny est agent de voyages mortuaires et son job est de faucher les âmes dans le royaume des vivants pour ensuite leur vendre des forfaits voyages plus ou moins luxueux  afin d'obtenir le repos éternel. En fait, selon le client, s'il a été juste ou pas dans sa vie, Manny aura l'occasion de lui vendre un moyen de locomotion plus ou moins rapide pour le paradis. Vous avez été un pourri toute votre vie et n'avez jamais aidé une grand-mère à traverser la rue ? Allez zou : pour vous, c'est juste une canne avec une boussole et débrouillez-vous pour trouver le paradis ! Aaaaaah ? Vous avez toujours été sympa, vous vous êtes ruiné en versant toute votre fortune aux restos du cœur, au téléthon, et vous avez été bénévole toute votre vie ? Alors vous allez être gâté : pour vous c'est le superbe Neuf express qui vous attend ! Grace à ce superbe train, vous traverserez le pays des morts en moins de temps qu'il ne faut pour le dire ! Seulement voilà : ça fait un petit moment que Manny n'arrive plus à avoir de clients dignes de ce nom, tout au contraire de son détestable collègue Domino, le lèche botte du patron (et pourtant un squelette n'a pas de langue comme le dit si bien Manny). Comment ce gars fait-il pour toujours coiffer notre héro au poteau ? Y aurait-il une sombre histoire derrière tout cela ? Pour ne rien vous cacher... oui. Mais je n'en dirai pas plus.

 

Le jeu se déroule durant quatre années. Des années où Manny aura l'occasion d'évoluer en devenant tour à tour terroriste, balayeur, patron d'un night club, mousse à bord d'un navire, puis capitaine... Quatre années pour que l'intrigue puisse nous dévoiler ses secrets les plus enfouis. Le pays des morts nous réserve bien des surprises, et tout cela dans une ambiance entre des films noirs des années 30/50. Le look des personnages s'inspire des marionnettes colorées que l'on trouve lors de la fête des morts Mexicaine. Et le résultat est vraiment vraiment, mais alors là vraiment, je vous le dis tout de suite sans chipoter que c'est vraiment vraiment impr... pardon j'ai oublié un « vraiment », donc je disais vraiment vraiment impressionnant. Décidément, chez Lucasarts ils sont champions pour créer des univers fabuleux ! Comme d'habitude, vous êtes accompagné de nombreux seconds rôles croustillants. Et comme d'habitude, leur personnalité est bien travaillée, jamais clichée, souvent touchante (vous allez verser une larme lors de la mort de l'un d'eux, c'est moi qui vous le dis). Je ne nommerai que ce bon Glottis, un énorme monstre orange, le meilleur ami de Manny. Un peu lourdaud, certes, mais tellement attachant. Je dirais même qu'il a un cœur gros comme ça (ceux qui joueront me comprendront...) ! Ces personnages sont si « vivants » qu'on a presque l'impression qu'ils sont réels. De vrais seconds rôles de luxe.

Le jeu est très drôle ce qui n'étonnera pas les fans des jeux Lucasarts. L'histoire est si bien fichue que l'on sera tour à tour, mort de rire, intrigué... triste. Grim Fandango possède un intérêt qui va au-delà du jeu vidéo et c'est même une très belle réflexion sur la vie et la recherche du bonheur. Le jeu possède une ambiance vraiment unique, qui vous rappelera celle du film L'étrange Noel de Monsieur Jack pour le côté joyeusement morbide.

 

La grosse déception vient du nouveau moteur de jeu, très (trop ?) inconfortable pour le plaisir du joueur. L'interface fait un peu penser à celle des premiers Resident Evil, mais en beaucoup moins souple. Le personnage ne peut pas vraiment aller où il le désire et semble coincer sur des rails invisibles. On s'énerve vite, et les moins courageux d'entre nous (dont j'ai failli faire partie à l'époque) vont rapidement se lasser de chercher à résoudre les énigmes à cause de cette maniabilité exécrable. De plus, le clavier n'est vraiment pas pratique, et on s'emmêle vite les pinceaux. Avec un pad c'est un peu meilleur, mais pas de quoi crier victoire pour autant. Ce système repris par la suite par Monkey Island 4 sera un peu amélioré, mais il confirmera surtout une bonne chose : rien ne vaut la bonne vieille interface et la bonne vieille souris pour le genre. De plus pourquoi vouloir à tout prix mettre de la 3D quand ce n'est pas justifié ? Monkey Island 3 représentait la perfection du genre ! Vous pouvez y rejouer aujourd'hui, ça reste toujours aussi agréable à voir tourner ! Il aurait mieux valu continuer dans cette direction plutôt que de vouloir innover à tout prix. Autre problème : ce moteur poussif est bien lourd à digérer. Ainsi, nous aurons droit à beaucoup trop de chargements,brisant le plaisir de la balade. On s'y habitue vite, fort heureusement.

A l'instar de Monkey Island 3, la version française est bien supérieure à la version originale ! Mais rien d'étonnant lorsque l'on se donne la peine d'appeler de vrais comédiens professionnels français comme le regretté Mario Santini (une voix qui vous sera très familière). Décidément, c'est une tradition chez les jeux Lucasarts de proposer des versions françaises d'une qualité rare (vous pouvez en juger avec The Dig, Full Throttle ou Sam & Max). Si aujourd'hui, bien des VF n'ont rien à envier aux versions anglaises, à l'époque les VF étaient souvent faites à l'économie. Lucasarts avait donc bien du mérite de nous proposer un pareil niveau de perfection. Quoi de mieux pour accompagner ces musiques inoubliables, sublimes et collant tour à tour avec l'ambiance latino des films noirs ?

Malgré cette fichue 3D, Grim Fandango  est l'un des jeux les plus marquant de l'histoire. Carrément. Trouvable à bas prix, tournant sur de petites machines, et proposant l'une des histoires les plus fantastiques jamais proposée tout support confondu, ce serait un crime de ne pas s'y essayer.  A l'époque, le jeu n'a pas connu le succès escompté mais a toujours eu une excellente réputation et a marqué tous les joueurs qui ont eu le bonheur de suivre les aventures de Manny et sa clique. A l'instar d'un Shenmue, le jeu gagnera des fans au fils des années prouvant qu'il n'est jamais trop tard pour s'amender. Aller, une supposition juste comme ça : Grim Fandango est un chef-d'oeuvre qui mériterait d'être adapté au cinéma tant son univers riche et mélancolique s'y préterais à merveille. Malheureusement, le monde du cinéma préfère adapter des Street Fighters, Tomb Raider ou Doom, aux scénarios il est vrai, tellement plus intéressant à la base...