Les opinions et vues exposées dans les éditos ne reflètent pas forcément
celles de l'ensemble de la rédaction de Gameblog.


Le peuple jeu vidéo n'en a sans doute pas conscience dans son ensemble mais il vit depuis longtemps à la frontière du Metaverse identifié notamment par le roman d'anticipation Snow Crash écrit par Neal Stephenson en 1992 (Le Samouraï virtuel en français). Ce que les romans, la poésie, le cinéma rêvaient, le jeu vidéo le concrétise, et de mieux en mieux, depuis plus de 30 ans.

Depuis l'avènement des moteurs 3D dans les années 90, le joueur peut se projeter presque physiquement dans l'univers virtuel d'un jeu et donc dans un monde imaginaire sans limites ordinaires. Bien sûr, la fréquentation d'Internet et de tous ses outils organiques intimes et/ou communautaires tels les réseaux sociaux contribuent à familiariser chaque être humain avec cette vertigineuse matrice digitale.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, si après avoir usé jusqu'à la moelle notre Gaïa nourricière le destin de chaque agent biologique humain est de passer agent software ("agent logiciel" en français peu sexy) au service d'un nouveau big bang, cette fois digital, le premier candidat, cobaye plus ou moins volontaire à cette mutation, est bien le joueur. Oui oui, le gamer déjà en première ligne des espaces virtuels et notamment capable de s'y arracher et non d'y rester prisonnier comme le candide géniteur Kevin Flynn de Tron en 1982. Alors, l'au-delà virtuel, terrain de jeu et de communication et peut-être de vie, oui sûrement, mais sous quelle forme ?

La fin d'un petit monde

La fermeture du PlayStation Home de Sony après l'inexorable désaffection du symbolique Second Life (qui fait de la résistance, notamment sur Oculus Rift) semble signer la fin des avatars virtuels casuals tels qu'on les imaginait.

Cette idée du double fidèle ou gentiment sublimé de son petit corps biologique projeté dans un espace virtuel banalisé où les mêmes copains se retrouveraient autour d'activités aussi triviales que celles du quotidien (se balader, discuter, faire du shopping, ou même aller au cinéma ensemble dans une salle du PlayStation Home) a sans doute fait long feu.

Quelque chose cloche avec le flash mob virtuel. Les Sims continuent certes leurs petites vies tranquilles mais ne sont que des pets dans un aquarium, des créatures domestiquées sous contrôle jouant à faire semblant. Les Miis papotant dans leur cour de récrée prétentieusement baptisée Miiverse sur Wii U ne sont plus que des captifs invités au parloir installé dans la cour de leur prison blanche. Ils attendent désespérément le coup de sifflet libératoire du Capitaine Olimar. Aussi coquets soient-ils, les avatars du Xbox Live restent autant pieds et mains liés sur Xbox One que sur Xbox 360. Ces avatars là ne sont que des figurines sur ressort posées sur une étagère. Même les récents smart toys (Sky Landers, Amiibo...) ont déjà acquis plus de liberté et d'intelligence.


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Trop casual, pas assez super

Quelque chose ne va donc pas dans la projection virtuel de son avatar socialement équivalent au réel telle qu'elle a été proposée jusque là. Trop lisse, trop banal, dans Second Life ou PlayStation Home ? Trop first life, pas assez extraordinaire ?

Les communautés virtuelles de masse existent pourtant depuis un moment. Grâce à une passion partagée du jeu de rôle puis du jeu vidéo, depuis au moins Ultima Online, elles se retrouvent notamment sans compter dans les MMORPG. Là, le guerrier, druide ou mystique avatar existe durablement autour de règles du jeu bien précises et acceptées par tous les participants. Forcer à aller se ravitailler dans La Tour, les gardiens avatars de Destiny se retrouvent et se croisent, au fond, sans trop échanger, mais prouvent encore une fois que dans le virtuel comme dans le réel

If you build it, they will come (1).

Faut-il alors des raisons guerrières, des univers médiévalo-fantastiques ou de science-fiction pour que les gens acceptent de coexister dans un même espace virtuel ? On peut comprendre. S'il s'agit de s'arracher à la banalité du quotidien, autant basculer vers un monde plein de fantasy.

Éprouver sa vie, même de manière virtuelle, rend sa propre vie (biologique) plus tangible, plus excitante. Indirectement, l'échec dramatique de la version multijoueur de Myst Online : Uru (2007), où les créateurs du phénomène Myst (commercial et médiatique fin des années 90) ont vraiment cru que les gens allaient se réunir pacifiquement pour discuter au coin du feu mystique, a fait la démonstration malheureuse que, sans mise en scène d'un conflit ou d'ennemis identifiables, les gamers ne répondaient pas à l'appel (le service technique de Myst Online n'était certes pas au point non plus). Le grand public qui a fait le succès de la série Myst n'avait bien sûr pas aussi naturellement que le gamer une appétence à se ruer jusqu'au cou dans l'autre monde.

Pilule bleue ou rouge

Pour se concrétiser, le Metaverse cherche une convergence entre le concept de la matrice (cyberpunk) du Neuromancer de William Gibson, l'Internet qui se lit et se regarde encore sur un écran au début du 21e siècle, et les mondes virtuels fantaisistes mais qui se visitent vraiment dans les jeux vidéo. Quand après avoir répandu et partagé son mur virtuel, mais plat, de Facebook entre 1,3 milliard d'êtres humains (ou presque) Mark Zuckerberg rachète pour une fortune incompréhensible le projet de réalité virtuelle de Oculus Rift, il parie sur cette triple convergence : matrice (le conduit) + Internet (l'information) + monde virtuel (le jeu).

Le casque VR (de Oculus Rift, Sony ou Samsung pour citer les prototypes les plus avancés) proprement dit n'étant que le portail grossier pour l'instant indispensable. Il s'agit désormais de donner un corps physique à 360° à la masse de 0 et de 1 en circulation. Alors seulement le plongeon total physique dans l'inconnu virtuel sera possible. Demandez à Neo. À chaque nouvelle partie de World of Warcraft ou Destiny, d'Assassin's Creed ou de Zelda, le joueur joue déjà au visiteur virtuel, à l'éclaireur, voire même à l'ambassadeur. Seul ou à plusieurs.

Bien sûr, des films Matrix au formidable Le Congrès d'Ari Folman (voir ci-dessous), en passant par nombre de romans, la version cauchemardesque de ce plongeon dans l'inconnu virtuel hallucinatoire et potentiellement asservissant est déjà bien fiction-documenté.

À titre ludique, le jeu vidéo lui-même ne se prive pas d'en décliner toutes les variations. De belles études transversales devraient néanmoins démontrer que derrière le masque au nez rouge du loisir interactif se cache une sérieuse et profonde aspiration (théorique et quasi physiologique même si la société dans son ensemble le renie) de l'humain à se fondre dans ce nouvel espace (voir : Être Plus - L'instinct Interactif dans Chronic'art #70).

Le jeu vidéo spectaculaire reste le premier parc d'attraction de cet univers virtuel complet en devenir. Mais même au-delà de la population de pratiquants chaque jour plus nombreuse, chacun a observé autour de soi que la majorité des gens, toutes génération confondues, se penchent désormais sur l'écran de leurs smartphones et tablettes comme si leur vie toute entière s'y trouvait déjà, quitte à oublier et à flouter le monde réel tout autour.

La question n'est plus de savoir si tout ou partie de nous-mêmes va plonger dans l'espace virtuel, mais comment ?