Les opinions et vues exposées dans les éditos ne reflètent pas forcément
celles de l'ensemble de la rédaction de Gameblog.


Qui garde en tête la raison pour laquelle une critique de jeu vidéo est encore surnommée du qualificatif techno réducteur "test" en 2014 ? Parce que le jeu vidéo est avant tout un programme informatique dont il faut s'assurer qu'il fonctionne comme prévu sur l'ordinateur (PC ou console) qui l'héberge.

Là où une critique de cinéma en salle se concentre d'abord sur la dimension artistique de l'oeuvre qui sera rarement mal assemblée d'un point de vue technique (de nos jours impossible d'apercevoir le micro d'un perchman dans le cadre d'un film fauché puisque tout défaut s'efface à la palette numérique), la critique de jeu vidéo ne peut ignorer sa dimension technique. N'en déplaise aux néo critiques purement culturels du jeu vidéo qui s'en absolvent trop souvent. Un "bon" jeu vidéo est d'abord un programme censé opérer sans défaut comme n'importe quel produit mécanique acheté dans le commerce doit fonctionner (de l'aspirateur au grille-pain).

Au minimum dans sa bonne exécution logicielle, par extension jusqu'à ses aptitudes interactives : fonctionnent-elles comme prévu et, ensuite seulement, sont-elles conformes et appropriées au gameplay présenté, plaisantes, innovantes... ?

Tous coupables

On aurait pu espérer que 40 ans et quelques après sa naissance, le jeu-vidéo-programme-informatique ait enfin atteint une maturité technique qui permettrait d'oublier qu'il s'agit d'un logiciel pour ne plus avoir qu'à observer et apprécier son contenu, c'est à dire ce qu'il donne à jouer et ce qu'il inspire. Il n'en est rien.

Un an après leur commercialisation, la stabilité technique promise implicitement par la surpuissance des nouvelles consoles PS4 et Xbox One enfin matures aura été trahie. Toutes les causes ne provoquant pas les mêmes effets, inutile de pointer du doigt ici tel développeur ou éditeur responsables, Internet s'en charge assez bien. Surtout que, après les ânonnements techniques de Battlefield 4 seul vilain petit canard d'un lancement next gen plutôt agréable fin 2013, l'accumulation de bugs des jeux AAA de ce dernier semestre 2014 prouve que tout le monde est concerné, victime ou coupable, petits et grands studios, pour des raisons économiques ou techniques, justifiables ou pas.

Surtout que les jeux ne sont pas seuls concernés. Chaque mise à jour, désormais fréquente, des PS4 et Xbox One s'accompagne d'inconvénients, voire de vrais bugs de la console se répercutant éventuellement sur tel ou tel jeu, nécessitant de nouvelles mise à jour "correctives" précipitées !

Une litanie de problèmes

Alors que ces dernières années tout le monde se félicitait de l'architecture interne quasi unifiée des consoles PS4 et Xbox One et même, rétrospectivement de la Wii U, toutes équipées par exemple de cartes graphiques et processeurs AMD, qui a vu venir que les similitudes hardware avec le PC supposées faciliter le travail des développeurs allaient finalement aboutir sur consoles à la gestion chaotique des logiciels que subit le monde PC depuis toujours ?

Si l'on a bien compris que la variété des configurations hardware de par le monde complique l'usage et la pratique du jeu vidéo sur PC et oblige le joueur PC à être plus qu'un gamer mais un débrouillard informatique, pour ne pas dire un utilisateur avancé, quid des consoles aux modèles physique hégémoniques fermés avec des kits de développement dédiés ?

Reniant 40 ans de confiance du jeu protégé sur consoles, l'abordage d'un nouveau jeu est aujourd'hui aussi risqué et incertain sur PS4 et Xbox One que sur PC (la Wii U est pour l'instant épargnée mais le spectre des mises à jour susceptibles d'améliorer son interface laborieuse plane toujours sur la console "next gen" de Nintendo). La liste des "améliorations" supposées des dernières consoles de salon n'est plus qu'une longue liste d'inconvénients, voire de trahisons :

  • précommande et téléchargement en amont d'un jeu qui ne se "déverrouille" pas comme promis le jour de la sortie (des dizaines de Go qu'il faut effacer et retélécharger !)

  • installation obligatoire complète et lente d'un jeu acheté sur disque qu'il faut systématiquement remettre dans la console pour jouer

  • patchs "day one" obligatoires (et nécessaires) et sauvegardes de sa partie dans le cloud qui impliquent (plus la peine de nier) une connexion obligatoire à Internet

  • connexion supplémentaire (utile à qui ?) aux services de l'éditeur (EA Access, Uplay...) qui freine les services des abonnés Xbox Live et PlayStation Plus

  • jeu en ligne promis au fonctionnement hasardeux, défaillant et parfois même inopérant

  • ajout vite indispensable d'un disque dur externe pour compenser le stockage interne insuffisant

  • démo "gratuite" devenue des beta tests à échelle mondiale...

N'en jetez plus ! Le jeu next gen que l'on achète sur console un prix lourd et ferme n'est plus que la promesse incertaine d'un produit finalisé et conforme. Dans d'autres industries une telle disparité entre le service promis à l'achat et celui effectivement rendu serait coupable de "tromperie sur la marchandise".

Le retour du benchmark fatal

Les comparaisons techniques et notamment graphiques des PS4 et Xbox One qui continuaient encore il y a quelques mois à rejouer presque par principe la guéguerre des consoles active depuis la Megadrive et la Super Nintendo a basculé dans le drame. Nous revoilà revenu au temps technocrate du benchmark qui ponctuait la sortie de chaque jeu PC. Framerate, Full HD ou pas, nombre de polygones à l'écran, nombre de joueurs simultanés en local ou en ligne, matchmaking... les chiffres imposent leur discours au détriment de l'inventivité et du plaisir pur de l'interactivité.

Cela peut sembler idiot de comparer sans cesse les qualités d'affichage et la résolution des écrans PS4 et Xbox One mais quand les éditeurs ne commercialisent pas le jeu annoncé à coups de trompettes et de budgets marketing, ce comparatif a valeur d'alerte à la consommation. Plus aujourd'hui qu'hier. L'époque où les joueurs consoles pouvaient ricaner de loin des déboires au lancement d'un Sim connecté incapable de fonctionner, d'un jeu Steam téléchargé et impossible de se lancer le jour de sortie du jeu, est révolu.

Les joueurs consoles sont désormais sur un pied d'inégalité avec les joueurs PC. Retournons jouer sur PC alors, ne manqueront pas de répéter les irréductibles de Windows ou Linux. Las, même si un jeu AAA coûte jusqu'à 20 € moins cher sur PC que sur console à sa sortie, en dehors de ses titres historiques (Sims, Civilization...) le développement et la commercialisation des blockbusters est désormais négligée sur PC quand ils ne sont pas repoussés (GTA V ?) ou carrément pas planifiés.

L'histoire de la grenouille qui enviait le boeuf

L'ambition artistico-technique - voire la mégalomanie - du jeu vidéo contribue depuis toujours à son ADN. L'envie d'en découdre avec la technique, de repousser les limites du hardware et de la programmation, d'arracher aux machines plus de puissance, d'en mettre plein la vue et donc de donner à l'imagination le plus de moyens possible fait partie de l'attraction du jeu vidéo.

Le jeu vidéo montagne russe n'est jamais plus vivant et dans son époque que quand il cherche à repousser ses propres contraintes et limites. Le joueur averti, l'Early adopter parfois moqué, le sait bien, ou du moins l'espère. Quand elles ne prennent en otage que leurs créateurs et financiers et non le consommateur en bout de ligne, les grandes catastrophes industrielles du jeu vidéo (le Daïkatana de John Romero, Duke Nukem Forever, The Last Guardian...) sont autant de marqueurs historiques que les grandes réussites. Le jeu vidéo fait rêver et c'est tant mieux. Mais du rêve au mirage il y a quelques frontières que les développeurs et éditeurs ne devraient plus franchir au risque d'aliéner leur clientèle.

Pour un Destiny qui promet 10 années hypothétiques de jeu (on verra bien) mais n'oublie pas de faire plaisir au gamer tout de suite là et maintenant (et tant pis pour l'histoire quand le gameplay fonctionne aussi bien), combien de productions à l'ambition mal maîtrisée s'écroulent sur elles-mêmes et fauchent le plaisir immédiat de jeu ? Trop depuis quelques mois.

Ultime sonnette d'alarme

Phénomène collatéral le plus dramatique de cette tendance, c'est à dire de cette incroyable défaillance professionnelle des professionnels de la profession du jeu vidéo ? Le jeu hyperconnecté faillible va aujourd'hui jusqu'à entrainer l'ex impeccable et exemplaire Nintendo.

Forcée à épouser peu à peu le business modèle de la concurrence (on imagine à contre-coeur), la firme historique propose aussi à sa clientèle des DLC discutables (pub "gratuite" Mercedez Benz dans Mario Kart 8 ?), des téléchargements de jeu en avance (Super Smash Bros Wii U, et donc encourage l'achat avant la publication de reviews) et fait subir à son public des mises à jour et des dysfonctionnements inédits dans son histoire, y compris sur sa console portable 3DS.

Le surcoût du prix de vente des jeux sur console, comprend, entre autre, des royalties prélevées par le fabriquant de console. En échange celui-ci effectue un test de conformité qui garantit que le logiciel/jeu commercialisé fonctionne sans anicroche sur sa console propriétaire. Est-ce encore le cas aujourd'hui ?

Sony et Microsoft maitrisent-ils encore sur PS4 et Xbox One les sorties des jeux AAA d'Ubisoft, Electronic Arts, Activision ou Take Two ? À chaque ratage ou balbutiement technique, un joueur soupir, un autre se lasse puis abandonne. Combien passe ensuite à autre chose, à une autre console (pas de chance, elles se valent dans leurs défauts), à un autre loisir ?

Les décideurs mal calibrés du jeu vidéo veulent-il vraiment que le joueur trop souvent taclé au pied de sa machine en vienne à pleurer l'âge d'or des cartouches de jeux bien plus fiables (et qui lui ont coûté bien cher à l'époque) et ne consomme plus le jeu qui lui est contemporain ?

Si les consoles next gen n'ont plus aucun autre avantage sur le PC que de se brancher à un écran TV géant plutôt qu'à un moniteur sur un bureau, il suffira que Valve présente un modèle solide de Steam Machine à installer sous l'écran plat pour cueillir tous les déçus du monde console.


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François Bliss de la Boissière est journaliste critique jeu vidéo et (home)cinéma depuis 1998. Franc-tireur de la critique, il a participé à l'aventure pionnière Overgame.com au début des années 2000 sous le vrai/faux pseudonyme "bliss" et a écrit notamment pour les magazines papiers et Internet : Amusement, Chronic'art, Electron Libre, Gamasutra, GameFan (pseudo : Aliasaka), Games Industry Biz, Gaming, Gameweb, Hitphone.fr, Première, TéléCinéObs... Il participe actuellement au mensuel Comment ça marche et au bimestriel GAMES. Il alimente capricieusement le blog Overjeu et s'exprime en temps réel sur le jeu vidéo sur Twitter @Overgamevoice