Les licences, dans le jeu vidéo comme ailleurs, c'est important. Mais croire qu'une bonne licence suffit, c'est évidemment une erreur. Certes, l'intérêt même d'une licence, qu'elle soit native du jeu vidéo (de Gran Turismo à Gears of War en passant par Tomb Raider ou Street Fighter), ou venue d'ailleurs (adaptations de films, de BD ou de bouquins), est bel et bien de vendre (plus) sur un nom célèbre, mais, pour la première catégorie en tout cas, c'est aussi devenu un casse-tête pour les développeurs. Surtout lorsqu'il s'agit d'une vieille licence, que le poids des années a rendue culte auprès de ses adorateurs. Lesquels sont, bien entendu, la cible privilégiée de la dite licence.

Innover ou pas, telle est la question

Il s'agit pour les créateurs d'un cruel dilemme. Face à la mission de ressusciter une vieille licence au nom porteur de magie auprès de fans exigeants, d'aucuns pourraient se donner perdants avant même d'essayer. C'était visiblement le cas de Starbreeze, qui a récupéré Syndicate pour en faire un shooter, le jeu original étant pour sa part un titre de stratégie. On conserve donc l'univers et le nom, mais on change tout le reste. Le jeu n'a pas été un brillant succès, ni commercial ni critique, mais vous l'avez peut-être vu cette semaine, la réaction post mortem de son développeur ne manquait pas d'éloquence :

Nous savions dès le départ qu'il y aurait un petit, mais extrêmement bruyant groupe de joueurs et de journalistes qui nous détesterait quelle que soit la route que nous déciderions de suivre. Si nous ne faisions pas une copie exacte du jeu [original], ils nous détesteraient. Si nous faisions une copie conforme, ils répliqueraient que nous n'innovions pas. Nous n'aurions jamais pu les convaincre, c'était une bataille perdue d'avance.

J'ignore si le choix de faire de Syndicate un shooter venait d'eux ou de leur éditeur, Electronic Arts. Toujours est-il que leur constat reste le bon : tiraillé entre la fidélité et le besoin ou le désir d'innovation, les développeurs chargés de ressortir ou rebooter une vieille licence s'exposent, semble-t-il, inéluctablement, à la vindicte de certains, voire de beaucoup. Dès lors, que faire ?

Les deux mon capitaine

XCOM et XCOM Enemy Unknown : le parfait exemple. Aucun de ces deux titres n'est sorti pour l'instant, je me garderai donc bien d'en donner une appréciation critique, mais le fait est que 2K semble avoir adopté une posture assez futée avec cette licence de stratégie du milieu des années 90. Un studio s'occupe de récupérer l'univers de la série pour le remodeler sous forme de shooter (XCOM, chez 2K Marin), et l'autre de reprendre le genre original pour le rafraîchir sans polémiquer (Enemy Unknown, chez Fireaxis). Ca fait deux fois plus de chances de relancer la licence, tout en redirigeant chaque critique potentielle d'une des deux optiques ("ça n'innove pas" et "c'est trop différent") vers l'autre jeu. Autre exemple similaire : Bionic Commando et Bionic Commando : ReArmed (même si tous deux n'ont pas vraiment réussi le miracle commercial).

Mais ces exemples sont rares. C'est bien normal : développer deux jeux c'est aussi multiplier le boulot, le besoin de ressources, et finalement le risque. Si les deux échouent, c'est deux fois plus d'échec, si un seul fonctionne, il faut croiser les doigts pour que l'autre ne perde pas plus que celui-là ne gagne. Au final, seul l'un des trois cas de figure possibles est susceptible de décrocher la timbale : que les deux fonctionnent bien... Et puis, toutes les vieilles licences ne se prêtent pas forcément à une telle stratégie, et il ne faudrait pas oublier que pour beaucoup, lorsqu'elles ne sont pas si vieilles, une réédition HD ou un remake bien foutu peuvent suffire à relancer la machine ou sonder un potentiel come-back.

Tout ça pour dire que ce sont peut-être ceux qui sont de l'avis que le passé ne doit pas être remué, et que le souvenir d'une licence devrait parfois rester précisément cela, qui ont raison. Mais si ceux-là peuvent en général se contenter de rejouer aux originaux avec le même plaisir, du côté des générations plus jeunes, il paraît difficile de convaincre que le tout premier X-COM est toujours un chef-d'oeuvre, que Bionic Commando sur NES n'a pas besoin d'un extreme make-over pour être apprécié. Il y aura donc toujours de bonnes raisons de revisiter le passé des licences cultes, d'autant qu'en matière de jeu vidéo, la technologie peut tellement apporter qu'on ne voit pas pourquoi les développeurs et éditeurs n'essaieraient pas. Et après tout, ça n'empêche personne de rejouer aux vieilleries s'ils ne sont pas contents de ce qu'on en a fait.