Qu'il est horriblement dur d'être un créateur de jeux bringuebalé entre les tendances d'un marché, les désidératas des éditeurs, les avis impitoyables des joueurs vite lassés et de ceux qui tiennent à leurs habitudes, et bien entendu les montagnes de difficultés propres à l'exercice du métier. Les virages technologiques inattendus, l'inertie d'un cycle de développement de plusieurs années, les mauvaises surprises de voir son idée déjà commercialisée par d'autres alors qu'on est en train de la développer, ou la copie ultérieure qui éclipse son original... Mais je crois que, si j'étais développeur de jeux, le pire pourrait être l'énorme contradiction d'un public protéiforme aux goûts contradictoires, une fois le succès d'une première itération acquis.

Oh là, là, c'est toujours pareil

Avant, c'étaient les Shoot'em up et les jeux de plateforme, aujourd'hui ce sont les FPS et TPS. On en bouffe décidément à toutes les sauces... Pourquoi ? Parce que ça marche du feu du Dieu. Après la Seconde Guerre Mondiale, le Post-Apocalyptique, et aujourd'hui le shooter moderne pseudo-réaliste, quelle sera la prochaine tendance essorée à qui mieux mieux par les éditeurs/développeurs ? On comprend aisément la frange des joueurs qui se plaignent que tout se ressemble, car c'est un peu vrai. A titre personnel, par exemple, après quelques années à les accueillir à bras ouverts, j'avoue que les shooters modernes de cette fin d'année, pourtant ultra-attendus, ne m'excitent plus autant. Evidemment, je conserve un intérêt d'observateur pour l'affrontement annoncé de Modern Warfare 3 et de Battlefield 3, mais au-delà de la guerre des suites et de l'avènement des "3", 2011 ressemble à s'y méprendre aux années précédentes (tout en mettant à mal les finances d'un joueur plus encore qu'auparavant, vu le nombre de bons jeux). On a eu ou on aura notre Call of Duty, notre Assassin's Creed, notre Gears of War, notre Uncharted, et certains s'en plaignent car il faut se rendre à l'évidence : on joue un peu toujours à la même chose d'année en année. D'un autre côté, ce sont tous, indubitablement, des jeux de grande qualité, et s'ils s'éloignaient trop de la formule qui les a propulsés dans les coeurs des gamers, ces derniers seraient les premiers à le leur reprocher.

Oh là, là, ils ont tout changé

Quand Gears of War 3 joue une carte scénaristique différente en s'attardant sur une psychologie plus fine des personnages plutôt que son humour de bourrin, quand telle ou telle licence ose trop explorer de nouveaux territoires, elle s'attire immanquablement les foudres d'une frange de ses fans qui a tôt fait de la désavouer. Il y a le fameux syndrome du "c'était mieux avant" (encore lui), un peu comme en musique quand les "mélomanes" se fendent d'une bonne vieille remarque comme "les deux premiers albums étaient bien meilleurs, voyons". On apprécie nos charentaises, quoi, et trop bousculer les habitudes n'est pas plus une bonne chose que les alimenter ad nauseam. Bref, les créateurs sont pris entre deux feux : les joueurs qui veulent retrouver les émotions des épisodes et des jeux qui les ont fait vibrer, et ces mêmes joueurs tout autant avides de renouvellement, qui perdent, au fil des épisodes, l'intensité de leur première fois si on ne leur donne pas ce petit quelque chose frais en plus, jeu après jeu. En ce qui me concerne, une fois encore, je suis bien obligé de reconnaître qu'à titre purement personnel j'ai plus vibré sur Batman : Arkham City qui tout en restant proche du premier offre avec son environnement ouvert un renouvellement brillant de sa formule, qu'en bouclant Uncharted 3 qui, aussi époustouflant soit-il (et Dieu sait qu'il l'est), ne fait "que" transposer l'excellence du second dans de nouveaux décors. Mais si Uncharted 3 ne s'en tenait pas à sa formule d'aventure action bourrée de grandes séquences épiques, les gens diraient probablement que ce n'est plus Uncharted et que c'est devenu tout pourri. Et rassurez-vous, hein : vous verrez dans le test, qui sera publié aujourd'hui même, que Naughty Dog livre une fois de plus un petit bijou.

Tout ça pour dire que bien souvent, nous sommes nos pires ennemis en matière de plaisir, quelle qu'en soit l'espèce. Bicéphales, nous autres humains déplaçons régulièrement le curseur d'un équilibre fragile entre nos goûts acquis, que nous voulons contentés, et l'appétit pour la découverte de nouveaux plaisirs. Et qu'en ayant des attentes moins fortes ou moins compliquées, on trouverait bien entendu plus de plaisir... Mais une chose est sûre : les bons jeux sont légion, et le choix plus vaste que jamais en la matière. En fait, le plus gros problème que nous avons à affronter, c'est celui du compte en banque limité...