Quand on
imagine l'association frousse + grande maison, on a généralement
deux résultats. Le commun des mortels pense Resident Evil et
les anciens, Alone In The Dark. On considère souvent que ces
deux titres majeurs ne sont séparés que par du vide. Et pourtant,
en 1995, Human Entertainment développa une petite pépite du genre
injustement méconnue: Clock Tower.

     Unpitch anxiogène

     S'il y a bien
un genre qui montre l'influence du cinéma sur le jeu vidéo, c'est
bien le Survival Horror. Biohazard rend hommage à Romero,Silent Hill lorgne du côté de David Lynch, etc... Clock
Tower, quant à lui, adapte de manière (très) libre Creepersde Dario Argento, tout en repompant des idées à droite à gauche.

L'histoire en
elle-même tient sur un ticket de métro: Jennifer (l'héroïne) et
ses amies de l'orphelinat ont été adoptées par la très
mystérieuse Miss Barrows, qui les conduit un manoir perdu dans les
montagnes. Alors que le joueur commence à se dire qu'il joue en fait
à une sorte de version nippone d'Annie, les choses commencent
à se compliquer avec l'étrange disparition de la nouvelle maman du
Club des Cinq...

Oui, c'est succinct, mais ce n'est pas
bien grave car passé une petite dizaine de minutes, l'intrigue, on a
plus vraiment grand chose à cirer. Pourquoi? Parce que l'on a aux
fesses la principale attraction du jeu: Bobby, nabot armé d'un
taille-haie qui sera quelques années plus tard connu sous le nom de
Scissorman. Et c'est parti pour la partie de cache-cache la plus
éprouvante de l'histoire.

     Un jeu
handicap friendly

      Si
on fait une analogie avec le jeu de baston, on peut dire sans trop
s'avancer que le match-up nymphette en détresse / serial-killer est
défavorable. Ici, le jeu nous le fait clairement comprendre tant
notre charmante victime pourrait faire passer les héroïnes deProject
Zero
pour des Black Ops. N'espérez pas avoir une arme ni même vous
servir de vos poings. Le jeu se présente sous la forme d'un point'n
click construit sur le schéma suivant  : j'explore un peu / je
me fais gauler / je m'enfuis / je cherche une cachette / je prie pour
que l'on ne me trouve pas, qui est devenu la marque de fabrique de la
série.

Quelque
soit l'action que vous serez amené à faire, seule la touche Y sera
sollicitée, parti-pris qui a les défauts de ses qualités.
L'avantage, c'est la simplicité de la jouabilité : dans
l'absolu, impossible de se gourer de bouton quand il n'y en a qu'un
seul qui marche. De même, le jeu demeure parfaitement jouable quand
les aléas de la vie vous ont handicapé de la main droite, ce qui
est une délicatesse dont bien peu de studios font preuve par les
temps qui courent. L'inconvénient, c'est que Y sert à TOUT :
interagir avec l'environnement et marcher par une pression simple,
courir et résister aux attaques de Bobby en mashant le bouton. Il
arrive donc de temps en temps que l'on se retrouve par un clic
malheureux à demander à notre avatar de reprendre sa promenade ou
d'ouvrir une porte alors qu'il est question de s'enfuir.

Finalement,
les errements du gameplay transforment le jeu en une expérience
réellement intense : passé une heure de jeu on a mal au pouce
(voire à l'avant bras) tandis que de gros pics de stress surviennent
quand cette gourde de Jennifer se met à faire n'importe quoi, ce qui
aboutit généralement à un game over, ici appelé « Dead
End ».

Ces
deux mots reviendront d'ailleurs souvent. Ici point de barre de vie,
mais une jauge de peur, qui fonctionne un peu à la manière de la
santé mentale du jeu de rôle L'Appel
de Cthulhu
.
Dans les grandes lignes, un événement effrayant ou une expérience
éprouvante (par exemple, courir, pour ne citer que lui) augmente le
stress de la demoiselle. Le seuil critique atteint, la jeune fille
panique : elle se casse la binette quand elle s'essaye au sprint
et a beaucoup plus de mal à retenir les assauts de son agresseur.
C'est le moment du jeu où il faut bourriner sec sur la manette si vous ne voulez pas crever comme une merde, ce
qui nous ramène au problème évoqué plus haut. La jauge remonte
une fois un lieu sûr atteint, mais, même dans ce genre d'endroit,
un désagréable sentiment d'insécurité persiste. Et ça, ça fait
plaisir.

Fais-moi
peur !

      On touche enfin au fond du truc. Quand il est
question de Survival horror, on ne se demande pas si le head-shot est
trop permissif ni si le netcode du mode multi marche bien. La
question, ce serait plutôt : est-ce que le jeu fout la
trouille ? Je ne vais pas entretenir le suspens plus longtemps :
oui, il est même carrément flippant.

Le
coup de la grande maison lugubre par une nuit d'orage, c'est comme un
steak-frites (ou AC/DC) : ce n'est pas franchement original ni
très raffiné, mais ce sera toujours une valeur sûre. C'est bien
simple : ici, aucun poncif n'a échappé aux développeurs :
en plus de la baraque paumée typée années 50 fournie avec les
commodités d'usage (grande bibliothèque, souterrains humides,
laboratoire, chapelle satanique, etc,..), ils ont également planté
dans le potager un psychopathe invincible façon slasher de la grande
époque, un tas d'apparitions de tout poil (car, en plus d'être un
repère de grands malades, certaines pièces du manoir sont hantées
- Jennifer n'a définitivement pas de bol), et j'en passe. Le compositeur a même
poussé le vice jusqu'à plagier la musique de l'Exorciste,
c'est dire...

Le
jeu utilise certes de mécaniques horrifiques usées jusqu'à la
corde, mais il en use avec talent. La multiplicité des influences
rend d'ailleurs le jeu étonnamment imprévisible :
regardez-vous dans le miroir, et votre reflet essaiera de vous
étrangler, libérez le perroquet et celui-ci vous agressera en criant "I hate you!".. Inutile de dire que ça surprend pour un jeu qui se vend autour d'une simple chasse à l'homme. Sans jamais tomber à plat, les scripts de
ce genre sont multiples et changent d'une partie à l'autre en
fonction des actions accomplies. Vous vous retrouverez bien vite à
explorer les lieux avec la peur au ventre car examiner le moindre
objet peut signer votre arrêt de mort.

Malheureusement,
ce choix artistique a un prix. Quand on joue à Resident
Evil
, on sait que l'on va bouffer du
zombard. Quand on lance Dead Space,
c'est pour bousiller de l'alien dans un trip SF. Bref, ces séries
ont un univers reconnaissable au premier coup d'œil. On sait à
quoi on va jouer, et c'est même pour ça qu'on y joue. Le principal
problème de Clock Tower, c'est cette absence de coup de patte qui
marque les œuvres majeures du genre. Parce qu'il mange à tous les
râteliers et parce qu'il n'a pas su créer de personnages forts (le
principal ennemi est un nain en tenue de baigneur qui brandit des
ciseaux géants), le jeu ne parvient pas à se forger cette identité,
ce supplément d'âme qui aurait fait de lui un Grand. C'est bien
dommage, parce qu'il l'aurait mérité...

    En conclusion, Clock Tower est une grosse claque. En plus d'être terriblement efficace, il offre une bonne replay value avec ses scripts variables et ses neuf fins. Dommage qu'il se disperse à trop vouloir en faire car on était proche du sans faute.

Vraiment
à part dans le catalogue de jeux de la Super Nes, cet étrange
croisement entre Alone in the Dark, Maniac Mansion et Track'n fieldest un peu la girl next door de la pétoche : il n'a peut-être
pas le sex appeal des top models AAA, mais une fois les lumières éteintes, on se rend compte que ses charmes n'ont pas grand chose à leur envier. Et ce serait quand même con de
passer à côté d'un truc aussi intense!