Cette interview a été initialement publiée le 26 février 2017.

Gameblog : Comment se porte Nintendo en France ?
Philippe Lavoué : Comme en attestent les chiffres Gfk, Nintendo reste le premier vendeur de jeux en France avec 4,311 millions de titres vendus en 2016, soit une progression de 6% par rapport à 2015. Dans le même temps, la 3DS continue de progresser avec 697.000 machines supplémentaires vendues dans l'hexagone pour une base installée de 4,675 millions. D'ailleurs c'est la 3DS qui a le plus contribué à nos ventes de jeux l'année dernière, avec une hausse de 27% pour 3,265 millions de titres vendus. Au global, nous avons placé 5 titres dans le TOP 20 France.

Vous pensez que cette dynamique se maintiendra en 2017, malgré la concurrence de la Switch ?
C'est vrai que pour certains joueurs, le côté salon, mais aussi portable de la Switch pourra faire ombrage à la 3DS. Nous ne sous-estimons pas cet aspect, mais la position de Nintendo, ce sont les jeux. Nous estimons que Yo-Kai Watch 2 dispose d'un potentiel de 500.000 ventes et Pokémon Lune & Soleil encore à 450.000 en 2017. Ces deux titres sont sur 3DS. Nous avons ciblé des profils de joueurs qui ont une appétence avec la 3DS et son style de catalogue. On ne baisse donc pas la garde sur 3DS, et nous comptons même renforcer nos positions. Nos fans auront beaucoup d'occasion de jouer en 2017.

La NES Mini a aussi rencontré un beau succès, vous vous y attendiez ?
Pour être franc, pas à ce point. Nous en avons écoulé 84.000 en France et nous réapprovisionnons au fil de l'eau. Initialement, nous pensions lancer la machine, puis nous concentrer sur la Switch, mais c'est clair, il y a un véritable appétit pour le rétro-gaming.

Nintendo indique depuis des semaines sa volonté de faire coexister la Switch, avec la 3DS...
Oui, il faut bien comprendre que la 3DS continue sur une très belle dynamique, en particulier en France. Sans la réussite de la 3DS, nous ne pourrions pas lancer la Nintendo Switch aujourd'hui. C'est ce qui nous permet de faire un lancement libéré, d'aller promouvoir tous les jeux. On a besoin de ses deux jambes pour marcher, le portable et le salon. Et puis dans le même temps les applis sur smartphones nous permettent d'aller plus vite et d'aller recruter avec beaucoup plus d'intensité d'autres styles de joueurs.

D'ailleurs, vous avez constaté un véritable effet de "halo" avec Pokémon Go et Super Mario Run ?
Totalement. Rien qu'en France, 23% des joueurs de Pokémon Lune & Soleil ont été motivés par l'application Pokémon GO. Il s'agissait de joueurs qui ne connaissaient pas la série au préalable, ou d'autres qui l'avaient quitté depuis plusieurs épisodes. Ce n'est pas négligeable d'autant qu'à date nous avons écoulé 950.000 Lune & Soleil dans l'hexagone, c'est un record en si peu de temps ! Concernant Super Mario Run, nous n'en sommes encore qu'au début, mais nous constatons aussi un effet d'entraînement de la gamme des jeux Mario, comme Mario Maker, Mario Kart 8... Il existe donc bien une synergie entre la sortie de ses applis et la vente de jeux sur nos consoles.

Quelle répartition prévoyez-vous sur vos jeux de lancement ?
On imagine un Zelda majoritairement acheté par les joueurs, et pour le moment nous constatons un rapport qui s'approche du 1:1 entre Breath of the Wild et la Switch. En ce qui concerne 1-2 Switch, c'est plus faible actuellement, mais cela monte progressivement et nous sommes déjà à 25% des précommandes.

La Wii U a été un échec, avec le recul comment en analysez-vous les raisons ?
La proposition Switch est différente, elle est forte, elle est comprise. Les gens retiennent l'idée d'une console de salon a transporter partout. Aujourd'hui on a énormément de consommateurs qui nous avaient suivi sur la Wii, qui ne l'ont pas fait sur la Wii U. Nous sentons un attrait, il se passe quelque chose d'assez inhabituel. Après, c'est vrai que nous sommes un constructeur pas comme les autres, 85% des joueurs déclarent avoir commencé avec Nintendo.

Vous pensez que la Switch a les arguments pour pouvoir rééditer le phénomène Wii ?
Vous savez nous avons des indicateurs qui prouvent que la Wii est encore aujourd'hui la console la plus utilisée en France. Elle continue à avoir une ombre sur notre activité. Une franchise a mis tout le monde d'accord dans notre univers, cheville ouvrière du gameplay de Nintendo, c'est Mario Kart. Eh bien Mario Kart sur Wii c'est 3,5 millions de jeux vendus en France. Sur Wii U, Mario Kart ce n'est que 350.000 exemplaires. Un rapport de 1 à 10.

A la fois vous aviez vendu beaucoup moins de Wii U...
C'est un fait, seules 832.000 Wii U ont trouvé preneur en France. Cela nous laisse une marge de progression énorme pour la Switch.

Quelles sont donc vos attentes pour la Switch en France ?
Les premiers indicateurs démontrent que nous sommes dans la zone de la Wii, voire au-dessus. Les réservations de la Switch sont par exemple supérieures à la Wii qui s'était écoulée à 95.000 unités la première semaine, mais pendant ces belles années, la Wii dépassait le million. Avec la Switch, notre objectif est de faire au moins aussi bien. Ce sera un premier indicateur. Le vrai test, sur 12 mois, serait de passer la barre du million. Nous avions fait 49.000 Wii U... PS4 avait fait 90.000 ventes. Nous avons de vrais RDV avec Mario Kart 8 Deluxe en avril, nous souhaitons que la franchise retrouve ses niveaux de la Wii. Puis nous aurons Splatoon 2, et Super Mario Odyssey plus tard.

Vous vous préparez à une rupture de stock ?
Nous allons tout faire pour l'éviter, mais on a quelques soucis inattendus à régler, il y a une grève dans les ports en Espagne qui perturbe un peu la mise sur le marché.

En termes de présence marketing, quels sont vos axes de communication cette année ?
Nous avons commencé en TV, en démontrant les 3 modes de jeu de la Switch. Nous allons progressivement élargir le message, et nous arrivons avec 1-2 Switch, c'est clairement notre Wii Sports. Nous pensons qu'il a un fort pouvoir "grand public".

Justement, pourquoi ne pas l'avoir inclus en bundle avec la Switch ?
Economiquement ça ne passait pas malheureusement. Attention, technologiquement la Switch c'est de la reconnaissance de mouvements comme on ne l'a jamais fait, et il y a de nombreuses innovations dans les manettes comme les vibrations HD.

Nintendo a définitivement tourné le dos à la voie empruntée par PlayStation et Xbox.
Oui, mais vous savez nous avons pratiqué "l'océan bleu" avant que ce soit théorisé, la différence c'est vital pour nous. Nous sommes plus petits que nos concurrents directs, nous sommes moins de 5000 salariés, nous sommes la PME de l'univers du divertissement et pour nous nos ressources vont dans les jeux et le gameplay.

Vous voulez être présent sur l'eSport ?
Cette énergie, l'eSport, ce n'est pas une création de Nintendo. Mais le multijoueur fort en local, ça a toujours été nous. Regardez Smash Bros, Splatoon, Mario Kart... et souvent en organisation spontanée. On va accompagner en proposant des jeux qui permettent çà l'eSport de s'exprimer.

Vous comptez sur quelle répartition entre gamers et grand public ?
Quand les gamers commencent à expliquer à des joueurs "moins avancés" le potentiel d'une console, c'est ce qu'on cherche à obtenir. Mais en vérité ce n'est pas nous qui décidons. Nous avons des scénarii, maintenant le timing, les répartitions initiales, tout cela est impossible à prévoir.


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