Bon nombre d'articles, d'opinions, d'émissions, de commentaires, d'analyses, abondent en ce sens : les jours des consoles traditionnelles sont comptés. Poussées dans la tombe par les mobiles, les smartphones, le cloud gaming, Facebook, la crise, les développeurs de jeu eux-mêmes : on a vu tous les candidats possibles nommés au poste du croque-mort, pressentis pour creuser la tombe de la bonne vieille console de jeu vidéo. Est-ce donc si inéluctable ?

Les amoureux des Monty Python se souviennent sûrement de cette scène hilarante de Sacré Graal dans laquelle des collecteurs de corps passent dans le village en demandant qu'on leur ramène les morts. Un villageois se pointe, pose un vieillard sur le chariot et exige son paiement, tandis que le prétendu décédé ne cesse de répéter "je ne suis pas mort ! Je me sens bien mieux". On prédit tant la mort des consoles après cette génération que c'est à croire qu'il y a de l'argent à tirer de leur cadavre et qu'on veut les enterrer le plus vite possible, même si leur heure n'a pas encore sonné...

Il n'y a finalement pas si longtemps que ça, on donnait le PC pour mort, lui aussi (en tant que support de jeu). Alors qu'il est aujourd'hui plus souvent casté dans le rôle du croque-mort sus-cité, prêt lui aussi à planter son clou dans le cercueil des consoles. Mais, tant qu'on est à jeter un oeil au passé pour tenter de mieux cerner le ou les avenirs possibles, rappelons pour commencer que les consoles sont presque mortes une fois, déjà, en 1983. Pour tout un tas de raisons, une sorte de jachère s'est brièvement installée après les succès des machines contemporaines de l'Atari 2600... avant qu'elles ne cèdent leur place à une renaissance florissante grâce aux japonais, et à de nouveaux modèles.

Peut-être que mon point de vue sur la question est une réaction biaisée face au tombereau de personnalités qui semblent prédire la mort imminente (à l'échelle d'un média) des consoles ; peut-être que je cherche à me faire l'avocat du Diable face à toutes ces déclarations :

Ecoutez, les consoles vont disparaître. (...) Je déclare officiellement que la prochaine génération de hardware constituera les dernières consoles. - David Jaffe (Twisted Metal, God of War)

[Le Cloud Gaming] est l'avenir. (...) Je crois que les types de la console sont terrifiés. Pas tant pour des raisons de hardware, mais plutôt parce que les modèles économiques, le free-to-play et ce genre de choses, ont glissé sous leur pieds. - Will Wright (Sim City, les Sims, Spore)

Pourquoi avons-nous besoin d'une console ? Tout ce dont vous avez besoin, c'est d'une manette (...) Je pense que les jours des consoles sont comptés. - Richard Garriott (créateur de la série des Ultima et du futur Shroud of the Avatar).

J'en passe, évidemment, un gros paquet, venu d'un tas de personnes qui ont souvent des CV longs comme le bras, et travaillent dans l'industrie depuis ses balbutiements. Certains d'entre eux sont communément considérés comme des visionnaires, ou en tout cas des esprits brillants et créatifs. Mais je ne parviens pas pour autant à accepter si facilement ce que tous semblent prédire. Dire que les consoles, comme support de divertissement, vont mourir face au cloudgaming, aux mobiles, etc., ne serait-ce pas comme dire que l'écrit, comme support de fiction ou d'information, va mourir face au cinéma, à la télévision, etc. ?

Certes, elles vont se prendre des coups, et effectivement, il serait incongru de penser qu'elles ne devront pas lutter pour préserver leur place sur le marché face à de nouvelles offres différentes et complémentaires, mais personnellement, je ne crois pas que les consoles next-gen attendues pour la fin de cette année seront les dernières de leur espèce. Ou, plus exactement, je n'en suis pas si sûr ; si j'accepte volontiers qu'un changement de paradigme est plus que probable dans les 10 ans à venir, que la fragmentation de l'offre jeu vidéo, incontestable, risque de leur poser bien des problèmes, et même que tôt ou tard, oui, les consoles disparaîtront sans doute dans leur forme actuelle au profit de tout un tas de trucs carrément loin d'être ne serait-ce qu'inventés, je ne peux pas m'empêcher de laisser sa juste place au doute. Sans croire pour autant que tout peut continuer encore bien longtemps sans changements majeurs, je pense qu'aucun de ceux-là ne suffira à balayer aussi simplement la demande pour, et l'intérêt objectif des consoles de jeu :

  • Les gens en ont l'habitude, et même si des habitudes peuvent être sérieusement et rapidement bousculées, il faut en général sortir le grand jeu pour s'en débarrasser : i.e. qu'il n'y ait plus aucun intérêt à les conserver.
  • Les consoles traditionnelles n'ont pas besoin d'internet pour fonctionner, mais peuvent tout à fait en tirer parti : elles peuvent donc enrichir leurs offres pour accommoder les changements de notre société, mais n'ont en aucun cas besoin de les substituer à ce qu'elle ont fourni jusqu'ici.
  • Elles continuent de proposer de bons rapports technologie / prix et profondeur des expériences / accessibilité.
  • Les intérêts de bon nombre d'acteurs et industriels puissants sont alignés avec leur survie, depuis les fabricants de composants hardware jusqu'aux consoliers eux-mêmes.
  • Les jeux eux-mêmes ne sont plus le seul argument proposé par les consoles pour trouver des acquéreurs ; elles servent et serviront de plus en plus à autre chose aussi, grâce à des offres média de bien meilleure qualité que ce qu'on peut trouver sur des Set-top Box de fournisseurs d'accès internet, tout simplement parce qu'elles sont bien plus puissantes.

Bref, s'il est certain qu'on ne saurait se contenter de continuer à proposer des jeux très chers et uniquement sur le modèle traditionnel des consoles, et espérer prospérer ainsi, rien n'indique clairement que les consoliers n'en ont pas pleinement conscience ; ce serait même l'inverse. Beaucoup disent que plus on avance, moins la différence ou les arguments du jeu vidéo existant en dehors des consoles sont perceptibles par rapport à celui qu'elles proposent. Mais rien n'empêche les consoles d'intégrer les différences et les arguments avancés par les formes de jeu vidéo qui se sont développées sans elles pendant la génération HD : qu'il s'agisse du tactile, d'une présence en dehors du salon (via les companion-app ou d'autres choses), des nouveaux modèles économiques ou de gammes de prix révisées.

Et ce, paradoxalement peut-être, d'autant plus que les fossés graphiques proposés par la prochaine génération seront bien loin d'être aussi apparents aux yeux des consommateurs qu'ils n'ont pu l'être lors de transitions générationnelles passées. Car cela laisse finalement de la place pour s'attarder sur autre chose, peut-être, et faire ainsi du jeu sur consoles une expérience toujours plus riche, plus intéressante, plus poussée et plus diversifiée que ce qu'on peut trouver ailleurs : le meilleur argument qui soit, sans doute, pour assurer la survie des consoles.

Quand bien même tous ceux qui prédisent la mort des consoles après cette génération s'avèreraient avoir raison, le jeu vidéo, lui, n'est pas près de disparaître, en tout cas. La question n'a donc, finalement, qu'une importance toute relative.