C'est que, quoiqu'il arrive, il faut bien continuer à investir et tenter d'obtenir de meilleurs résultats ; ainsi va l'économie moderne, sous la pression d'actionnaires et de clients toujours plus exigeants.

A l'heure actuelle, en cette fin de génération "HD", les budgets des gros jeux AAA sont d'ores et déjà exorbitants. Comme leurs équivalents d'autres industries du divertissement, à commencer par le cinéma des blockbusters. Des budgets qui se répartissent sur deux tâches principales : fabriquer le jeu d'une part, et le vendre d'autre part. Développement d'un côté, marketing de l'autre. Soit encore, le savoir-faire d'un côté, et le faire-savoir de l'autre, mutuellement importants l'un envers l'autre pour espérer le succès.

Or, en affaires, la logique veut qu'on investisse l'argent là où il sera le plus "rentable", c'est à dire là où il fera la différence par rapport aux concurrents. Si jusqu'à aujourd'hui, l'investir dans le produit avait autant de sens que de l'investir dans la communication autour du produit, je me demande si avec la prochaine génération de machines, les cartes ne risquent pas d'être un peu redistribuées... au détriment du développement.

Il y a foule, ici

Nous l'avons tous remarqué : ces dernières années, le nombre de blockbusters n'a cessé d'augmenter. Celui des jeux échappant à cette catégorie également : jeux mobiles, sociaux, indie... il y a plus de jeux que jamais, à une époque où l'économie semble bien en peine de pouvoir les soutenir. Frappées par la crise, les populations ont bel et bien toujours envie de se divertir, et l'avènement semble-t-il inexorable de modèles Free-to-play, Freemium, jeux mobiles à moins d'un euro, et compagnie en témoigne. Ces derniers attirent logiquement de plus en plus la faveur de tous types de joueurs, en complément ou non de dépenses plus importantes sur les gros jeux qu'ils continuent tout de même de consommer, mais qui plus que jamais se partagent une attention et une bourse qui n'ont rien d'extensibles.

Les conséquences de cet état de fait se sont déjà largement fait sentir : quand on voit le succès d'un Tomb Raider (aux ventes estimées autour des 3,5 millions d'exemplaires depuis sa sortie il y a deux mois), et l'échec qu'il représente pourtant pour Square Enix (qui projetait d'en écouler entre 5 et 6 millions sur cette période), ou plus simplement les fiascos commerciaux de titres qui sont pourtant bourrés de qualités et d'un niveau de production similaire, une espèce de fracture apparaît. Une fracture qu'on pourrait finalement considérer comme la véritable frontière entre les triple-A et les quadruple-A ; mais il n'est plus tant question de valeurs de production et de budgets de développement, cette fois, comme ce qui sépare les triple-A des autres, que de puissance marketing. Autrement dit, du mélange entre la force d'une licence (les GTA, CoD, Halo, Assassin's Creed, qui enterrent manifestement les Tomb Raider, Metal Gear, DmC, Dead Space, etc.) et la poussée marketing qu'on lui imprime. En conséquence, des éditeurs mettent la clef sous la porte, virent ou "font démissionner" leurs PDG historiques, et prennent des coups qu'ils ont de plus en plus de mal à encaisser.

Enfin, on estime que les budgets de développement des jeux next-gen ne devraient pas connaître l'énorme inflation de ceux de la génération HD ; grosso-modo, ils grossiront de 10 à 20 pourcents au lieu d'être multipliés comme ce fut le cas sur PS360. Parce que les futures consoles n'avancent technologiquement pas autant qu'auparavant, et parce que les studios ne se feront pas avoir deux fois ; ils sont à présent mieux préparés, tant en termes d'outils de développement, de flexibilité des technologies, que de pipelines de production, de méthodes de développement.

Rien de nouveau dans l'absolu... mais récapitulons :

  • Le budget des blockbusters a explosé sur la génération actuelle
  • Il n'augmentera pas autant sur la prochaine
  • Le marché est saturé de blockbusters
  • Les gens ne dépensent pas plus (c'est même le contraire)
  • On met l'argent où il se montrera le plus rentable

Il n'y a donc plus qu'un tout petit pas à franchir pour se dire qu'en toute logique, si les éditeurs veulent tirer leur épingle du jeu, ils est dans leur intérêt de mettre plutôt l'argent sur le marketing que sur le développement. Afin de surnager dans le bruit que constitue l'ensemble des campagnes marketing de cette myriade de gros titres, et parce qu'en termes de développement, les quelques millions de plus qu'on pourrait injecter ne risquent pas de marquer une différence si importante que ça sur la prochaine génération, comparativement à ce que ces mêmes sommes pourront acheter de présence marketing... En outre, installer des (nouvelles) licences porteuses dès le début d'une nouvelle génération pour bénéficier aussi de l'élan des constructeurs et de leurs nouvelles machines semble une bonne stratégie pour se consolider dès que possible à la mise en place de ce nouveau cycle. Dans tout les cas, il s'agit bel et bien d'occuper le terrain, d'être omniprésent, de s'imposer dans les désirs d'un consommateur sur-sollicité par une industrie qui n'en finit plus de se fragmenter.

Premiers éléments

L'empereur incontesté des licences de jeu vidéo qui cartonnent tout, c'est Call of Duty. Et que prépare Activision pour la venue de l'épisode 2013, Call of Duty : Ghosts ? Certes, un nouveau moteur, un nouvel univers, etc. (il était temps, pensera le joueur moyen), mais surtout, une campagne marketing encore plus importante et coûteuse que les précédentes. C'est ce qu'explique Eric Hirshberg, le PDG d'Activision :

Ghosts sera soutenu par l'une des campagnes de publicité et de marketing les plus importantes de l'histoire de la marque.

S'il est toujours délicat d'obtenir des chiffres concrets, on a tout de même quelques exemples et quelques échos qui permettent grosso modo de considérer que pour les blockbusters actuels, le budget marketing équivaut généralement au budget de développement. Ce fut par exemple le cas pour Halo 3, qui aurait coûté 60 millions de dollars à développer, et autant à marketer. Il se murmure que pour Assassin's Creed III, il s'agirait de 75 millions de dev, et 75 de marketing (ce que je suis disposé à croire même si je n'en ai aucune preuve). Microsoft a déjà fait état du fait que le budget de Halo 4 était le plus important que la firme ait jamais consacré à un jeu, sans pour autant rentrer dans le détail... mais il est clair qu'aucun des plus gros blockbusters de l'industrie n'est arrivé là où il est sans des dépenses aussi faramineuses en marketing qu'en développement, si ce n'est plus. Et il ne s'agit plus de publicités à la télé ou de bannières sur les sites spécialisés. On fait des courts-métrages comme Halo 4 : Forward Unto Dawn (dont chaque épisode a tapé dans les 5 millions de vues sans être fondamentalement assimilé par les spectateurs comme de la publicité), ou, à moindre échelle, les vidéos de la Far Cry Experience d'Ubisoft (autour des 500 000 vues) pour un Far Cry 3 qui a sur-cartonné à plus de 4,5 millions d'exemplaires sur l'un des genres les plus concurrentiels de la génération HD, le FPS.

Partout, tout le temps

Le temps de la pub ordinaire dans les publications spécialisées est révolu. Le marketing passe lui aussi à la next-gen, il a même commencé, on l'a vu, à y passer bien avant les machines. Si pour les consoles, il ne s'agit plus de conquérir le salon, mais au contraire de s'en affranchir pour être présent autant en dehors de la maison que dedans, et d'accompagner donc toujours l'utilisateur/joueur/client avec l'armada des partages sur YouTube, Facebook, Twitter, et de rester accroché à son smartphone parce qu'il l'a toujours dans la poche, côté Marketing, on a déjà intégré cela avant l'arrivée des consoles nouvelle génération, qui ne feront finalement que poser les dernières pierres manquantes à cet édifice : les companion-app et autres fonctionnalités sociales, véritables compléments ludiques à l'expérience principale, qu'elle s'appelle Destiny ou Watch_Dogs.

On développe des contenus parallèles dans les autres sphères culturelles, on essaie d'occuper tous les terrains physiques ou numériques. Sur Smartphones, sur les réseaux sociaux, sur les grands médias, au cinéma. Mais, surtout, dans le bouche à oreilles ; le Saint Graal du marketeux, qui cherchera toujours le moyen le plus efficace de le déclencher pour son propre bénéfice, car, comme l'a si bien démontré Apple, le meilleur vendeur, c'est le client lui-même. Le proche qu'on connaît, en qui on a confiance, avec qui on veut partager les mêmes expériences. "Tu as vu le dernier trailer de Final Shooter XXVIII ?" en est la première étape, mais il s'agit d'aller plus loin, bien entendu : tout le monde fait des trailers.

Bref, il ne fait aucun doute que les consoles Next-Gen se feront la guerre d'arrache-pieds, avec des jeux sans doute toujours plus attractifs. Mais si chaque constructeur tentera de tirer son épingle du jeu avec ses exclusivités, quelles qu'elles soient, je ne peux m'empêcher de penser que la véritable bataille n'aura plus tant lieu du côté du développement, mais bien de celui du marketing. Et ce, d'autant plus que c'est le seul terrain "compatible" sur lequel affronter les autres compétiteurs auxquels les jeux font face : les autres domaines culturels. Si on peut encore se montrer surpris aujourd'hui de voir une pub pour un jeu au cinéma entre les bandes-annonces, avec la prochaine génération de consoles, ça ne pourra que s'intensifier. Grâce à des budgets qui n'iront, par conséquent, pas au développement des jeux...